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Strasbourg racontée par un jeune couple d’expatriés turcs

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Le weekend du 24 juin voyait les élections turques occuper le devant de l’actualité : les expatriés s’alignaient pour aller voter au Consulat de Turquie avenue des Vosges, réélisant à une grande majorité le président Recep Tayyip Erdogan dès le premier tour. Près de 70% de votants turco-strasbourgeois ont voté pour lui, soit un pourcentage bien supérieur au 52% de Turcs dans le monde à avoir fait le même choix. La situation en Turquie reste tendue dans un régime autoritaire et conservateur qui tend de plus en plus vers la dictature. Quoi qu’il en soit, l’Alsace et Strasbourg sont des foyers de choix pour la diaspora truque, avec respectivement près de 700 000 et 35 000 habitants d’origine turque. Parmi eux, on a rencontré deux jeunes musiciens turcs ayant passé un peu moins d’un an à Strasbourg. Ils viennent de repartir à Istanbul avec un gros pincement au cœur.

Ceren et Ozan sont un jeune couple d’expatriés turcs. Ils adorent leur pays et sa culture mais les récentes évolutions politiques et le climat social les a poussés à se décider à trouver le moyen de rejoindre des amis strasbourgeois. A 22 et 23 ans, ces deux stambouliotes, étudiants en sociologie et en architecture, ont trouvé un espace de liberté dans notre belle Eurométropole. Si tout n’est pas parfait, ils ont pu développer ici leur passion première : la musique, et même se faire assez bien connaître du petit milieu musical strasbourgeois, notamment via leur groupe Seyyah. Malheureusement pour eux, les démarches administratives françaises et l’état des relations franco-truques les empêchent de rester. Depuis quelques jours, ils viennent de rentrer à Istanbul dans l’optique de terminer leurs études et probablement reprendre un master ici à Strasbourg.

La musique les suit même dans leurs activités en dehors de Seyyah. Ozan et Ceren travaillaient tous les deux dans une association strasbourgeoise, l’association Balade. L’organisme, « engagé contre l’exclusion » travaille avec des enfants migrants ou en difficulté à travers le biais de la musique et d’ateliers musicaux. Ceren et Ozan, tous deux bons musiciens, ont réussi à s’intégrer à Strasbourg, malgré la barrière de la langue, justement grâce à la musique.

“Strasbourg est une ville superbement colorée”

Notre rencontre s’effectue à l’Atlantico où j’ai rendez-vous avec Ceren en fin d’après-midi. Elle revient de l’EYE et du YO Fest, cet événement louant les bienfaits de l’UE et de sa jeunesse, rassemblant des milliers de jeunes des quatre coins de l’Europe. Étonnant pour une turque, non ? Son petit ami, Ozan, n’est pas là, il est en train d’enregistrer des amis musiciens et de finaliser son album, un objectif personnel de son voyage à Strasbourg.

Vidéo @Inès Banzet pour Seyyah

Ceren m’explique que c’est ici, dans ce même bar, qu’ils ont décidé de créer leur projet musical Seyyah. C’est ici aussi qu’ils se diront au revoir avec leurs amis strasbourgeois, le lendemain, à quelques jours de leur départ.

« Lors d’un projet musical de l’association Balade, en Bosnie il y a quatre ans, j’ai rencontré Mathilde et un groupe de jeunes musiciens pour la plupart strasbourgeois. On a très vite très bien sympathisé et on est même resté en contact. » Ils se rendaient visite régulièrement. Les strasbourgeois venaient à Istanbul, et eux venaient à Strasbourg… « On voulait vraiment travailler ensemble. Quand on a réussi à arriver sur Strasbourg, c’est autour d’un verre à l’Atlantico que l’on a commencé à développer notre projet Seyyah. »

Seyyah, ça signifie voyageur en turc. Le Seyyah récolte des histoires sur son chemin parce qu’il est curieux et les raconte par la suite, tel un ménestrel ou un conteur. « On a joué dans pleins d’endroits différents, des bars, des rues, des scènes, des soirées, pour Hanuka, pour le Ramadan… Qu’importe le type de concert, le public devient Seyyah avec nous. Ils voyagent en dansant ou en fermant les yeux et en se laissant porter là où la musique peut les mener. » D’habitude, à la fin de leur voyage, les Seyyah produisent un livre de leurs aventures. Pour Ozan et Ceren, c’est l’album de musique qu’ils sont en train de finir de produire.

