Jusqu’à plusieurs fois par semaine, ils et elles se retrouvent autour d’un jeu de cartes à collectionner : Magic : l’assemblée. Chez eux ou dans des lieux spécialisés, ils ont construit autour de cet univers fantastique une véritable petite communauté à Strasbourg. On a plongé dans ce monde mystérieux et si vous n’y connaissez rien, pas de panique, on vous explique tout.
Assis autour des larges tables du Malleus, le bar à ambiance de Dooz Escape, une vingtaine de joueurs ont les yeux rivés sur leurs cartes. À la lumière tamisée, tranchée par quelques spots de lumière blanche, se joue ce dimanche après-midi un tournoi de carte Magic, de son vrai nom « Magic : the gathering« , « Magic : l’assemblée » en français. Ils et elles ont entre 18 ans et la quarantaine et consacrent, pour une grande majorité, plusieurs heures par semaine à cette passion.
Le jeu, qui existe depuis 1993, repose sur des cartes à collectionner, faisant référence à un univers fantastique. “Le principe à la base, c’est qu’on est deux magiciens qui s’affrontent dans un duel de magie, avec des créatures qu’on invoque et des sortilèges”, résume Nicolas qui joue depuis près de 20 ans. Comme beaucoup présents ce jour-là, c’est en effet à l’école primaire qu’il a découvert Magic. “J’ai commencé au CP, avec le frère d’un ami qui ramenait des cartes, même si on ne connaissait pas trop les règles.” Un peu plus loin, Laurent, 36 ans, se rappelle lui aussi : “J’étais en CP ou CE1, j’avais plein de cartes alors que je ne savais pas jouer mais les visuels étaient trop beaux et les collégiens avaient ça…”
Certains ont alors appris les règles petit à petit, quand d’autres ont rangé les cartes au grenier dans un carton, avant de les ressortir à l’âge adulte et de donner un nouveau souffle à cette envie de jouer.
« Ils ont bien trouvé le nom, parce que ça rassemble les gens«
Ce jour-là, c’est Dooz qui organise le tournoi et plus particulièrement Hervé, qui en profite pour lui aussi y participer : “Je m’occupe du Pôle TCG, traiding card game, donc tout ce qui est jeu de cartes à collectionner. On fait de la vente sur le site internet et sur place et on organise des tournois. Les tournois s’étaient arrêtés avec le confinement mais là on reprend doucement.” Les boutiques qui commercialisent les cartes ont d’ailleurs souvent un espace de jeu dédié. À l’origine, celles-ci étaient incitées à organiser ces rencontres le vendredi soir. Mais la multiplication des lieux et associations a permis de diversifier l’offre à Strasbourg.
Des regroupements comme celui-ci, il en existe désormais plusieurs par semaine en ville. Des boutiques comme Vent Divin, des bars à jeux comme le Philibar (bar à jeu de Philibert) mais aussi des associations, comme Magic TT, dont de nombreux membres sont ici ce dimanche après-midi. “Magic TT c’est le nom officiel mais dans les faits c’est la team tocards”, sourit Charles, son président. “L’association a été créée il y a sept ou huit ans par des joueurs qui se retrouvaient souvent dans une boutique et qui ont eu envie de structurer tout ça, raconte-t-il. On essaie de mettre l’accent sur une bonne ambiance.”
Car c’est ça Magic, c’est avant tout des gens qui se retrouvent pour jouer et passer du temps ensemble. Un aspect qui revient d’ailleurs régulièrement dans le discours des joueurs strasbourgeois. “Ce qui est vraiment sympa, c’est l’aspect communautaire. Ça s’appelle “Magic : the gathering” et ils ont bien trouvé le nom, parce que ça rassemble les gens”, constate Nicolas. Même sentiment du côté de Charles : “Il y a ce côté regroupement, communauté qui, à mon avis, est toujours très fort au niveau de la ville. Je connais les têtes de tous ceux présents aujourd’hui et je pense qu’ils se connaissent quasiment tous entre eux.” Et Nicolas d’ajouter : “J’ai connu beaucoup d’amis grâce à Magic. Ce qui est marrant c’est que ce sont des gens que je n’aurais jamais rencontrés autrement.”
