À Strasbourg, on le sait et on s’en moque souvent : une fois que l’été est passé, Noël est déjà dans nos pensées. Qu’importe que l’on soit début octobre et qu’il fasse encore 20 degrés, c’est comme ça : l’heure de la fête et de son marché a sonné. Et, comme souvent sur le sujet, les polémiques ne demandent qu’à éclater. La dernière en date est sortie ce lundi soir : certains objets sont désormais interdits à la vente pour l’édition 2022 du marché de Noël. Entre cris d’orfraie de l’opposition et nouvelle communication hasardeuse de la municipalité, on a essayé de faire le point.
Bottes, parapluies, ponchos, articles pour chiens et chats ou encore raclette et champagne… Vous n’êtes pas face à une liste de courses à faire pour préparer un repas de Noël en famille, mais bien face à celle recensant les produits interdits à la vente sur le marché de Noël 2022 strasbourgeois. Cette liste, envoyée par « Strasbourg Capitale de Noël » aux commerçants par courriel, n’a pas manqué de faire réagir politicien(nes) et Strasbourgeois(es) sur les réseaux sociaux.
La polémique : l’interdiction de certains objets pour le marché de Noël 2022
Qu’est-ce qu’on y retrouve exactement ? Déjà, les produits du marché de Noël, alimentaires et non-alimentaires, sont classés en trois catégories : autorisés, sous réserves et interdits. Dans la partie non-alimentaire, sur les 128 produits présents sur le document, 7 seront interdits et 13 sont sous réserves. Dans le détail :
- Interdits: Bottes de Noël, parapluies, serre-tête, articles de vanneries (paniers en fibres végétales), ponchos, articles de Noël pour chiens et chats et casquettes
- Sous réserves : Cendriers, décapsuleurs, planchettes de table, cravates de Noël, habits de créateurs pour enfants, affiches de Noël, croix JC (?), boule à eau, cartes postales, tapis de souris, calendriers, dentifrice et produits d’entretien (avec chutes de savon)
- Exemples de produits autorisés : Cartes de voeux, lampes à huile et bonnets de Noël
Dans la partie alimentaire, sur les 193 produits servis sur le marché, on retrouve 6 produits interdits et 11 sous réserves. Là encore, la liste vaut le détour :
- Interdits : Raclette, champagne, tartiflette, pop-corn, poulet grillé et donuts de Noël (?)
- Sous réserves : Grog de Noël et à la liqueur de sapin, liqueur de pain d’épice, bière chaude (autorisée pour les brasseurs artisanaux), paninis, hot-dogs, samoussas, produits italiens (desserts), loukoums, halva et gourmelines chocolatées (sorte de beignets sucrés en forme de bretzel)
- Exemple de produits autorisés : Œufs de cigognes en chocolat, munsterflette, crémant d’Alsace
À première vue, on ne voit pas trop où est le souci. Surtout que le pourcentage de produits “interdits” se révèle finalement assez faible. En effet : 3 % des produits alimentaires et 5% des produits non-alimentaires seront interdits. Du côté des produits “sous réserves”, qui ne sont donc pas interdits, on passe à 6 % des produits alimentaires et 10 % des non-alimentaires.
Le problème se trouve alors du côté de la liste en elle-même. Nombreuses fautes d’orthographe mises à part, on se retrouve face à des interdictions arbitraires et une liste qui semble faire des choix au hasard. Quelle différence entre une cravate de Noël et un bonnet de Noël ? Ou une raclette et des rillettes ? Alors que la municipalité n’a pas communiqué, confirmé ou infirmé quoi que ce soit de manière officielle à l’heure actuelle, difficile de savoir où on en est.
Les justifications de la municipalité
Il faut dire que, si on cherche des réponses, on ne sera pas aidé par le vide de la com’ de la municipalité. Alors que le feu de la polémique commençait doucement à prendre, elle a tout de même essayé de l’éteindre. Guillaume Libsig, adjoint chargé de la coordination du marché de Noël, s’y est collé, détaillant dans son post Facebook publié à 10h52 le mardi 11 octobre : « Depuis quelques années les retours sur cet évènement sont clairs : « parc d’attraction à ciel ouvert », « supermarché pour les touristes » et j’en passe… En réponse, nous avons doté la commission mixte de sélection de nouvelles missions et elle est composée d’élus, de forains, d’artisans, de commerçants, la CCI, la CMA… pour pouvoir y répondre ». Tout le monde se retrouve donc concerné, pas juste la municipalité.