Seyyah signifie voyageur en turc

Au début de leur aventure, Ceren a commencé à faire des petites cartes de visite très basiques et faites main. Improvisation DIY : « J’ai pris une feuille de papier et j’ai gribouillé notre contact et le lien vers un album que l’on avait déjà produit en Turquie avec notre ancien groupe. On faisait de la musique traditionnelle turque. En reparlant avec nos amis musiciens strasbourgeois, on a décidé de continuer à en faire ici à Strasbourg. Ils étaient très enthousiasmés par l’idée alors qu’ils venaient tous de milieux, de cultures et d’origines différentes ! On a pu rajouter trois personnes à notre groupe, il y avait des français originaires du Maroc, du Venezuela, de l’Europe de l’Est… » Rendant le groupe un exemple extraordinaire de multiculturalisme et de diversité, tous réunis autour de cette musique traditionnelle turque.

Une fois le groupe formé, le duo a pu trouver des lieux où faire des concerts, et se lier avec d’autres musiciens. « On a commencé dans la rue, ça fait toujours un peu d’argent, et puis notre tout premier concert c’était au Diamant d’Or. C’est un endroit assez underground et un peu bizarre pour nous, mais c’était cool. » Lors de leurs démarches, les bars avaient tous un planning complet pendant au moins 3 mois. Du coup, le groupe a pu s’entrainer avant d’enchainer les dates au Camionneur, au Local, au Savons d’Hélène…

A Strasbourg, « on se sent plus libres ». Surtout Ceren, qui vivait mal sa situation en Turquie et avait l’impression de ne pas pouvoir s’émanciper en tant qu’individu. « La position de femmes en Turquie est compliquée, peut-être moins à Istanbul parce que pas mal de valeurs occidentales s’y sont implantées. » Même dans leurs chansons, qui font partie d’une culture que les deux chérissent, on retrouve des éléments traditionnels et conservateurs. « Il y a une chanson, vieille de 500 ans au moins, qui raconte la veille de la nuit de noces du point de vue d’une jeune femme. Elle va être « donnée » à un mari inconnu par son père et va devoir quitter son village. C’est un exemple d’une des raisons m’ayant poussé à quitter la Turquie. »

“À Strasbourg, on s’est senti plus libres”

« J’ai le droit de me balader avec une mini-jupe ou avec des manches courtes, mais si je le fais, je sens automatiquement tous les regards vers moi et j’aurais probablement des réflexions. Toute ton existence est rattachée à la religion, la famille ou un autre homme. Comment peut-on s’épanouir, se découvrir soi-même dans ces conditions ? Même les docteurs vous regardent mal quand vous demandez la pilule contraceptive avant le mariage ! On se sent impuissant, ça me donne envie de frapper dans un mur parfois. »

Pareil pour la politique, Ceren ne cache pas son opinion pendant qu’elle est en France. « On ne pourrait pas avoir cette conversation en terrasse en Turquie, sauf peut-être en Anglais. Si on t’entend parler contre le gouvernement, ou poster quelque chose sur les réseaux sociaux, tu peux perdre ton boulot facilement. C’est le cas de plusieurs collègues au théâtre municipal où je travaillais, mais aussi d’amis dans le secteur privé comme dans les banques ! »

https://www.youtube.com/watch?v=en8C3MJaRXI&feature=share

Leur passage en France a été une grande bouffée de liberté pour les deux jeunes gens. « On ne se sentait pas en sécurité. » Selon elle, entre 2015 et 2017 il y a eu près de 70 attentats, dont 18 dans la capitale Istanbul, où ils habitaient. Ceren en a été confronté à deux reprises. « Après une représentation au travail, j’allais me changer et j’ai entendu une énorme détonation. Le sol tremblait. Une bombe s’était déclenchée dans un stade à côté d’où l’on était. Je ne savais pas quoi faire. J’entendais des tirs à l’extérieur. Des policiers sont rentrés dans le bâtiment pour nous dire de descendre nous cacher avec les mains sur la tête. Les terroristes pouvaient potentiellement venir dans notre bâtiment. On est resté comme ça pendant une heure pendant que des échanges de tirs se déroulaient dehors. C’était un des moments les plus terrifiants de mon existence.

