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Bastion 14 : connaissez-vous ce gigantesque atelier caché derrière la gare ?

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Rue du Rempart, à quelques mètres seulement de la terrasse de La Grenze, et dans le prolongement d’autres fortifications militaires – dont certaines encore en activité, utilisées par l’armée, et bien surveillées – se trouve au numéro 14 un bâtiment imposant qui dénote un peu. Avec ses fanions qui flottent au vent, un terrain de pétanque improvisé dans sa cour et des chaises multicolores qui parsèment le gazon, le passé militaire de cette bâtisse semble bien lointain… Bienvenue, vous êtes arrivés au Bastion 14, une institution dans le paysage culturel strasbourgeois, que les amateurs d’art reconnaîtront probablement, mais qui reste encore méconnue d’une majorité de Strasbourgeois. À l’occasion des Ateliers Ouverts (qui ont lieu deux week-ends par an), on est passé y faire un petit tour afin de te présenter ce lieu unique, porté par la ville de Strasbourg, et investi depuis vingt ans par des centaines d’artistes.




Bunker ou atelier : c’est quoi, le Bastion ?

Lieu ouvert il y a un peu plus de 20 ans, à l’initiative de Gabrielle Kwiatkowski, responsable du département «Arts plastiques» à la Ville de Strasbourg, le Bastion 14 (ou Bastion XIV) était jusque-là, occupé par l’armée. On y trouvait alors le Centre des télétransmissions comme l’indique le panneau d’origine, laissé à l’intention de ses visiteurs, à l’entrée.

Depuis sa reprise par la Ville, une vingtaine d’ateliers ont été aménagés en son sein, tout en conservant l’architecture d’origine. Investi par des générations d’artistes qui se sont succédé, on croise çà et là, une fresque abstraite qui s’effrite, des dessins griffonnés sur les murs, une œuvre gigantesque dans un couloir, le tout dans une ambiance de vieux bunker. Décalage. On se croirait dans un squat berlinois, le tout, à deux minutes seulement du centre-ville strasbourgeois.



Dans les ateliers, donnant tous sur l’énorme jardin, les pratiques se mélangent, et pas un ne ressemble à celui des voisins. Canaps et plantes vertes pour certains, minimalisme pour d’autres. Œuvres monumentales, photographie abstraite, céramiques colorées, peintures trash ou illustrations enfantines : le Bastion est un patchwork à l’image de ses occupants et de la création locale. Une explosion de styles, de couleurs… Chacun y trouvera son coup de cœur.

L’atelier partagé d’Elsa Naude, Hélène Bléhaut et Camille Drai © Fanny Soriano / Pokaa




Mais qui sont ces artistes ?

Au départ, ils n’étaient qu’un par atelier, une vingtaine en tout. Loués par la Ville à un prix attractif et compétitif de 50 euros mensuel (et sans charge !), pour une durée d’occupation de deux ans, renouvelable une fois, ces ateliers ont rapidement eu raison de leur succès. Depuis, la Ville a augmenté sa jauge à deux artistes par atelier, jusqu’à parfois trois, selon les pratiques. Des rencontres inédites entre des marionnettistes et des illustrateurs, ou des vidéastes qui croisent des plasticiens… Une démarche que défend Gabrielle Kwiatkowski, trouvant qu’il est, au final, « intéressant de faire voisiner des artistes, parce que les uns peuvent apprendre des autres, et que cela renforce l’idée d’une communauté, les liens de partage d’infos, et de réseaux. Ce qui pouvait apparaître, peut-être, au début comme un défaut, une limite, est vu désormais comme un avantage ».

Ainaz Nosrat © Fanny Soriano / Pokaa


Mais pour devenir un « Bastionné », cela commence par une sélection. À chaque rentrée, aux alentours de septembre-octobre, les admissions sont ouvertes. Le Bastion 14 annonce le nombre de places disponibles et les artistes – professionnels – ont six à huit semaines pour postuler. Chaque année, entre quarante et soixante candidats se bousculent face à un jury de professionnels du milieu artistique et culturel, où l’on peut croiser, par exemple, Bernard Goy, conseiller pour les arts plastiques, du Ministère de la Culture détaché à la région Grand Est.

