Qui se cache derrière les drapeaux que l’on n’attend pas forcément dans le quartier diplomatique et européen de Strasbourg, comme le Honduras, l’Équateur ou Malte ? Souvent tenus bénévolement par des consul(e)s honoraires heureux/se de donner de leur temps libre pour la représentation, ces bureaux jouent un rôle plus important qu’on ne pourrait le croire. Immersion dans ce petit monde méconnu.
Un vacarme d’usine retentit dans un quartier résidentiel de Strasbourg, un jour d’été 2015. Le bruit vient d’un petit garage où des palettes de bois s’empilent depuis les petites heures du matin. Sur chacun des supports, des centaines de panamas.
Manou Massenez Heitzmann pilote cette livraison atypique. La consule honoraire de l’Équateur, pays dont sont originaires ces couvre-chefs bien particuliers, voit comme souvent son activité diplomatique empiéter sur sa sphère privée : “Il y en avait 700 au total et ma mission était d’aller en mettre un dans chaque boîte aux lettres de député européen, au Parlement.”
Si toutes ses missions ne s’avèrent pas aussi originales, Manon Massenez Heitzmann l’assure : son emploi du temps de consule peut être très chargé d’une semaine à l’autre. Il lui est en théorie demandé de protéger les intérêts des ressortissants de l’Équateur, et accessoirement de faire remonter les événements ou informations susceptibles d’intéresser le pays qu’elle représente.
Le tout sans contrepartie financière, puisqu’elle fait partie des consul(e)s dits honoraires, qui représentent donc un pays de manière bénévole : “Cela me tient à coeur et depuis que je suis à la retraite, ça m’occupe beaucoup. Ça ne me pose pas de problème de ne pas être payée.”
Petites communautés, ambiance familiale
Manou Massenez Heitzmann est loin d’être la seule à opérer dans l’ombre des grandes ambassades du quartier européen. Prenez Christian Hermsdorff, consul honoraire du Honduras.
Pour accueillir les quelques ressortissant(e)s du Honduras présent(e)s dans le Grand Est, il a aménagé un petit appartement discret rue des Arquebusiers, vers le parc du Contades. “J’accueille très rarement des gens ici, le plus gros du travail se fait par téléphone“, explique celui qui a été nommé consul en 2017 alors qu’il était encore ophtalmologue à temps plein. “Il y a plus d’une trentaine d’étudiant(e)s du Honduras, je les invite une fois par an pour un repas convivial, on fait connaissance, je leur donne mon numéro et ils m’appellent dès qu’ils ont un problème.”
Privilège des petites diasporas, la proximité avec les ressortissant(e)s confère un aspect familial et bon enfant au rôle de consul honoraire. “Il y a environ 400 ressortissant(e)s équatorien(ne)s dans le Grand Est mais la plupart sont étudiant(e)s, tous ont mon portable et je les considère un peu comme mes enfants !” sourit Manon Massenez Heitzmann.
Des consuls qui ne parlent pas la langue du pays qu'ils représentent
Manon Massenez Heitzmann est d’autant plus à l’aise qu’elle parle couramment l’espagnol. Ce n’est pas forcément le cas de Laurent Hincker, qui représente la Mongolie à Strasbourg, mais qui ne parle pas un mot de mongol : “Pourtant, ma dernière mission a été de venir en aide à des Mongol(e)s à l’hôpital de Hautepierre qui n’arrivaient pas à communiquer avec le personnel de santé, à cause de la barrière de la langue“, précise-t-il.
Dans ces cas-là, il fait appel à un interprète : “Je suis seul au consulat mais je reçois l’aide occasionnelle de certain(e)s Mongol(e)s qui vivent dans le Grand Est, souvent des jeunes qui sont prêts à aider et accompagner leurs compatriotes.” Car dans la plupart des cas, les consuls honoraires ne sont pas natifs du pays qu’ils représentent. Ils sont Français.
Ceux que nous avons interrogés n’ont, tout au plus, qu’un lien d’affection avec le pays qu’ils représentent, voire parfois ne s’y étaient que rarement rendus avant leur prise de fonction.
Si Eric Mayer Schaller représente Malte à Strasbourg, c’est avant tout grâce à une coïncidence : “C’était en 2008, j’avais un ami qui était à la chambre de commerce et qui était en même temps consul de Lettonie. Ça m’a surpris car je n’avais pas l’impression qu’il avait un quelconque lien avec ce pays. De fil en aiguille, il m’a expliqué en quoi consistait son job et m’a dit que je pouvais tenter ma chance pour Malte, qu’il y avait une possibilité.”
Peu de temps après, l’ambassadrice de Malte à Paris le rencontre autour d’un déjeuner à Strasbourg : “Elle a vu que je disposais d’un très bon réseau en Alsace et que je n’avais pas forcément besoin de rémunération.“
Gérant de société, issu d’une famille de photographes de Benfeld, Eric Mayer Schaller est comme un poisson dans l’eau lorsqu’il reçoit des visiteurs et visiteuses dans son grand appartement de 180m2, où trônent drapeaux et croix de Malte, à quelques mètres de sa salle à manger et de sa chambre. “Ça ne me pose aucun problème d’avoir le consulat quasiment chez moi, c’est même très pratique parfois, par exemple quand l’ambassadeur est en visite !”
La passion du réseau et des projets
Accueillir un ambassadeur, serrer des mains, mettre les gens en relation, arpenter les couloirs feutrés des institutions pour nouer des liens susceptibles de servir le pays qu’il représente, voilà ce qui motive le sémillant Eric Mayer Schaller à accorder autant de temps à sa fonction : “Je ne compte pas mes heures même si je suis bénévole. Je dois faire un rapport de plus de 100 pages tous les ans sur mes activités, ce qui me prend 2 à 3 jours, et ça m’arrive de consacrer mes journées entières à Malte. Mais ça me plaît beaucoup, et je n’arrêterai que quand je n’y arriverai plus physiquement.“
En raison de la dématérialisation des procédures administratives, les missions des consuls honoraires se sont progressivement recentrées sur la coopération économique. Beaucoup moins de visas à faire, mais plus de mise en contact d’investisseurs français avec les entreprises du pays représenté.
D’où la multiplication des projets à piloter : “J’ai été présidente de l’Association régionale des industries agroalimentaires alsaciennes (Aria) alors je connais beaucoup de monde pour alimenter l’export de produits équatoriens en Alsace : j’ai emmené des investisseurs en Équateur, notamment dans le secteur de la crevette, des bananes, ou encore de la spiruline. J’ai aussi mis en contact l’IRCAD de Strasbourg et 1500 chirurgiens equatoriens, afin qu’ils apprennent à opérer le cancer de l’appareil digestif“, avance Manon Massenez Heitzmann.
Par leur carnet d’adresses et leur fonction, les consuls honoraires rendent possible, mettent en contact, créent des liens. C’est en tout cas leur rôle affiché. “Certains n’en ont rien à faire de leur pays et profitent de leur fonction pour se faire un réseau”, nous ont confié plusieurs d’entre eux, souhaitant par là-même se distinguer de ces passagers clandestins.
Quoi qu’il en soit, chacun s’est montré ravi de parler des coulisses d’un rôle qu’ils savent mal compris par le grand public. “Il y a clairement cette satisfaction d’apporter sa modeste contribution au rayonnement d’un pays“, confie le consul honoraire du Honduras Christian Hermsdorff.