Confinement, généralisation des mesures sanitaires, couvre-feu et potentiel reconfinement imminent : depuis le mois de mars, les cinémas, victimes collatérales de la crise sanitaire, bataillent pour garder la tête hors de l’eau. Après cent jours rideau baissé et une réouverture le 22 juin, les salles se sont retrouvées privées de nombreux films américains, et ont rouvert leur portes à un public plus attiré par les terrasses et le soleil d’été que par la pénombre d’une projection. On est allé demander aux cinémas indépendants de Strasbourg où ils en étaient, six mois après le déconfinement.
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Juin : une reprise difficile
Si le Saint-Exupéry et le Star ont perdu beaucoup de recettes durant la fermeture des cinémas (plus de 390 000 euros), le déconfinement a finalement été encore plus compliqué pour les deux établissements : “On s’est retrouvés sur un marché estival complètement dévasté, avec un public qui avait peu d’envie d’aller au cinéma puisque les gens étaient en pleine respiration” rembobine Stéphane Libs, gérant des cinémas Star.
De son côté, depuis la réouverture de ses deux salles, l’Odyssée enregistre une chute de 43% de la fréquentation globale, et se situe ainsi dans la moyenne basse. “On est arrivés à créer une certaine confiance entre nos publics et notre programmation”, se targue son directeur et programmateur, Faruk Günaltay. Le cinéma a d’ailleurs innové pour conserver un contact virtuel avec son public durant la fermeture de mars à juin, en proposant des chroniques et recommandations ciné sur son site et ses réseaux sociaux (sur Facebook, Youtube et Instagram).
Dans les salles du Vox, c’est une autre histoire. Début 2020, le cinéma prenait un nouveau souffle avec un hall entièrement refait à neuf, l’ouverture d’un café et une déco colorée et fraîchement renouvelée. Des travaux qui, associés à une palette d’animations (stand-up, opéras ballet, concerts en salle…) avaient permis à l’établissement de renouer avec les spectateurs. Mais le Vox étant un cinéma grand public et de facto dépendant des productions américaines, la crise sanitaire l’a heurté de plein fouet. “Généralement, les films américains représentent 80% de notre programmation l’été, explique Eva Letzgus, co-gérante du Vox. Cette année, on en a été complètement privés puisque les studios hollywoodiens reportent leur sortie à 2021. Par effet domino, le calendrier mondial des sorties est affecté.” Les salles du cinéma – dont une septième vient d’être inaugurée il y a quelques jours – enregistrent ainsi une baisse de 84% de fréquentation depuis sa réouverture en juin.
Une fréquentation variable selon les cinés
Avec de tels chiffres, le Vox occupe la triste première place sur le podium des cinémas strasbourgeois les plus touchés par la crise sanitaire. Pour Eva Letzgus, cela s’explique par plusieurs facteurs : “On n’a pas la puissance d’un grand circuit national comme l’UGC, et on ne bénéficie pas non plus d’un soutien financier public comme c’est le cas des cinémas d’Art et essai. Et comme on a une programmation grand public, on a aussi plus de spectateurs occasionnels” détaille la co-gérante.
À l’inverse, l’Odyssée s’en tire avec de meilleures statistiques, puisqu’il n’est ni tributaire des studios américains, ni dépendant du calendrier des sorties commerciales des catalogues des distributeurs en France. Et pour cause, ce cinéma, animé par les rencontres cinématographiques d’Alsace, bénéficie d’une délégation de service public depuis 1999. À contre-courant des tendances majoritaires, l’établissement a vocation à faire (re)découvrir des films français et européens. “L’Odyssée organise 4000 séances par an avec uniquement deux salles. 63% des séances sont consacrées aux films européens, dont 52% aux films non français, alors que la moyenne des cinémas en France est inférieure à 5% pour les films européens non–français” détaille Faruk Günaltay.
Mais évidemment, le directeur, qui parle passionnément de l’Odyssée comme d’une “vieille dame” avoue que les pertes sont irrattrapables : “C’est une année noire, et l’on doit s’attendre à une année 2021 qui sera également difficile.”
