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Strasbourg : les premières 20 minutes du reste de ma vie

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La dernière fois que ma mère a débarqué dans ma chambre pour me sortir du lit un dimanche matin, c’était pour faire en sorte que je ne sois pas viré d’un job d’été à Europa-Park, après une semaine de bons et loyaux services à orienter des visiteurs sur un parking bondé. Faire le même geste pendant huit heures, tout en souriant à des gamins surexcités à la recherche d’un saisonnier à torturer qui survit dans un costume de souris étouffant… Il faut être masochiste ou vraiment vouloir se l’acheter, cette petite Twingo d’occasion repérée sur le Bon coin.

Ce boulot, je l’ai obtenu à l’époque grâce au cousin d’un copain de ma mère qui travaille au parc comme machiniste depuis une vingtaine d’années. Après avoir passé une dizaine de coups de téléphone et promis une contrepartie secrète à son interlocuteur (une soirée poker clandestine ou une choucroute aux poissons au Kamerzell), elle me décrocha un entretien d’embauche avec la responsable logistique, ce qui est une prouesse puisque je parle allemand aussi bien que Franck Ribéry parle français. Alors je lui dois bien ça, et puis il y a deux choses avec lesquelles ma mère ne plaisante pas :

Lui parler pendant un épisode de Good Girls et assumer ses responsabilités.

Lorsqu’elle visionne cette série, elle est capable de me trancher une phalange de sang-froid avec un Curly si je prononce le moindre mot. Elle est hypnotisée par ce chef de gang tatoué à la voix rocailleuse qui charme une mère de famille pour en faire une trafiquante de faux-billets. Peut-être qu’en préparant des muffins ou du brownie aux noix de pécan, elle s’imagine qu’il débarquera dans sa cuisine créée sur-mesure pour la prendre sauvagement sur un plan de travail fariné en grès des Vosges.

Pour les responsabilités, elle est encore plus intransigeante, que ce soit pour annoncer ma rupture de vive voix à ma première petite copine du collège ou pour avouer franchement ma pitoyable tentative de vol d’un paquet de Pépito au directeur du Carrefour Market de la gare de Strasbourg. Dans une situation comme dans l’autre, elle m’a donné les clés pour faire face à un épisode délicat, pour l’affronter, pour pouvoir me regarder dans une glace même si sur le moment le malaise était palpable et que j’aurais préféré prendre mes jambes à mon cou pour ne plus jamais recroiser les personnes concernées.

Alors ce matin, même si le réveil est épouvantable suite à une nuit mouvementée à faire la conversation avec des pintes de bière au Phonographe et au Fat, j’ai décidé de lui montrer qu’elle peut compter sur moi, sur mon engagement et mon sens civique. Très honnêtement, au moment de me mettre debout, j’ai failli rebrousser chemin vers ma couette, une haleine de chacal me prenant par la main, un mal de tête tentant de m’hypnotiser vers ce matelas pourtant si confortable. Mais ma mère, cet ange aux yeux bleus parfumés à la Toscane qui pourrait être la muse d’une chanson de Sufjan Stevens (« Mystery of Suzanne » ou un truc poétique comme ça), avait déjà déposé une tasse de café sur le lavabo de la salle de bain ainsi qu’un Doliprane et un post-it jaune froissé.

Départ à 10h30. Carte d’identité + carte d’électeur.

Hier, en fin d’après-midi, avant de rejoindre mon groupe de potes, elle a prit la voix solennelle qu’elle ne prend que pour m’annoncer des choses cruciales. Le décès de papi Louis – Sa promotion – Son intention de divorcer – L’arrivée d’un chaton dans la famille – Notre déménagement en Alsace. C’est cette voix à la fois déterminée mais tendre comme pour me demander calmement et sans tabou si je savais mettre un préservatif, si j’étais informé des MST à la mode, sur la pilule du lendemain ou l’alcool au volant. À l’époque, je soufflais comme n’importe quel adolescent soûlé l’aurait fait à chacune de ses paroles, lui répondant par un « oui ! Je sais maman, je n’ai plus six ans », mais hier, lorsque j’ai vu les professions de foi des candidats aux élections municipales strasbourgeoises sur la table, j’ai compris qu’il était peut-être temps de m’intéresser à ce bulletin de vote que j’allais déposer dans l’urne ce matin.

« Peu importe pour qui tu voteras. Tu peux même voter blanc si aucun des programmes des candidats qui se présentent ne te convient, mais va voter, va faire entendre ta voix pour participer au monde de demain. Je sais que ce que je te dis parait basique et je ne suis pas là pour te faire la leçon, tu es majeur depuis quelques mois maintenant mais c’est une chance de pouvoir t’exprimer et de participer à l’élection du futur maire de ta ville. Veux-tu donner du poids à l’environnement, à la protection animale, à la culture, à la solidarité ou veux-tu vivre avec une politique qui divise, isole, fracture les gens et qui nous retranche de plus en plus dans nos limites, dans nos communautés ? Veux-tu un monde où la mort se cache à chaque coin de rue en fonction de ta couleur de peau, où les 26 personnes les plus riches gagnent autant que la moitié de l’humanité, où des animaux sont enfermés au parc de l’Orangerie pour nous divertir, où demander l’asile pour ne pas mourir dans ton pays d’origine est remis en cause ? Veux-tu subir les yeux grands ouverts et te plaindre ensuite en jouant à la PS4 sur ton canapé ? Veux-tu devenir un fantôme comme tous ceux qui baissent les bras et critiquent sans même avoir essayé de contribuer au changement ? Qui veux-tu devenir et que veux-tu faire pour faire valoir tes idées, tes droits et ta vision du monde ? Si tu ne le fais pas, les autres ne le feront pas à ta place ».

Sur la table de la cuisine, des noms inconnus circulaient. Catherine Trautmann, Jeanne Barseghian, Alain Fontanel, Jean Philippe Vetter. J’ai pris une heure d’un dimanche pas comme les autres pour lire les propositions de ces visages dont j’ignorais l’existence ou presque, il y a quelques jours encore, réalisant qu’en France, 76 % des 18-25 ans sont inscrits sur les listes électorales, mais seulement 33 % d’entre eux avaient prévu de se déplacer pour le premier tour du scrutin des municipales. C’est beaucoup moins que pour l’ensemble des Français qui, pour 56 % d’entre eux, sont volontaires pour participer à ces élections. Un recul de 22 points par rapport à la participation en enregistrée en 2014.

Moi aussi j’aurais pu me trouver des excuses. Le beau temps. Faire une sieste ou un barbecue. Aller à la piscine ou au Bagersee. Regarder Netflix ou bloquer sur Facebook. Dire que tout ça ne sert à rien. Et pourtant, à 10 h 30, j’étais prêt à aller poser une des pierres des premières heures du reste de ma vie, sans Etienne Daho en bande-son, dans un isoloir, seul, comme un cri silencieux à ceux qui orientent le monde de demain depuis un bureau confortablement équipé. Ça m’a pris quoi, vingt minutes ? C’est quoi vingt minutes dans une vie ?

Sur le chemin  du retour, j’en ai profité pour envoyer un sms à Marco, Lucie, Fred et Emma qui devaient être en train de se réveiller avec une gueule de bois mémorable.

« Salut les quenelles! Vous faites quoi les vingt prochaines minutes du reste de votre vie ? »

Photo de couverture © Martin Lelievre

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