La vie en Turquie, Ceren en faisait des cauchemars

Une autre fois, une bombe a sauté à l’aéroport à 15 minutes de chez moi alors que ma mère venait d’atterrir et qu’on s’apprêtait à partir en vacances avec mon copain. J’ai appelé ma mère dès que j’ai su, elle m’a répondu, mais a raccroché en criant juste après… Heureusement, tout allait bien. On a l’habitude d’avoir les sirènes en permanence, la présence militaire etc, mais on ne se rend compte vraiment du danger qu’au moment où il vous touche directement.

Chaque jour sa mère lui demande de « faire attention ». Cette tension permanente, « faire attention » tout le temps, Ceren n’en pouvait plus. Elle en faisait des cauchemars. C’est une des raisons l’ayant poussé à venir en France.

https://www.youtube.com/watch?v=mwHBzS2fPMk&feature=share

La musique comme exutoire

Arrivé à Strasbourg, tout change ou presque. « Ici je suis libre ! Je peux faire ce qui me plait, dire et porter ce qui me plaît » explique Ceren. « Ça m’a réellement aidé à grandir et à apprendre sur moi-même, sur qui je suis et sur qui je veux devenir. Je ne peux pas parler pour toute la France, mais ici à Strasbourg, la ville te donne tellement de libertés. Je me sens en sécurité, c’est trop bien ! La vie quotidienne est tellement paisible. Je n’ai pas peur de dire quoi que ce soit. Je peux même discuter et débattre avec des Kurdes sur la situation politique ! Ça m’aide vraiment à m’émanciper. Impensable en Turquie, trop de tension.» Pour Ozan, c’est à peu près le même ressenti : « je me sens tellement humain ici ! Les gens t’abordent gentiment dans la rue. On peut croiser le regard sans qu’il y ait d’embrouille. » Il reste tout de même nostalgique. « C’est vrai que la vie ici est moins speed qu’à Istanbul, mais si je le pouvais je resterai bien en Turquie… Par contre si la situation s’aggrave là-bas, Strasbourg serait le premier endroit où j’irais. »

Ozan rentre à la fac de langue avant de rejoindre Ceren qui travaille avec les enfants handicapés ou réfugiés. « Quand on est arrivé, on ne voulait pas repartir. Le but c’était de finir nos études ici et d’éventuellement s’installer. » Mais le système administratif français a ses raisons que nos deux turcs ignoraient. Impossible d’avoir des équivalences, il faut reprendre depuis la L1. Et apprendre le français. « En tant que citoyen turc, c’est compliqué de choper un visa, même pour du tourisme. Il faut justifier plein de trucs et ils peuvent te refuser sans justification ! » Depuis la fin juin, ils sont retour à Istanbul, juste le temps de se réinstaller et de voter aux élections.

Un an de souvenirs, et un album en finition

Si Ozan et Ceren n’ont pas réussi à apprendre à parler fluidement français, ils se sont réellement intégrés grâce à leur musique. « Trouver des amis est beaucoup plus facile à travers la musique. Elle unit les peuples ! Un de mes meilleurs souvenirs, c’était au nouvel an dernier. On a joué de 22h à 10h ! Plein de gens ne connaissaient pas notre style de musique, ni nos instruments (Ozan joue deux instruments traditionnels turcs, le kaval et la zurna, en plus de la guitare). Ils se sont approchés et se sont rajoutés au groupe en ajoutant des éléments d’univers musicaux complètement différents ! On jouait de la musique très traditionnelle et un gars sorti de nulle part commence à rapper et beatboxer par-dessus ! »

Ozan est très content du progrès de son groupe depuis leur formation. En arrivant ici, il s’était fait une pyramide d’objectifs à accomplir, la pointe était donc cet album de musique, toujours en cours de finition. Ils n’en espéraient pas tant. Le passage de ces deux Seyyahs à Strasbourg s’est terminé en ayant accompli presque tout ce qu’ils souhaitaient. L’avenir dira s’ils pourront revenir enchanter nos rues et nos bars de leur musique, en tout cas les connections Istanbul-Strasbourg restent solides pour le groupe. Leur clarinettiste Guillaume vient de poser le pied à Istanbul pour les voir.

Photo de fin et de couverture: @Inès Banzet

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