Tous les premiers samedis du mois, un groupe de dessinateurs amateurs et professionnels se retrouve pour une journée d’esquisses et de partages. Dans leurs carnets, mille et un fragments de Strasbourg capturés sur le vif. Uniques et singuliers.
Assis sur un tout petit siège pliable, son carton à dessin sur les genoux et une casquette grise sur la tête, Lolo Wagner est presque invisible au milieu de la place du Château, ce samedi matin de juin. Installé au coin d’une des expositions de l’Industrie Magnifique, l’illustrateur a choisi le module lunaire pour modèle entre deux averses. En plan large, son format de prédilection.
Une communauté mondiale
Enseignant à l’Iconograf – l’école de BD installée au parc Gruber à Koenigshoffen – Lolo Wagner croque la ville sur le vif depuis longtemps. “J’aime vraiment m’imprégner des ambiances des différents lieux où je dessine, détaille t-il. Parfois, je fais des rencontres. Des gens me voient dessiner et me parlent de leur quartier. Ça m’est même déjà arrivé qu’un riverain m’invite à rentrer chez lui pour me montrer quelque chose !” Mais il n’est pas le seul à embarquer carnets et crayons en ballade pour esquisser des fragments de ville au gré de ses sorties.
En discutant avec Stephane Kardos, amis rencontré aux Arts décos lors de leurs études, Lolo Wagner découvre l’existence des Urban Sketchers, une communauté mondiale de dessinateurs valorisant une pratique du dessin in situ dans l’environnement urbain. Leur devise “voir le monde, de dessin en dessin”. Cette initiative a débuté en 2007 avec un groupe Flickr fondé par le journaliste et illustrateur espagnol résidant à Seattle Gabriel Campanario. Elle compte aujourd’hui des membres sur les cinq continents.
53 rencontres depuis 2016
“Je ne pensais pas que l’on était aussi nombreux à avoir cette pratique”, sourit Lolo Wagner en y repensant. En 2015, il décide d’organiser une réunion internationale d’Urban Sketchers à Strasbourg et crée un groupe local dans la foulée. Les rencontres ont d’abord lieu tous les trimestres dans des lieux soigneusement choisis à l’avance et pas toujours accessibles au grand public, comme la bibliothèque du Grand séminaire, ou les bains municipaux. Elles deviennent ensuite mensuelles.
Ce samedi de juin consacre la 53e rencontre du groupe. La première depuis septembre 2020, du fait de la crise sanitaire. Une vingtaine de dessinateurs ont fait le déplacement et trouvé leur spot, seul ou à plusieurs, place du Château. Parmi eux, Marie-Laure, dessinatrice amateure. Membre de la première heure, elle aussi passe presque inaperçue, installée sur un bloc du bord de la place, sous les quelques arbres le long du 5e lieu. Feutres, aquarelles, stylos à encre, l’illustratrice multiplie techniques et supports. Sa spécialité : le détail. Son travail du jour: un dessin de l’armature métallique rouge qui traverse sa vue sur la cathédrale.
Ce qu’elle aime dans le groupe des Urban Sketchers strasbourgeois ? Le fait d’y être “très très libre. On vient quand on le souhaite. On échange sur plein de choses avec beaucoup de bienveillance. On vient surtout pour se faire plaisir, il n’y a pas de jugement sur les dessins des uns et des autres.”
© A.Me / Pokaa
“Dessiner, c’est une manière d’écrire”
Installés en ligne sur un autre bloc pas très loin d’elle, mais plus avancé sur la place, Julien, Daniele et Tano sont du même avis. Les deux premiers sont illustrateurs professionnels, le troisième, amateur. Ils discutent entre deux coups de crayon attentifs. “Dessiner en vrai, in situ, est très différent de ce que l’on peut faire au travail, explique Daniele. On expérimente des nouveautés techniques.” “C’est aussi très intense, appuie Tano. Quand on dessine de cette manière, on observe des choses que l’on aurait pas vues autrement. On crée une image, mais cela n’a rien à voir avec une photo par exemple. Lorsque vous prenez une photo, vous ne vivez pas le moment où vous fabriquez cette image avec la même intensité que lorsque vous dessinez une scène. Dessiner, c’est une manière d’écrire. On pourrait parler d’une forme de littérature graphique. » Julien apprécie également la variété de sujets qui s’offrent à lui dans le dessin in situ. “Et j’aime les à-côtés, les discussions et lieux sociaux que cela crée. On sort de l’écran”, détaille le graphiste, motion designer et illustrateur.
Aux alentours de 18h, la journée se termine là où elle a commencé : au café l’Atlantico. Les cartons à dessins et carnets s’ouvrent en grand pour laisser voir les morceaux de villes patiemment capturés. Nouvelle venue, Gaëlle découvre qu’elle a dessiné une partie du jardin de l’œuvre Notre-Dame quand Lolo s’est attaqué à une autre. “Ce que j’aime bien, c’est qu’à partir d’un même endroit on peut avoir plein de points de vue différents, apprécie l’illustrateur. C’est sans doute ce qui fait la richesse de ces rencontres, et ce qui plaît.” Gaëlle hoche la tête en signe d’assentiment. “C’est aussi très sympa de dessiner en groupe, tout simplement. C’est beaucoup plus entraînant. »
Urban Sketchers strasbourg
Rencontres tous les 1ers samedi du mois vers 9h30, à l’Atlantico.
Dessins confinés, dessins publiés
La crise sanitaire a interrompu les rencontres des Urban Sketchers strasbourgeois plusieurs mois, mais elle n’a pas empêché Lolo Wagner et sa compagne Nathyi de dessiner. “Pendant le premier confinement, on a décider de continuer de chez nous ce que l’on faisait déjà : dessiner la ville”, se souvient l’illustrateur. Depuis la fenêtre, le balcon, le toit… Tous les postes d’observation étaient bon pour croquer Strasbourg depuis chez eux. À l’automne dernier, les deux artistes ont décidé de publier le fruit de leur travail. Feuilles volantes reprend une partie de leurs croquis. Il est disponible à la vente à la Librairie le Tigre.
Plaisir de te retrouver sur sur le net (info donnée par Léa)
A bientôt,
Marc