Les candidats étant majoritairement des artistes tout juste diplômés, ou en début de carrière, cela permet également pour les professionnels du milieu, présent dans le jury, de faire un état des lieux de la jeune création. Et ainsi, repérer les talents, parfois directement à leur sortie d’école, afin de les faire rentrer dans le circuit de l’art, ou tout du moins, de les encourager dans leur pratique. À l’instar des pépinières d’entreprises, le Bastion sert d’incubateur pour les artistes. Un tremplin que la Ville a d’ailleurs étendu à de nouveaux locaux, tant la demande reste importante. Le site de la Coop accueille donc depuis deux ans une extension du projet, avec l’espace de la Virgule et Les Ateliers Bois.



Bastionnés passionnés

La liberté offerte par le lieu, et la diversité des savoir-faire a permis à certains artistes, plongés dans ce microcosme créatif, d’évoluer dans leur pratique. Gabrielle Kwiatkowski explique qu’il n’est pas rare que certains s’émancipent de leur spécialité première pour se mettre à écrire, sculpter, filmer… C’est ça, l’expérience Bastion.


Sur les 300 artistes qui sont passés par la pépinière, plutôt que de citer des parcours exemplaires, des Bastionnés renommés, Gabrielle Kwiatkowski préfère mettre l’accent sur l’ensemble de ces pensionnaires passés ou actifs. Elle se réjouit qu’en plus de vingt ans, presque aucun n’a abandonné son art. Tous ont profité de l’opportunité donnée par le Bastion pour s’accomplir et développer sa création, même une fois sorti de ses murs. Un exploit, au vu du nombre passé par là, et la difficulté, parfois, pour un jeune artiste, de s’installer professionnellement. Elle note cependant qu’« actuellement, et depuis plusieurs années, il y a plus d’artistes qui ont une diffusion nationale voire internationale […] et qui se retrouvent dans des collections publiques, des expositions… ».



Des moments-clés

Elle explique que le Bastion est un « observatoire formidable pour voir les pratiques des artistes et leurs évolutions », que celui-ci s’est, depuis peu, ouvert aux illustrateurs. Un tournant effectué, il y a 7-8 ans, peu après la création de Central Vapeur – qui a fêté ses dix ans l’an dernier – et les Rencontres de l’édition qui célébraient, elles, cette année leurs 6 ans.
Elle y voit « une façon de les accepter, de les intégrer dans une démarche plus large des arts plastiques, car longtemps il y a eu un clivage [vis-à-vis de] cette pratique – pourtant très ouverte et qui sort de l’édition et du livre ». Précisant que « c’était un moment très important pour [elle], que l’arrivée des illustrateurs et illustratrices au Bastion 14 ».

Sur les vingt ans du Bastion, elle se souvient en particulier de deux événements. La première, Bastion Commun : une exposition collective en 2015, où une vingtaine d’artistes avait investi le Barrage Vauban, des cellules, au couloir jusqu’au toit panoramique. Et la deuxième, en 2019, pour célébrer les vingt ans des Ateliers Ouverts, une fête avait été organisée par Accélérateurs de Particules – comme à chaque édition de l’époque pré-Covid – une soirée d’inauguration « magique », avec concerts et feux d’artifice depuis le Bastion.

Tae gon Kim et sa lumineuse création © Fanny Soriano / Pokaa



Le dernier projet du Bastion, a eu lieu en novembre 2021 : la présence d’une trentaine de Bastionnés à la foire d’art contemporain St’Art. Une belle initiative, surtout après la crise du Covid. Gabrielle Kwiatkowski insiste d’ailleurs à ce propos sur « la capacité de résilience » des artistes qui, pourtant sans intermittence (a contrario du secteur des arts du spectacle et arts vivants), ont su rebondir, se réinventer, parfois. Elle a été impressionnée par les pensionnaires qui ont toujours manifesté « un besoin d’aller à l’atelier, et quoi qu’il en soit, poursuivre le travail, mais sur d’autres aspects : prendre le temps, voir ça comme un chance, reconsidérer son travail autrement… », en reprenant parfois des projets abandonnés, etc.



Le Bastion 14 apparaît donc comme une bulle propice à la création pour ses artistes, et d’un point de vue artistique : un pôle irremplaçable dans le champ culturel strasbourgeois. Ateliers Ouverts, vernissages en tout genre : ne ratez aucune occasion d’aller vous perdre dans ses couloirs à la peinture usée, et découvrir aussi les artistes hors des musées.


Le Bastion 14
Sa page sur les Ateliers Ouverts
Le compte auto-géré du Bastion 14 sur Instagram

Où ?
1 rue de Rempart, 67000 Strasbourg


Dans l’atelier de Violette Graveline, artiste scénographe et plasticienne
© Fanny Soriano / Pokaa

Fanny Soriano

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