Vous connaissez probablement ce moment où la musique dans le creux des oreilles fait battre le coeur à la mesure de la grosse caisse. Voir un artiste en concert dans une salle (comme la Laiterie par exemple) est un moment d’exclusivité émotionnelle rare tant on vit la musique avec son corps tout entier. Les muscles des jambes se contractent pour maintenir le dos droit, l’échine frissonne et se cambre à la mesure du rythme propulsé par les amplis, les pupilles se dilatent pour absorber l’entièreté des couleurs brisées par le mouvement des corps, la sueur perle le long du front et l’alchimie prend.
Pokaa a été invité par KINGS LOVE JACKS pour un petit concert privé dans les locaux de répétition avec rencontre autour de verres. Et ça, croyez-moi, ça frôle l’ineffable!
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Kings Love Jacks c’est un projet instrumental électrisant tenu haut la main par Fred aux machines, Ben en Dj, Jérôme à la basse 5 cordes dont le son ravira les amoureux des graves et Nicolas à la batterie. Ces quatre mecs sont aussi talentueux que sympathiques et réfléchis! Forts de leurs expériences diverses et influences variées ils forment un groupe indéniablement mature. Nicolas a commencé la batterie à 14 ans, il accompagnait Tété. Il a connu 4 groupes différents et est passé par le métal. Fred a commencé à jouer avec Ben il y a 10 ans dans un groupe d’électro Jazz. Ben a commencé à la batterie vers 16 ans et tombe amoureux de la techno expérimentale vers 17/18 ans puis se met à acheter du matériel vers 26 ans. Jérôme a commencé la basse à 13 ans (par du métal) et a ensuite accompagné Matt Pokora pendant 7 ans ce qui lui a permis d’acquérir une grande expérience de la scène (Bercy, Olympia..). Précisons aussi que Kings Love Jacks ont joué à la Laiterie le 19 janvier 2012 avec… les Shaka Ponk.
Nous avons d’abord été frappés par le pittoresque du paysage qui enferme les locaux de répétition. Les environs de Strasbourg sont bel et bien riches, Pokaa peut être fier de son sous-titre.
Après avoir pénétré l’enceinte du fort, parcouru des couloirs larges et sombres, imaginé une horde de zombie nous attaquer (ndlr: Toute référence à une série à succès serait ici volontaire), nous sommes arrivés dans un local tellement équipé en matériel, tellement innervé de cables qui reliaient les consoles, les pédales à effet, les amplis à l’instar de connexions synaptiques à l’intérieur du cerveau que j’ai spontanément laissé échapper un doux “Wouah !”.
On se demanderait assez légitimement pourquoi il n’y a pas de chant dans cette formation avec des sonorités tantôt à la Chemical Brothers tantôt funk et tantôt métal alors que la plupart de l’industrie musicale, elle, s’organise autour et/ou avec du chant; on a l’habitude au niveau scénique d’avoir un chanteur/une chanteuse au devant. Ces mecs ne sont pas contre le chant, ils n’excluent aucunement l’idée d’un featuring car ils s’accordent à dire que le chant demeure une richesse mais la voix devra alors investir pleinement la fonction d’instrument. Pourquoi? Et bien parce que le chant s’exprime à l’aide d’une voix articulée en parole et que la parole, contrairement au son d’un instrument, véhicule du sens. La voix contraint le sens. La voix imprime une couleur politique dans la mesure où elle est l’outil d’un discours sensé (ndlr: prière de ne pas comprendre “politique” dans les termes contemporains de gauche/droite mais dans les termes antiques de “ce qui lie les individus entre eux au sein de la cité”). Kings Love Jacks ne veut pas autre chose qu’un discours émotionnel et musical. Ce paragraphe était un peu difficile à lire? Oui car en plus d’être de bon zikos, ils sont philosophes. Ce n’est pas pour rien qu’ils ne parlent pas d’album mais “d’album concept”.
Comme le disait très bien le batteur:” On veut faire entrer de l’humanité sur de l’électro”. Je crois ne pas me tromper en disant que le pari est tenu puisqu’il sont versés tout entier dans leur musique. Ils disaient ne pas faire de la musique pour les mêmes raisons mais force est de constater qu’aucun d’eux ne vivrait sans musique tant ils sont passionnés. Nicolas parlait même de “besoin vital”. En somme, ils forment une micro-société qui réinvente un langage. En ceci ils semblent répondre à Jean-Luc Gattoni (déjà évoqué par Julien Hohl dans l’article qui lui était consacré) lorsque celui-ci leur a dit: “à vous d’inventer l’histoire que vous voulez écrire”. À ma connaissance ils sont les seuls à articuler éthique (la voix comme porteuse de sens à limiter) et une esthétique (projet instrumental avec un style propre) de cette manière-là, en tout cas à Strasbourg.
Ils ont été victimes eux aussi des traditionnelles questions de Pokaa:
Vous sortez où? Quels sont les lieux que vous affectionnez?
– …
– (en chuchotant à son voisin) heeu tu sors toi? (Rires!)
Fred: “J’adore l’endroit du port. On allait souvent boire là bas. La vue est dégagée il y a les bateaux, des hangars… J’aime bien la place Benjamin Zix à Strasbourg, à la Petite France, qui est une véritable carte postale… Sinon on va au MUDD ou au Phonographe.”
Jérôme: J’aime bien L’artichaut !
Fred: J’aime bien les masures alsaciennes, il y a tellement de trucs en dehors de Strasbourg… L’hiver quand je suis en famille j’aime bien aller vers Eckweyersheim, c’est super! j’explore aussi le côté Forêt noire… On se rend pas compte mais à Strasbourg tu fais 30 minutes de bagnole et t’es à 1000 mètres. Tiens la dernière fois on est allé vers Durbach,il y avait de ces vignes! On se se serait cru dans le hobbit! (rires!)
Si vous le pouviez, qu’est-ce que vous changeriez à Strasbourg?
“Il manque une réelle bonne salle de concert à Strasbourg! Non mais ce que je peux vous dire c’est qu’ayant vécu étudiant à Strasbourg il y a 15 ans bun… la ville s’est carrément endormie! Mais elle a l’air de se réveiller là, ça re-commence à venir, il y à la Maison Bleue par exemple…”
“On a quand même une super prog’ à la Laiterie…”
Mais oui!
“On commence un peu à voir qu’il y a une jeunesse, qu’il y a une scène locale… Tu prends ce que fait le MUDD, il y a des concerts tous les deux jours, j’lui tire mon chapeau moi!”
“Mais tu vois je trouve ça super intéressant qu’il y ait des mecs comme Deaf Rock avec Julien et Chris, les mecs ils se sont dit qu’ils allaient monter un label à Strasbourg et il l’ont fait!”
Si on vous dit “Pokaa!!” vous pensez à quoi?
– HONTAS !!
– Ouais ou POKAA POKAA quoi !!
Encore une fois je regrette de ne pouvoir rendre l’intégralité de la rencontre par souci de longueur. Je tiens toutefois à conclure en remerciant chaleureusement Kings Love Jacks de nous avoir si bien accueilli dans leur domaine musical et de nous avoir interprété quelques compos alors que nous avions raté leur dernier concert à la laiterie. Pokaa souhaite beaucoup de bien au groupe et comme à l’accoutumée, nous vous tiendront informé de leurs prochaines actualités en espérant que vous serez nombreux à les voir lors de leurs prochaines dates.
Photographies: Maria Fernandes & Fouad Dautovic