Après avoir fait un tour du côté de la Petite France pour une petite leçon d’histoire, puis de la Krutenau pour prendre des nouvelles, allons à présent faire un tour du côté du quartier gare de Strasbourg !
Car non, le quartier gare ce n’est pas juste le Graffalgar, les taxeurs de clopes et les rues qui puent la pisse. Bien au contraire : c’est un quartier qui en jette et qui prend de plus en plus de valeur sur le marché. La gare, c’est le quartier des classes populaires, des artistes, des bobos et des cailleras. C’est un melting pot unique où se croisent voyageurs fortunés, gens de passage et punks à chien dans un joyeux brouhaha. C’est les pigeons, les touristes, les klaxons, le balai incessant des trams de la CTS, les “rouge piétons”, les fast-food et les taxis. Comme son nom l’indique, le quartier de la gare vit au rythme de l’activité frénétique de la gare de Strasbourg, porte ouverte vers le monde depuis belle lurette à présent.
Il était une fois, la gare de Strasbourg…
Il y a fort fort longtemps, en 1841, la gare était installée dans le village de Koenigshoffen, pas très loin finalement de son emplacement actuel. Il s’agissait alors d’un embarcadère pour les besoins des soldats et des militaires. Car oui, c’était la guerre. Une décennie plus tard, la gare déménage pour une version plus moderne et se retrouve rue du Marais Vert, à la place actuelle de notre bon vieux Centre commercial des Halles, juste à côté de l’ancienne synagogue.
En 1870, notre ville est allemande et devient une vitrine et un centre économique de l’Empire Germanique. Hors de question d’avoir une si petite gare pour une si grande puissance. La “gare des halles” devient alors une halle commerçante où l’on achète fruits et légumes, objets de brocanteurs, armes, livres ou vêtements. Et c’est en 1878 que débutent les travaux de la troisième gare, celle que l’on connaît actuellement (oui, juste en dessous de l’énorme verrière).
Elle sera inaugurée en 1883, avec le premier passage de l’Orient-Express, ce train légendaire qui permettait de rallier Paris et Istanbul ! Achevée en 1898, la nouvelle gare de Strasbourg deviendra l’un des édifices emblématiques de la Neustadt avec son architecture imposante unique, sa façade de 128 mètres, en grès des Vosges s’il vous plait, son complexe ferroviaire de 37 hectares, bref, un symbole du savoir-faire allemand.
La mutation du quartier de la gare
Après le siège de 1870, la vocation maraîchère du quartier disparaît entièrement. Les maraîchers laissent peu à peu leur place à des entreprises de l’industrie de l’habillement, de l’ameublement, de la petite mécanique, des ateliers d’artisans, des entrepôts et des commerces de gros. Les échanges commerciaux entre la ville et la campagne sont alors essentiels, et c’est à travers le quartier gare que déambulent en permanence les nombreuses charrettes tirées par des chevaux, remplies de vivres à destination de la population citadine.
Les abords de la gare ont pris cher durant le siège et peu d’édifices ont résisté aux tirs dans cette partie de la ville (même si en se promenant, on peut encore en apercevoir quelques ruines). Les boulevards et toutes les rues adjacentes comme les rues Kuhn, du Maire Kuss et de la Course ont été reconstruites “en éventail” autour de la place de la Gare. Le Faubourg National, le Faubourg-de-Saverne et le Faubourg-de-Pierre relient les fortifications au centre. À l’endroit de la rue du Faubourg-de-Pierre, une ligne de tramway (en réalité, une voiture tirée par des chevaux, la vapeur étant alors interdite en ville !) est inaugurée en 1878 puis électrifiée en 1895.
Pour ce qui est de l’immobilier, le quartier-gare a un charme bien à lui. Avec de magnifiques immeubles de rapport, souvent de la période de la Neustadt, et des immeubles plus anciens avec de belles structures en bois et des poutres apparentes. Les rues adjacentes à l’actuel boulevard de Lyon abritaient déjà à cette époque des modèles d’habitat social destinées aux “familles pauvres et méritantes”. Les premières opérations de logements sociaux voient le jour entre les rues de Mutzig et de Wasselonne et permettent aux ouvriers et aux cheminots de s’installer.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le quartier Gare n’a pas perdu de sa superbe. Souvent catalogué comme “sensible” par ceux qui ne s’y rendent que pour attraper un train, il est bien dommage de s’arrêter à cette opinion. Le quartier Gare, c’est aussi la Laiterie, le Molodoï, Ososphère, la Semancerie. C’est du street art à tous les coins de rue, des bars, des commerces et des restaurants surprenants avec des ambiances qu’on ne trouvera jamais au centre-ville.
C’est un quartier qui peut donner l’impression d’être ailleurs, animé, hors du temps, authentique, brut. C’est un spot de choix pour les photographes qui offre un prisme unique sur la ville et nous plonge dans une partie de son histoire. À l’arrière de la gare, il existe même un petit chemin qui longe les jardins familiaux d’un côté, et une rivière de l’autre, sur deux ou trois kilomètres. C’est un bol d’air frais, de couleurs et d’odeurs que peu de Strasbourgeois connaissent, et l’un des secrets bien gardés des habitants du quartier.
De mon côté, j’espère vous avoir donné envie d’y mettre un pied de temps en temps. Le déconfinement sera l’occasion de vous laisser tenter. Bisous Strasbourg !
Le “balai” incessant des trams. Vous êtes meilleur en photo qu’en vocabulaire…