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Strasbourg : la tulipe aux yeux verts

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Hier était un jour tellement particulier dans ma vie, qu’Étienne Daho aurait pu en faire une chanson. Le premier matin du reste de ma vie. Un titre dans le genre, avec des violons, un peu de guitare et une voix au timbre reconnaissable dès les premiers instants.

Depuis samedi, c’est simple, je revis. 

J’avais un peu l’impression de faire ma rentrée des classes à 32 ans, après plusieurs semaines de « vacances » forcées, préparant mon sac à dos la veille, mon futur déjeuner et les clés d’une boutique silencieuse depuis bien  trop longtemps. Les fleurs ne sont pas des produits de première nécessité d’après nos responsables politiques, et pourtant, messagères parfumées, elles déposent des mots doux dans les cœurs, des senteurs dans les yeux, de l’émotion, relayant des déclarations timides ou passionnées, adoucissant des condoléances amères parfois aussi.

Au petit matin, alors que Strasbourg faisait encore la grasse matinée, j’ai pris mon vélo avec un nouveau sentiment de liberté dans l’avant-bras. Un vent frais malmenait mes joues encore trop peu habituées au monde extérieur. Le soleil, fier, m’a fait comprendre en une fraction de secondes, qu’aujourd’hui le ciel serait bleu comme un jour de printemps en plein mois de novembre. Tout était calme, un peu comme dans 28 jours plus tard, les zombies en moins, l’épidémie de Covid dans toutes les têtes.

Aujourd’hui, j’ai l’impression du sortir du coma et de quitter l’hôpital de mon appartement.

Tout en pédalant, je me suis mis à me demander quel type de fleurs Diego Maradona souhaiterait voir recouvrir sa tombe, là-bas à Bellavista au nord-est de la capitale argentine. Du pavot peut-être. Des roses aux épines sauvages. Des jonquilles sur lesquelles les abeilles viendraient butiner une partie du talent et du génie de Pibe de Oro, ce gamin en or qui s’en est allé chauffer la place de Pelé au paradis des légendes à l’âge de soixante ans.  Mon père a encore du mal à se remettre de cette nouvelle toute fraîche,  lui qui me ressasse d’une voix  tremblante ce fameux Argentine – Angleterre de 1986 à chaque repas de Noël. Dieu, comme le surnomment les Barra brava,  ces supporters de football argentins, aura à jamais marqué l’histoire de sa main divine ou son pied magique. Espérons que les attaquants du Racing et de la SIG regardent ses vidéos en boucle afin de trouver  l’inspiration pour quitter la zone sombre du championnat.

Un soupçon d’Amérique latine s’invite dans la capitale alsacienne. Je danse le tango avec ma monture fatiguée, traversant le Boulevard Wilson comme un gaucho traverse la pampa à la recherche d’une bête égarée. J’arrive à destination, le cœur palpitant, comme lorsque je signais il y a 5 ans, le bail de ce local pour redémarrer une nouvelle vie après plus de dix ans en tant que chargé de communication dans une agence de publicité.

La grille grinçante de ce palais de pétales s’élève centimètre après centimètre. Les boyards floraux se trouvent de l’autre côté. J’ai hâte de m’activer, de remplir la surface vide de bouquets, de plantes aux noms latins enivrants. Orchis – Tulipa – Rosa. C’est un nouveau monde qui se crée sous mes yeux pendant que le livreur décharge déjà des colis qui sentent bon la mousse et l’écorce mouillée. Petit à petit, les réflexes reviennent. Le sécateur dans la main, des morceaux de tiges commencent à recouvrir le sol et les compositions naissent comme par magie. C’est un feu d’artifices sans bruit, si ce n’est celui des Arctic Monkeys qui fredonnent 505 dans mon dos. Les mains sur les hanches, je contemple le résultat avec une fierté non dissimulée.

Dans quinze minutes, le magasin ouvrira ses portes et la vie reprendra un peu comme avant. La pancarte pivote puis affiche « ouvert ».

Je guette les clients comme un marin guette un phare au milieu de la nuit. J’ai presque les mains moites, me demandant même si je ne me suis pas trompé de jour, si je ne risque pas de prendre une amende et si tout ça est bien réel.

Une petite fille se poste soudainement devant l’entrée, suivie de celle qui doit certainement être sa mère. Elles entrent d’un pas léger dans mon univers, un sourire radieux en guise de bonjour.

« Hum, comme ça sent bon. Ça m’avait manqué. »

Emma, comme indique l’étiquette brodée sur la capuche de sa veste rouge trop grande, se ballade ébahie, posant mille questions à sa maman.

Pourquoi les fleurs ont des couleurs ? – Pourquoi ça sent comme la lessive de Mamie ? – Pourquoi il faut les arroser ? Est-ce qu’elles naissent dans de grands pots ? Comment elle s’appelle celle-là ?

C’est une tulipe aux yeux verts pas plus haute qu’une chaise qui illumine la pièce. En la regardant, je suis fier de faire ce métier, de planter un jardin au cœur de ma ville, entre les mauvaises herbes qui nous obligent à vivre masqués. J’aime lorsque qu’une fleur aux dents de lait pétille au milieu d’un mur fissuré, lorsque la beauté parle d’elle-même, lorsque l’avenir n’est pas artificiel et lorsque nous nous mettons à nu, vulnérables, nous exposant à faner pour atteindre le ciel comme un haricot magique pressé.

Elle cueille une marguerite comme on cueille une étoile, avec hésitation, douceur, tendresse, écrasant un carreau d’herbe fraîche touffue comme si elle pouvait palper ce champ imaginaire dans lequel elle court pieds nus. Les feuilles se laissent bercer sans pudeur. Le fumier du dehors s’évapore par les cheminées pressées. Immortelles et perce-neige ne font plus qu’un sous un buisson d’argent. Les coquelicots parlent et les roses divaguent. Au loin, une coccinelle rase la paille d’un pré pendant que les cloches sonnent et sonnent encore au milieu du village et alors que l’eau s’étale, les nénuphars s’embrassent sous l’œil d’un crapaud gonflé à bloc.

 Elle lui tend un bouquet unique, réveil palpitant métamorphosant les arômes blonds de ses cheveux fragiles, narguant la sévérité du froid, secouant le givre des regards.

« C’est pour toi Maman. »

Par ce geste simple, il se passe quelque chose de rare et d’essentiel. La renaissance de valeurs restées trop longtemps figées dans l’espoir d’un vaccin américain, chinois ou russe. Le partage. La fraternité. L’échange. La découverte de l’autre. La tentation. Tout ça ne se fait pas par Skype. Juste l’humanité. Juste nous regarder à nouveau. Nous sentir. Nous comprendre un peu mieux. Juste un enfant qui tend un bouquet de fleurs à sa maman.

Juste quelque chose d’essentiel.

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