Le Strasbourgeois André fait partie des 14 000 radioamateurs de France, ces passionnés de communication par radiofréquence. Son amour pour cette activité l’a tour à tour emmené au sommet du Puy de Dôme, dans la queue d’une météorite, à la surface de la Lune, et même, après une improbable expédition, aux confins de l’Antarctique, en Terre Adélie. Depuis son modeste appartement de Lingolsheim – évidemment doté d’une station radio en partie fabriquée de ses mains – il nous raconte son extraordinaire histoire.
“Ici, c’est le Vietnam. Là, le Swaziland. Les Iles Fidji, les îles Spratley, l’Islande…” André, 73 ans, tourne les pages de son album avec une frénésie juvénile. Il pourrait parler des heures de chacune des cartes “QSL” qu’il a reçues et rangées là, dans ses quatre précieux classeurs. Les cartes QSL sont des sortes de cartes postales que s’échangent les radioamateurs lorsqu’ils souhaitent confirmer une liaison radio internationale.
300 pays contactés depuis sa chambre (et sans Internet ou téléphone)
“J’en ai eu à peu près 30 000 depuis que j’ai commencé le radioamateurisme. C’est simple, dès qu’on parvient à contacter un autre radioamateur, de n’importe quel pays, celui-ci nous envoie une carte QSL et on en envoie une en retour.”
Attention, “radioamateur” ne veut pas simplement dire un amateur de radio. C’est un terme qui désigne l’ensemble des personnes qui expérimentent des techniques de transmission et qui essaient d’établir des liaisons radio avec d’autres radioamateurs du monde entier, sur des fréquences qui leur sont réservées – et qui sont donc distinctes des fréquences “professionnelles” comme celles des avions de ligne. Selon un décompte datant de 2020, la France compte environ 14 000 radioamateurs.
André l’est depuis qu’il a l’âge de 19 ans. En un peu plus de 50 ans de passion, cet habitant de Lingolsheim aura contacté 300 pays sur les 320 disposant d’un réseau radio ouvert. “J’ai tenté beaucoup de choses pendant toutes ses années, j’ai raté des choses, j’en ai réussi d’autres… Mais ce qui est sûr c’est que je suis allé très, très loin“, dit-il avec le sourire espiègle d’un ancien qui se remémore les bêtises de son enfance.
Tout commence en colo de vacances. André a alors “14 ou 15 ans”. “Le moniteur était passionné de radiocommunication, il nous faisait participer à ses bricolages. Ça me paraissait incroyable de pouvoir entendre comme ça le monde entier depuis la tente du moniteur. Parce qu’il faut se rappeler qu’à l’époque il n’y a pas Internet !”
Ce moniteur de colo vient d’allumer un feu qui ne s’éteindra plus. Dès son retour à la maison, André s’inscrit dans un club de radio, prend des cours de morse et de technique de radiocommunication. “C’était ma passion, même si j’avais dans un coin de ma tête d’en faire un métier un jour.”
"La radio pour moi c'est essayer, se rater, se rater encore, puis enfin trouver la solution."
Il obtient sa licence en 1968. “Je me souviens très bien, un inspecteur était venu de Paris. Il fallait avoir construit sa propre station, lancer des messages en morse, bien connaître la législation… La loi est très importante car un radioamateur peut brouiller les ondes d’un avion, donc il y a un cadre très strict. Mais au final j’ai eu mon diplôme dès la première tentative.”
Peuvent alors commencer les expérimentations. André est un explorateur de la technique, il chercher à mesurer chaque possibilité, à entrouvrir toutes les portes, quitte à ce qu’elles se referment brutalement sur lui. “La radio, pour moi, c’est essayer, se rater, se rater encore, puis enfin trouver la solution. C’est ce plaisir d’entendre une réponse à l’autre bout de la Terre après plein de tentatives ratées…“
Ses expériences sont d’abord celles de l’association alsacienne des radioamateurs. Ce sont des expéditions en montagne, par exemple au Puy de Sancy ou au Champ du feu en 1979. “A l’époque il fallait être en altitude pour atteindre des fréquences proches de la télé. Et attention, c’était à pied et tout le matériel à transporter à dos d’homme. On avait fabriqué une parabole de 3 mètres de diamètre.“
Vers la ionosphère et au-delà !
