Sur Instagram où plus de 16 000 personnes le suivent – dont un certain Panayotis Pascot –, Adrien Yeung livre chaque semaine des comic strips à l’humour absurde et grinçant. Strasbourgeois d’adoption, il fait partie de la nouvelle scène bédé qui agite notre cité, Angoulême et les réseaux. À seulement 25 ans, ce jeune auteur a sorti un premier bouquin mi-avril : Tout brûle comme prévu. Portrait de ce jeune homme en feu.
Case départ
Comme un Obélix tombé dans la potion magique, c’est dans une famille d’artistes-peintres qu’est né Adrien Yeung. Pour cet originaire des Hauts-de-Seine, c’est un « facteur déterminant » d’avoir « grandi entre l’atelier de [ses] parents, les musées, et les galeries de leurs amis ». Il explique avoir été « pas mal entouré par un monde d’images ». Attiré d’abord par le film d’animation, il s’est finalement rendu compte lors de sa prépa’ qu’il était davantage intéressé par l’idée de « raconter des histoires et de les dessiner, que d’animer ». Une réorientation vers la bédé qui s’est confirmée à Angoulême, où il passera cinq ans, au sein de l’ÉESI (l’École européenne supérieure de l’image).
Depuis son diplôme, il vit à Strasbourg où il a rejoint des amis, en 2019. Lui aussi, grossit les rangs de cette génération d’illustrateurs et illustratrices qui s’installent dans notre ville. Adrien explique cela par la présence de la très réputée HEAR (Haute-école des Arts du Rhin), et de son pôle illustration/BD qui créé « une dynamique de jeunes auteurs qui veulent se lancer ici », et par le festival Central Vapeur (qui fêtait ses 10 ans l’an dernier et prépare des événements tout au long du mois de mars).
Un festival auquel il a déjà pris part, avec son collectif de micro-édition, Next Revel, créé à Angoulême, avec qui il édite des fanzines. Comme prochainement, à l’occasion de la publication de son premier livre Tout brûle comme prévu qui sort mi-avril aux éditions Même Pas Mal (derrière déjà les sulfureux Glory Owl ou L’infiniment Moyen de Fabcaro). Pour y faire écho, le collectif éditera Bazar Bazar, un recueil réunissant des travaux d’études, des illustrations pour des concours, etc.
Mais c’est quoi, le style Adrien Yeung ?
Distingué « Deuxième lauréat » l’an dernier au festival d’Angoulême, catégorie Jeunes Talents, il arrive ainsi dans les trois premiers d’une sélection de vingt, dans un concours reconnu et largement plébiscité. Un auteur prometteur, donc, qui a su séduire le jury de ce haut-lieu de l’illustration française avec son histoire en trois planches, nommée Les Ministres. Ambiance fumette à l’Élisée. Fallait oser.
Il y a de quoi comprendre les jurés : son style incisif et décalé parle de politique sans nommer, dénonce sans y toucher. S’il a beau faire comme s’il frappait à côté, « en visant des situations actuelles, […] sans cibler quelqu’un en particulier », il tape à coup sûr dans le mille.
À l’instar de son strip À Strasbourg, sur la gestion de la crise du Covid au Parlement européen, dans un climat de cour de récré ; mais aussi de PHOTO !, celui sur le projet de loi Sécurité Globale. Ou encore Libérez les libraires, sur ces produits jugés non-essentiels lors de nos confinements : les livres. Prétextant case après case, que c’est une manœuvre pour limiter l’ingestion de bouquins qui serait fatale à l’être humain qui serait trop tenté d’en manger, il conclut avec un « Bon boulot », sur la dernière, devant les photos de rayons de librairies de supermarchés bâchées. Eh bien, « Bon boulot » toi-même, Adrien.
Parce que ça dessine, mais ça dézingue aussi pas mal. Pour lui, son travail peut à la fois être « une représentation des questions qui [le] travaillent », quand l’actualité prend trop de place dans ses réflexions, comme une façon de les extérioriser. Mais cela peut aussi être une simple « capsule avec juste des personnages, dans des situations, et que ce soit un moment agréable à regarder sans forcément faire référence à l’actualité », cherchant même à « pouvoir s’en détacher [des questions de société] », tout en gardant « un petit truc politique ».
Tenté de se mettre au dessin de presse, et à la bédé d’investigation, il réfléchit par ailleurs à envoyer prochainement des planches à des journaux, comme Topo (un magazine d’actu pour les moins de 20 ans) ou La Revue Dessinée qui traite l’info en bande-dessinée.
Traits naïfs, oui. Très naïf, non.
Avant les projets presse, il y a surtout son Insta, ultra suivi, qui réunit désormais une grosse communauté de 16 500 abonnés. Un compte qu’il alimente régulièrement, en s’imposant un rythme d’un strip par semaine. Une routine bédé en une journée qui commence par un scénario le matin avec le café, avant d’enchaîner sur l’illu, puis une publication, fin d’aprèm. Une rapidité qui s’explique aussi par sa vision du dessin : « le dessin, ça marche bien quand ça vient très naturellement et qu’il n’y a pas toute une théorie derrière ».
Un trait faussement naïf, duquel il laisse transparaître « une certaine tension», cherchant toujours à rendre sa bédé lisible, sans qu’on ait forcément à s’attarder sur les textes. Il joue ainsi de la couleur, créant expressément des environnements « assez vifs et colorés », des expressions de ses personnages et des situations compréhensibles d’un regard. Un style d’aspect simpliste pourtant bien calculé, à l’humour bien distillé, comme le burlesque d’un Chaplin ou d’un Bean, pour le ciné ou la télé, transposé à la bédé.
Dans ses influences, Adrien cite l’australien Simon Hanselmann, « un monstre de travail » dont l’approche graphique l’inspire énormément, ou Anouk Ricard, illustratrice jeunesse dont les dessins s’adressent de prime abord aux petits mais avec « des blagues assez acides et vachement drôles » qui parlent aux grands. Adrien ajoute que c’est un humour « qui lui plaît beaucoup »… Et complète en évoquant Pierre La Police, et son univers absurde. On comprend vite que ce qui lui plaît chez eux : c’est ce qui nous plaît justement chez lui.
Travaux en cours
Et à côté ? Outre ses deux publications à venir, et sa participation aux fanzines de son collectif, Adrien signera avec l’AFD (l’Agence Française de Développement un établissement public français qui œuvre internationalement au niveau social et environnemental), une BD pour illustrer un de leurs projets. En parallèle, il participe à un travail d’illustration in situ au jardin des Nénuphars dans le Lot-et-Garonne, où il a fait une résidence.
Et se dessine aussi une possible collab’ sous forme de roman-photo, à creuser avec la capsule quotidienne Mâtin, quel journal ! de la célèbre maison d’édition Dargaud sur Instagram.
Adrien Yeung
Le collectif Next Revel
Fanny Soriano