L’objectif ? Améliorer la qualité des produits vendus sur le marché : « Le travail que nous menons est axé sur la volonté d’authenticité et l’ensemble des produits est traité de la même façon. Ici comme ailleurs tous ces objets ont plusieurs gammes de qualités… trop souvent de piètre qualité du fait de leur production en masse pour les vendeurs à la sauvette ». Enfin, l’adjoint détaille la catégorie sous réserves : « Ni la Ville ni les exposants ne souhaitent d’objets au rabais qui nuisent à la qualité de Capitale de Noël. […] Ils ont le droit d’être vendus mais la commission discutera avec les exposants durant le rendez-vous pour s’assurer de la provenance et de la qualité du produit ».
Avant de conclure : « Tous les objets peuvent être vendus durant Capitale de Noël à condition qu’ils soient d’une qualité acceptable. Cela inclut les objets porteurs de l’identité religieuse de Noël », évoquant ici la fameuse croix JC. Pour résumer, les objets classés sous réserves ne seront pas bannis cette année, mais pourraient l’être à partir de 2023.
« Oukazes woke écolo », « Wokisme à la con », « Dégenrer et débinariser le Christkindelsmärik » : une opposition coordonnée et nuancée
Cette explication n’a apparemment pas satisfait l’opposition strasbourgeoise, qui a démarré au quart de tour sur le circuit de la polémique. Les élu(e)s ont profité de leur pause dominicale pour faire passer leur message, à la municipalité et à leur électorat. Comme pour la fausse polémique des illuminations de l’été, c’est Alain Fontanel qui dégaine le premier. L’ancien candidat aux municipales et aux législatives publie à 12h un long post Facebook, où il dénonce les « oukazes woke écolo ». Si moins d’une demi-heure plus tard, il supprime cette expression, il se demande néanmoins, émoji compris : « Faut-il aussi débaptiser – pardon plutôt dégenrer et débinariser – le Christkindelsmärik 😱 ? ».
Tel les 24H du Mans de la polémique, Pernelle Richardot prend ensuite le relais à 12h47, s’interrogeant sur la, peu inspirée il est vrai, « croix de JC » évoquée au-dessus : « Maladresse collective […] ou véritable envie de sortir un élément pour créer la division et accentuer (ce qui devient une vraie marque de fabrique de la municipalité) la fracturation de la ville ? ».
Presque en même temps, Pierre Jakubowicz puis Mathieu Cahn s’installeront ensuite dans le baquet. À 12h51, le premier accusera la municipalité « d’agir en dépit de la logique, de manière unilatérale et en toute opacité ». À 12h52, le second se questionnera sur la polémique : « Je ne sais pas si c’est du « wokisme à la con » comme le dit Pernelle Richardot dans cet article mais je suis certain que c’est un « débat à la con ». […] Tout cela relève quand même d’un haut niveau d’expertise collective dans la création de débats futiles et stériles …. Et pour ce coup j’y contribue ». Enfin, Jean-Philippe Vetter terminera la course à 13h38, saluant « la volonté de mettre en avant nos produits locaux » mais s’interrogeant sur la place de la croix de JC aux côtés des décapsuleurs et autres cendriers dans la liste des sous réserves.
Finalement, qu’en penser ?
On se trouve clairement au milieu d’une polémique sur LE sujet qui va concentrer nos élu(e)s pendant un moment. On remarque des oppositions très coordonnées lorsqu’il s’agit de faire bloc face aux politiques de la municipalité. Pour les propositions on repassera, mais, après tout, il y a une raison pour laquelle on les nomme oppositions.
Dans leur entreprise, les élu(e)s de l’opposition sont bien aidé par une municipalité qui, plus de deux ans après son arrivée au pouvoir, ne sait toujours pas communiquer. En effet, difficile de comprendre pourquoi certains produits sont interdits alors que d’autres, similaires, ne le sont pas. De plus, aucune explication ni justification n’est avancée, et l’on se retrouve alors face à une interdiction imposée, qui peut prêter à l’absurde et au détournement facile.
Le plus triste dans tout cela, c’est que l’idée de base est pourtant nécessaire pour le futur du marché de Noël. Celui-ci a réellement besoin d’un travail d’équipe entre les différentes parties prenantes à son organisation, pour devenir à nouveau un marché de Noël prisé des Strasbourgeois(es). En effet, cela fait des années qu’il ne répond plus aux attentes des habitant(es), qui lui préfèrent d’autres marchés en Alsace, au demeurant bien meilleurs.
Ainsi, en perdant une fois de plus la bataille de la communication, la Ville se retrouve obligée à éteindre les feux de partout, dans une polémique qui commence déjà à devenir nationale. Strasbourg capitale de Noël devient alors Strasbourg capitale de la polémique. Et tant pis pour l’esprit de la fête.