De la diversité oui. Mais ce jour-là, 100% des joueurs sont des hommes, malgré quelques adhérentes à l’association Magic TT. Pour Marine, rencontrée quelques jours plus tard, l’aspect communautaire n’est pas le principal intérêt du jeu, elle préfère d’ailleurs jouer avec ses amis ou des inconnus, notamment sur Internet. “Quand j’allais en tournois je voyais peu de joueuses, même si la proportion est plus grande chez les arbitres, j’ai l’impression. Il y a toujours une curiosité parce que t’es une fille. Je ne dirais pas que j’ai été mal accueillie, mais ça ne me donne pas envie d’aller jouer dans un groupe.”
« Quand tu joues, ça exprime ta personnalité«
Ce qu’aime principalement Marine, c’est la stratégie de jeu, le choix des cartes avant un tournoi, la préparation de son deck (paquet de cartes). “Ce que j’aime c’est qu’il n’y a pas qu’une stratégie, on peut changer sa manière de jouer. Chaque deck a un jeu différent et cela change en fonction du deck de l’adversaire, il faut s’adapter.” Un sentiment partagé par Laurent qui aime autant “manger des pizzas et boire un coup” lorsqu’il joue qu’affiner sa stratégie : “Quand tu joues, ça exprime ta personnalité. Il y en a qui sont plus sur la défensive, d’autres qui ont un jeu plus agressif« .
Des tournois, il n’y en a pas qu’à Strasbourg. Et de nombreux Strasbourgeois et Strasbourgeoises parcourent parfois de nombreux kilomètres. Marine a par exemple participé à des tournois à Bologne, Bruxelles ou Lyon.
Les joueurs choisissent alors les tournois auxquels ils participent en fonction des formats de jeu. Et c’est là que ça se complique. Car Magic ne se joue pas de la même façon et avec les mêmes cartes selon les formats. Formats Standard, Modern, Commander ou encore Vintage et bien d’autres. Ils influent sur la façon de jouer et n’autorisent l’utilisation que de certaines éditions de cartes, plus ou moins récentes. Et des éditions, depuis 1993, ce n’est pas ça qui manque. “Le choix du format, c’est une grosse source de débat dans toutes les associations”, admet Charles tandis que la Magic TT essaie de varier ses propositions.
“Il y a plein de niveaux de lecture, il faut se mettre à celui qui nous convient”
Quant aux règles, elles peuvent aussi varier suivant son niveau de jeu. Jouer avec les copains ou jouer en tournoi professionnel n’implique pas le même degré de sévérité. “Les règles intrinsèques du jeu, ce sont les mêmes partout. Les cartes ont un effet donné, c’est écrit dessus. Puis il y a des interactions et ça devient compliqué quand tu veux gérer toutes les interactions. Mais la règle 0, c’est que tu te mets d’accord avec les joueurs autour de la table”, explique Charles. Gabriel, vendeur au magasin Vent Divin à Strasbourg explique de son côté : “Les règles sont plutôt simples, c’est de la pure logique mathématique, donc une fois que tu as compris tu peux les appliquer partout.”
“Il y a apprendre et apprendre, poursuit Marine. Il y a beaucoup de mécaniques. Le livre de règles doit faire 400 pages ou quelque chose comme ça. Mais tu peux apprendre en quelques semaines suffisamment pour pouvoir jouer puis découvrir au fur et à mesure.” Tout dépend en réalité de la façon dont on souhaite jouer : “Il y a plein de niveaux de lecture, il faut se mettre à celui qui nous convient”, explique Gabriel.