Mais parmi ces passionnés, ils sont quatre à souhaiter aller plus loin. Ils mangent, respirent, parlent radio. Francis, un ami d’André, installe une parabole de six mètres sur le toit de sa maison, en plein centre-ville de Strasbourg. Peu après, les compères se lancent dans l’émission de signaux à travers les satellites. Rien de révolutionnaire au niveau mondial mais rares étaient les radioamateurs français, à l’époque, à tenter l’expérience.
André imagine un tableau lui permettant d’identifier une fenêtre de 20 ou 25 minutes pendant lesquelles le satellite Oscar passe juste au-dessus de Strasbourg. “Ce qui m’intéressait c’était de comprendre comment il m’était possible de contacter une station à l ‘autre bout du monde en passant par un satellite, notamment à travers la ionosphère, qui est une couche de l’atmosphère où se réfléchissent les ondes radio“, explique-t-il.
Il s’essaiera plus tard à la radiocommunication par réflexion sur des traînées de météorite. “Je me souviens, j’envoyais des courriers à un radioamateur russe deux mois avant, on se donnait rendez-vous le 15 août, le jour des Perséides (un essaim de météores visible généralement en août tous les ans, NDLR). On se captait 10 ou 15 secondes, juste le temps de faire un peu de morse, mais c’était déjà incroyable.“
Quand ils n’ont pas lieu par réflexion sur les météorites ou les satellites, les échanges radios peuvent durer bien plus longtemps. Mais ils se limitent au domaine technique et scientifique. “On n’a pas le droit de parler de politique, de religion ou de notre vie intime. Il y a même un organisme dédié qui surveille les communications entre radioamateurs et on se fait pénaliser si on parle de ces choses-là. En revanche on peut parler longtemps de technique, de nos expériences en radio, ou de ce qu’on a fabriqué.”
Les échanges se font généralement en anglais, comme il s’agit de la langue la plus utilisée et que les États-Unis demeurent les leaders en la matière avec plus de 800 000 radioamateurs. “Ça a longtemps été un problème parce que je n’ai pas un bon niveau du tout… Mais à force j’ai progressé, ce sont les mêmes mots qui reviennent et je lis beaucoup de revues américaines sur la radio.“
"On a eu envie d'aller chercher la lune."
Les expériences d’André et de ses amis atteignent un nouveau stade quelques années plus tard lorsqu’ils lancent des ballons-sondes à 25 kilomètres d’altitude. L’organisation est colossale. La météo nationale sponsorise l’opération et leur fournit le ballon. Une coordination a dû être faite avec le trafic aérien afin que le ballon ne se trouve pas sur la trajectoire d’un avion. “On était les premiers en France à tenter ça“, se souvient-il.
Le groupe d’amis ne s’arrête pas là. “On a eu envie d’aller chercher la lune“, glisse-t-il. Le radiocommunication Terre-Lune-Terre, ou EME (Earth-Moon-Earth), a été développée peu après la Seconde guerre mondiale par l’armée américaine. Elle est utilisée pour la première fois par des radioamateurs en 1953.