Septembre : le retour dans les salles
Pour le Vox, la fin de l’été a toutefois permis d’observer une certaine amélioration. Si le cinéma continue d’ouvrir à perte depuis le mois de juin, il s’est rapproché d’un certain équilibre économique à la rentrée, mais sans jamais l’atteindre.
L’effet “rentrée” a été plus visible dans les cinémas Star : il y a eu la sortie du blockbuster “Tenet”, le succès de la comédie “Effacer l’historique”, le festival Ciné-Cool, puis les vacances de la Toussaint et la sortie de “Drunk” et d’ “Adieu les cons”… Résultat, “pour la première fois depuis la fermeture du mois de mars, cela fait deux jours qu’on enregistre enfin des entrées normales” se réjouit le gérant, avant de s’assombrir. La veille de notre entretien, une nouvelle mesure gouvernementale tombait sur Strasbourg, pour complètement rebattre les cartes : “C’est là que le couvre-feu arrive”.
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Octobre : la ville sous couvre-feu
Alors que le Star remontait tout juste la pente, le gérant encaisse difficilement la nouvelle. “Les séances de 20h représentent 40% de nos recettes de la journée, c’est terrible d’en arriver là. On a fait des efforts, on s’investit énormément dans les animations, les venues, les festivals… Le week-end prochain il y a le festival du Film Fantastique, puis le festival Augenblick sur l’ensemble du territoire alsacien. Tout est à revoir” déplore Stéphane Libs. “Si on n’a plus d’animation on n’a plus de visibilité, et sans vitrine on n’existe plus”.
Car l’annonce du couvre-feu ne signifie pas seulement l’annulation des séances du soir : certains films français, frileux vue la situation, préfèrent reporter leur sortie. “Quand le gouvernement prend cette décision de couvre-feu, il ne pense à aucun moment que le cinéma est un marché. Ce marché est déjà privé du cinéma américain, mais il va en plus devoir se passer de grands films français. Si on a trois-quatre gros films de novembre qui sautent, les salles ferment, parce que ça n’a plus aucun intérêt”, explique le gérant du Star. Pour pallier à l’incertitude ambiante, les cinémas Star ont pris les devant et proposent d’ores et déjà “Zoom”, un condensé de l’actu ciné en vidéo.
Eva Letzgus s’inquiète également des répercussions sur le chiffre d’affaires, mais aussi de l’avenir du secteur culturel en général. “La culture représente énormément d’emplois en France, on ne peut pas laisser le monde du spectacle mourir à petit feu. Le cinéma est un lieu social fondamental dans la cité, avec un accès égalitaire à moindre coût. C’est notre mission, et on n’a pas envie d’être abandonnés par la Ville. On veut que Strasbourg continue à vivre et à rayonner culturellement”.
Des mesures sanitaires pour un visionnage sécurisé
Le refus d’une dérogation gouvernementale au couvre-feu pour maintenir les séances de 20h apparaît comme une injustice pour les professionnels du cinéma, qui ont déployé des moyens importants afin garantir la sécurité de leurs spectateurs, dont ils ont besoin pour vivre. “Dans la salle de cinéma l’air est renouvelé, le masque est obligatoire, il y a une distanciation sociale… On n’est pas face à face comme dans les transports en commun, et on est statique, pas comme quand on fait ses courses, donc c’est une pratique culturelle sécuritaire” défend Eva Letzgus. Et Stéphane Libs, de renchérir : “En tant que citoyen et spectateur, on se retrouve face à des libertés contraintes. Le cinéma est un antidote à tout ce qui se passe en ce moment.”
À quelques heures du discours d’Emmanuel Macron et face à l’éventualité d’un reconfinement national, on espère que nos cinémas locaux, comme toutes les structures culturelles, auront dans les prochains mois tout le soutien qu’elles méritent. Bon courage à tous.
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Pauline Allione