Il a fait extrêmement chaud ces derniers temps. Des températures caniculaires qui ont remis sur le tapis le fait que Strasbourg est remplie d’îlots de chaleurs, avec ses multiples constructions et ses places toutes très minérales. En réponse à cela, la nouvelle municipalité a mis en place huit îlots de fraîcheur dans la ville, de façon à végétaliser quelques places de manière éphémère avant l’automne. Mais comme la mesure a été dite et redite par tous les partis politiques durant la campagne des municipales, on devait aller au-delà du simple effet d’annonce et du « c’est joli ». On s’est donc demandé, très concrètement, à quoi cela sert de planter un arbre ?
L’arbre comme communication politique
Avant le début de la pandémie de coronavirus, l’écologie était sur toutes les lèvres des candidats à la mairie de Strasbourg. Du RN à la FI, tous avaient leur mot à dire sur l’écologie – bien que certains programmes soient bien plus développés que les autres sur le sujet. Néanmoins, il y avait une constante : tout le monde voulait planter des arbres. Un candidat en voulait même un par habitant de l’Eurométropole. C’était donc officiel : après des années de recherche, d’escalade du Mordor des convictions politiques, on l’a trouvé, notre précieux, le sujet qui dépasse enfin les clivages gauche/droite !
Il faut dire que planter un arbre rassemble plusieurs points positifs : tout d’abord c’est très efficace en termes de communication politique, dans le sens où c’est une décision immédiate, facile à mettre en place qui se remarque tout de suite dans le paysage d’une ville, et à moindre coût. En effet, impossible de rater un arbre. Cela donne donc l’impression que la municipalité agit directement contre un problème.
De plus, alors que Jeanne Barseghian est Maire de Strasbourg depuis un peu moins de deux mois, il lui est difficile de mettre immédiatement en place des mesures à long-terme, parce qu’en politique – et on a tendance à l’oublier – les décisions mettent du temps à aboutir, encore plus dans cette période compliquée. En termes de communication politique, il est donc plutôt malin de favoriser des décisions symboliques, « faciles » à mettre en place et qui parlent concrètement aux gens. Une tactique politique d’ailleurs très utilisée depuis le début du mandat.
À quoi ça sert en fait de planter un arbre ?
Mais comme tout le monde l’a proposé, n’importe qui aurait pu le faire. Du coup, comme on aime se poser des questions, on est parti en investigation, à la Jamy Gourmaud, notre maître à tous, pour savoir pourquoi on plantait des arbres, et l’effet qu’ils ont vraiment sur notre environnement.
Il a un effet apaisant sur nos cerveaux
Déjà, rien que la couleur compte : le vert, ça fait du bien à nos petites têtes. Plusieurs études ont en effet montré les effets positifs que la couleur avait sur la fatigue et le stress, avec notamment le fait que la présence de plantes dans les bureaux favoriseraient la productivité (Bringslimark, Patil et Hartig,2008), réduiraient le stress (Fjeld, 2000) ou encore que simplement voir des plantes depuis le bureau ferait qu’on apprécie davantage notre travail que si on regardait notre bonne vieille A35 (Kaplan et Kaplan, 1989). En gros, le vert et les plantes, c’est tout bonus pour le moral et la productivité au travail, parce que l’on se sent mieux.
Il apporte de la fraîcheur en ville
Au-delà de son effet bénéfique sur nos cerveaux, la présence d’arbres dans notre environnement est évidemment bénéfique sur le micro-climat. C’est pour cela que la précédente municipalité avait végétalisé les quais des Bateliers, et que Jeanne Barseghian et son équipe ont décidé de végétaliser huit places très minérales. D’ailleurs, pourquoi n’ont-ils pas à nouveau végétalisé les quais ? Mystère mystère…
Quoiqu’il en soit, le souci de ces places minérales, c’est qu’en plein soleil, la pierre chauffe, rayonne en journée et réchauffe l’air la nuit. Alors que si tu rajoutes un arbre, celui-ci fera comme toi en plein soleil : il transpire. Sauf que lui n’est pas désagréable avec son entourage : il ne se réchauffe pas, l’évaporation de l’eau faisant baisser sa température. Ce phénomène très important se nomme l’évapotranspiration, qui assure le transfert d’eau du sol et de la végétation vers l’atmosphère.
Les effets positifs des arbres ne s’arrêtent pas là : puisqu’il est généralement grand, son ombre est importante et celle-ci apporte de la fraîcheur supplémentaire, sous laquelle d’autres végétaux peuvent survivre et démultiplier l’effet de l’évapotranspiration. Ce sont ainsi des herbes diverses et des arbustes qui, s’il n’y avait pas d’ombre, nécessiteraient beaucoup d’eau. En fait, un arbre c’est un peu comme ton papa : par son expérience – et ses blagues souvent foireuses – il te donne l’espace de te développer, alors que sans lui, tu galérerais d’autant plus.
Dès lors, grâce à cette évapotranspiration, les arbres peuvent transformer des îlots de chaleur en îlots de fraîcheur, la végétalisation permettant de réduire l’absorption de la chaleur en milieu urbain minéralisé. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les zones qui présentent des surfaces bitumées et des toitures très importantes montrent, de manière récurrente, de très forts écarts de plus de 10°C avec les espaces naturels alentour, comme le montre le schéma ci-dessous.
Comment planter des arbres ?