C’est peut-être d’ailleurs dans cette diversité des façons de jouer que se trouve l’une des explications à la longévité du succès. Chez Vent Divin, les produits Magic sont en tout cas toujours aussi plébiscités. “On est ouvert depuis 10 ans et il y a toujours autant de joueurs, constate Gabriel, vendeur dans la boutique. Les ventes sont plutôt stables. Magic doit représenter entre 10 et 15 % de notre chiffre d’affaires. On a beaucoup de précommandes à chaque nouvelle extension. Je pense qu’il y a une réelle demande des gens, ils aiment les jeux de cartes, les jeux de stratégie en duel et Magic permet de combler ce vide. ” Il faut dire que Wizards, l’éditeur du jeu, a créé un véritable univers fantastique autour du jeu. Plusieurs fois par an (tous les trois mois environ) une nouvelle extension sort. Et chaque nouvelle édition est accompagnée de la sortie d’un livre, d’une histoire. “A chaque fois, tu as de nouvelles mécaniques qui se rajoutent, le jeu continue, il évolue. Ça me plait ce renouvellement. Sinon ce serait toujours la même chose, autant jouer à la belote”, plaisante Hervé.
Et Gabriel d’observer : “Ce n’est qu’une supposition mais j’ai l’impression que Wizards a réussi à créer un espèce de phénomène de “hype” et d’effet d’annonce. Ils créent un évènement à un instant T, peu importe s’il perdure. On remarque que ce type de consommation arrive de plus en plus. Des joueurs qui ont été attirés par la chose mais qui ne seront pas forcément convertis dans des joueurs durables.”
“Je dépense entre 800 et 1000 € par mois entre les cartes, les tournois, les consommations«
Le confinement pourrait bien, lui aussi, avoir fait renaître un nouveau souffle pour le jeu de cartes, plusieurs joueurs reconnaissant s’y être intéressés de nouveau dans ces conditions. L’éditeur a également, pendant la crise sanitaire et alors que les compétitions et rencontres étaient à l’arrêt, lancé une version en ligne, appelé “Magic Arena”. “Le format standard étant le même que sur Arena, on a une perte de vitesse de ce format en live”, constate Gabriel, notant toutefois que les autres formats se portent bien. L’avantage du jeu en ligne, c’est qu’il n’y a pas besoin d’acheter ses cartes. Car collectionner des cartes Magic ça peut aussi être un budget. Certains joueurs confient ainsi avoir plusieurs dizaines de milliers d’euros de cartes. “Dans certains formats on considère qu’il faut entre 3000 et 5000 € pour un deck, donc ce n’est pas accessible à tout le monde”, partage Gabriel, relativisant toutefois : “Pour jouer entre copains et faire des soirées jeux, on peut le faire pour 5€ et un Mars!”. En effet l’éditeur commercialise des decks prêts à l’emploi à quelques euros pour commencer à jouer.
Les passionnés et connaisseurs peuvent quant à eux acheter régulièrement des boosters (petits paquets de cartes dont on ne connaît pas le contenu) ou encore rechercher une carte convoitée sur un site d’achat et revente. Les prix peuvent alors s’envoler en fonction de la rareté et du design de la carte. “Je dépense entre 800 et 1000 € par mois entre les cartes, les tournois, les consommations« , affirme Nicolas, ses principales dépenses étant l’achat de cartes à l’unité. “J’aime bien les jolies cartes. Ça ne change rien au jeu mais visuellement c’est plus sympa, j’aime bien quand ça brille, donc je dépense beaucoup”, sourit le joueur.
Il y en a donc pour tous les goûts, pour tous les budgets et pour tous les emplois du temps, sans oublier cet important rappel de Gabriel : “C’est un jeu. Le principe d’un jeu, c’est de prendre du plaisir en s’amusant, peu importe comment vous le faites. Honnêtement, si vous trouvez des cartes Magic chez vous, jouez. Tant qu’on y trouve du plaisir, peu importe le reste.”
TCG veut bien dire Trading Card Game et non pas training carte game !