A l’époque, cela relève de la rareté pour les Français. “On a tenté de contacter une station américaine, à Porto Rico, par la lune. On savait que ce monsieur avait un énorme radiotélescope de 300m de diamètre creusé dans la terre, et qu’il avait une fenêtre de tir vers la Lune. On savait qu’il émettait entre telle heure et telle heure. On a tenté, tenté, puis on y est arrivés. On l’a entendu.” Mais lui ne les entendait pas. Le groupe tentera bien d’émettre un signal mais malgré plusieurs tentatives, échouera. “Ce n’était pas très grave, on était contents d’avoir essayé et d’avoir appris de nos erreurs.“
Un Strasbourgeois en Terre Adélie
Pour autant, ces expériences et multiples communications avec le reste du monde, parfois par les étoiles, ne sont pas l’aventure la plus mémorable d’André. Un jour en 1977, André tombe sur une annonce du journal l’Usine Nouvelle : les Expéditions polaires françaises recherchaient un technicien pour la télécommande de satellite. Il postule sans trop y croire.
Trois mois plus tard, alors qu’il n’y pensait même plus, il reçoit une réponse : il est retenu parmi les sept derniers candidats pour un entretien oral. “Après quelques questions ils m’ont fait rencontrer le responsable technique de l’expédition. Il ne m’a même pas interrogé ou fait passer des tests, il a juste regardé ce que j’avais fait en tant que radio amateur et a dit : “c’est bon, on le prend”. Et ça y était, j’allais passer 15 mois en Terre Adélie.“
Si André a été recruté si aisément dans une expédition scientifique et prestigieuse telle que la mission Paul-Emile Victor, c’est que les Expéditions polaires françaises ne disposaient plus, déjà à l’époque, de technicien capable de maîtriser à la fois les ondes radios et l’aspect électronique. “Il n’y avait que les radioamateurs qui avaient ce bagage, et d’ailleurs mes prédécesseurs étaient également radioamateurs“, précise André aujourd’hui.
Le voilà donc parti pour une voyage de 15 mois. Il a bien sûr pensé à amener sa station radio avec lui. “J’ai fait à peu près 10 000 contacts là-bas, car j’étais évidemment très recherché. Tous les radioamateurs du monde voulaient me joindre. Je me suis fait plein de copains que je contacte encore aujourd’hui.“
"J'étais heureux...mais heureux sans discontinuer, vous savez, pendant une semaine, ne plus penser aux problèmes ?"
Les membres de l’expédition se côtoient nuit et jour, ils sont mécanos, cuisiniers, boulangers, biologistes, médecins. “Il y avait des moments difficiles et d’autres plus apaisés, comme dans la vie. Je crois que ce qui m’a le plus marqué là-bas, c’est que, par moments…” ll s’interrompt soudain. Puis reprend, la voix un peu plus faible, les yeux discrètement embués : “J’étais heureux. Mais heureux sans discontinuer, vous savez, pendant une semaine, ne plus penser aux problèmes ? Tous les problèmes du quotidien, les factures, la voiture qui fonctionne mal, tout était en France, loin, et autour de nous il y avait des manchots, des phoques et l’aurore australe le matin. C’était l’expérience de ma vie.“
A son retour, André a presque 30 ans. L’âge pour lui de se poser… Sans pour autant abandonner sa passion dévorante. “J’ai d’abord cherché à être recruté au CNRS mais il fallait être géophysicien, j’ai rapidement laissé tomber. J’ai trouvé un poste de technicien dans l’industrie de la balance électronique, ça me convenait car c’était entre la mécanique et l’électronique, comme la radio“.
Marié et père, il emménage dans une maison dotée d’un grand jardin dans lequel il installe une antenne de 25 mètres de haut. “Je n’ai jamais arrêté de faire de la radio, tous les soirs en rentrant du travail, j’ai même fait des nuits blanches car certaines fréquences ne s’ouvrent qu’aux petites heures du matin.”
Aujourd’hui il ne dispose plus de jardin et vit dans un appartement. Il a tout de même fabriqué une “petite” antenne de 4 mètres de haut sur son balcon et continue, tous les jours, de bricoler ses circuits électroniques et d’envoyer des signaux à l’autre bout de la Terre.
une telle passion ca impose le respect et l’admiration
Je trouve cela extraordinaire ce monsieur est incroyable