Eh bah dans la terre haha #humour. Plus sérieusement, cette question mérite d’être posée, parce que l’eau que l’arbre transpire, il doit bien la trouver quelque part. Et après avoir rappelé les effets positifs des arbres, il faut s’intéresser à comment bien les planter. Quand on a des arbres bien dans leurs racines, ça va, puisqu’ils iront chercher l’eau accumulée dans le sous-sol au cours de l’hiver. Mais dans le cas d’arbres en pot, comme dans nos huit îlots de fraîcheur, c’est plus complexe, puisque cela demande un arrosage. En effet, sans racines développées, l’arbre aura besoin d’aide pour se rafraîchir.
Parlons un peu du sol justement. En ville, la problématique de l’arrosage est très importante. En effet, arroser abondamment en surface un sol extrêmement sec, c’est un peu comme si tu voulais mouiller ton éponge desséchée pour faire ta vaisselle que tu reportes depuis une semaine : la moitié de l’eau s’écoule dans les égouts avant que l’éponge soit réceptive. Et l’autre moitié de l’eau s’écoule ensuite, avant que l’autre face de l’éponge soit à son tour réceptive. On est clairement pas sur de l’écologie de premier ordre, surtout en temps de grosse sécheresse, alors il faut faire attention.
Sachant qu’un sol qui fonctionne bien se remplit d’eau tout l’hiver, et permet aux arbres de puiser en profondeur quand le soleil a asséché la surface, il ne faudra dès lors pas arroser le sol en surface, mais en profondeur. Un seul arrosage conséquent, qui imbibe bien le sous sol, devrait permettre à n’importe quel arbre ayant un bon système racinaire de tenir plusieurs semaines, voire mois, sans arrosage.
Quels types d’arbres planter ?
Si Jeanne Barseghian a bien précisé que ces arbres en pot sont une solution temporaire et en aucun cas quelque chose de définitif, elle doit déjà être en pleine réflexion pour le type d’arbres à planter en automne, dans sa réflexion de végétaliser à nouveau la ville. En effet, on ne peut pas planter n’importe quel arbre n’importe comment, il s’agit de réfléchir aux sols, aux températures et à la façon dont les essences qui seront plantées s’adapteront à leur environnement. Pas mal de réflexions qui promet une fin d’été animée.
Mais elle ne partira pas de nulle part. À Strasbourg, ce sont plus de 85 000 arbres qui sont gérés par les services de la Ville et de l’Eurométropole, alors que dans le même temps, chaque année ce sont près de 500 arbres qui sont renouvelés. Dès lors, on peut dire qu’en la matière, Strasbourg sait faire. En outre, ils assurent déjà une diversité d’essences dans les arbres plantés, puisque chaque essence a des propriétés différentes.
On peut donc voir qu’à Strasbourg, les tendances les plus hype en ce moment sont le tilleul, résistant à la sécheresse, le platane, et l’érable, mais aussi le Prunier-cerise. Mais surtout, qu’on a énormément d’essences différentes dans la ville, ce qui démontre que les services des arbres sauront quoi planter dans l’optique de revégétaliser Strasbourg.
De la difficulté de déminéraliser
Enfin, et cela semble important de le rappeler, le travail qui attend Jeanne Barseghian et toute son équipe n’est pas des plus aisé. Il est bien plus facile de minéraliser une place que de la déminéraliser. De plus, notre nouvelle Maire se retrouve à devoir changer de cap par rapport à des années et des années de construction démesurée à Strasbourg.
En outre, un grand problème pour planter des arbres à Strasbourg réside dans le nombre conséquent de parkings souterrains que comprend notre ville. Et encore plus dans les places très minérales, puisque c’est précisément dans ces endroits-là que sont construits les parkings. La réflexion des services d’urbanisme de la Ville et de l’Eurométropole devront prendre cette donnée en compte lors de leurs réflexions prochaines, qui s’annoncent donc animées.
Du coup, est-ce que c’est bien ce qu’a fait la Mairie ? Sans distribuer de bons ou de mauvais points, une chose est sûre : il faut interroger et surveiller la cohérence des actions qui seront menées concernant la revégétalisation des villes. L’action des huit îlots de fraîcheurs est autant palliative que symbolique, ainsi que tactiquement bien jouée sur le plan de la com’ politique. Les arbres en pot permettent une évapotranspiration assez faible, ce qui n’est pas très bénéfique pour l’environnement tout autour. C’est de l’urgence, et de toute manière, tout est mieux que du minéral partout. Néanmoins, il faut penser aussi à long terme. Arrêter de tondre tout et partout, conserver l’eau dans le sol, ne pas mettre les immeubles en bordure de trottoirs… L’urbanisme doit aussi faire sa part. Un arbre, ça vit quand même 150-200 ans, ça mérite donc de prendre quelques minutes pour bien le choisir.
Des îlots palliatifs à quoi au juste ? De l’urgence pour les bobos du centre ville de traverser la place à l’ombre ?
Dans les quartiers Meinau, Stockfeld, et Neuhof où je travaille, les parois réflectives des immeubles rendent certains lieux bouillants l’été mais pas d’îlots de fraîcheur là-bas…
Ces plantations éphémères viennent effectivement de disparaitre du centre-ville. Où sont elles passées ? À la décharge ? Quel aura été l’impact climatique de 3 mois d’îlot de fraîcheur ? Et quel impact pour le portefeuille ?
Non à la politique hors-sol !