Tout le monde a déjà lu, vu ou ne serait-ce qu’entendu parler de la série Game of Thrones (Le Trône de fer en VF). Son scénario retors, ses batailles épiques, sa violence jubilatoire et ses intrigues à la mords-moi-le-nœud. Bien, bien, bien. Maintenant blasphémons un peu : le monde de Games of Thrones est-il vraiment si dingue et novateur que ça ? L’écrivain George R. R. Martin, qui est à l’initiative de la série romanesque adaptée à l’écran, a-t-il vraiment une imagination sans borne et un sens de la cruauté si décapant qu’on veut bien le dire ? Il suffit pourtant de tourner les pages du grand livre de l’Histoire de l’Alsace pour s’apercevoir qu’en matière d’événements qui déboîtent et d’intrigues ubuesques, notre région n’a décidément rien à envier au pays de Westeros. Pour vous le prouver, on vous embarque pour une série aussi sanglante qu’apprenante (car on a bien écouté les conseils du ministre de l’Éducation) ! [attention risque de spoilers]
Aujourd’hui : épisode 6/8 : les sorcières alsaciennes : suppôts de Satan… ou alliées potentielles ?
Dans Game of Thrones, le personnage de la sorcière incarnée par la prêtresse rouge Mélisandre, est d’une ambiguïté fascinante. Difficile à cerner, beaucoup de questions se posent à son sujet. Fait-elle partie du monde des morts ou de celui des vivants ? Pour quel camp se bat-elle vraiment ? Dans le but de faire triompher le Mal ou le Bien (notions plus que relatives dans le monde de Westeros) ? Et son dieu, ce Maître de la Lumière, qui demande sacrifice par le feu et projette des ombres noires de par le monde, ne serait-il pas en fait un peu notre diable à nous ? Tous ces questionnements nous ramènent à l’histoire des sorcières en Alsace. Aujourd’hui célébrées dans le folklore, elles furent pourtant longtemps pourchassées…
L’histoire de l’Alsace regorge de procès et d’exécutions de soi-disant sorcières ; souvent des femmes un peu trop indépendantes. On dénombre pas moins de 6 000 femmes brûlées au XVIe et XVIIe siècle, rien que dans la région. Les motifs d’accusation ? Oh un peu tout et n’importe quoi. Si je vous dis : mauvaises récoltes, orages de grêles, transformation d’humains en animaux voire même vol de virilité. Sur qui ça tombe ? La fille bizarre avec un grain de beauté sur l’épaule là !
Dans les torts attribués aux sorcières ont aussi souvent percé des histoires de désir. Du côté de GOT, Mélisandre possède en effet un fort pouvoir d’attraction sexuelle dont elle joue pour dominer les hommes qu’elle souhaite mener à sa guise. Or il n’était pas rare de faire condamner des sorcières parce que celle-ci avait tenté un homme en étant trop séduisante ou parce que celle-là avait fait disparaître sa virilité rien qu’en le regardant dans les yeux. Les hommes, à l’époque, ont su retourner leur mauvaise conscience en accusant ces femmes de péchés. En ce qui concerne Mélisandre, a-t-on besoin d’ajouter qu’elle est rousse, comme c’est le cas de la plupart des sorcières représentées dans les peintures des siècles passés?
Pourtant, aujourd’hui, les sorcières font partie du folkore et il n’est pas rare qu’on les célèbre, comme à Rouffach où a lieu chaque année une Fête des sorcières (malheureusement annulée cette année à cause de la crise sanitaire). Rouffach fut pourtant le théâtre d’une cinquantaine de bûchers ! Il faut dire que le village accueillait le siège local de l’Inquisition et des caves voûtées ont vu plus d’une scène de torture. Et ce, à l’emplacement d’un restaurant aujourd’hui bien connu et qui a perpétué la mémoire de façon un peu plus légère : l’Haxakessel (“le chaudron de la sorcière”), dont la décoration fait la part belle aux effigies portant balais et chapeaux pointus.
À Rouffach toujours, la Tour des sorcières a servi de prison pendant des siècles et elle doit son nom aux femmes accusées d’être des sorcières et qui y auraient été emprisonnées.
Mais Rouffach n’est pas la seule localité a avoir conservé la mémoire des sorcières. On dit par exemple que de nombreux sabbats, ces rendez-vous avec le diable, ont eu lieu sur les hauteurs du vignoble, notamment au Bollenberg (non loin de… Rouffach) où une chapelle a été construite pour, dit-on, contrecarrer leurs plans maléfiques.
La colline du Bastberg (au nord de Saverne) a également conservé la légende de rassemblements de sorcières qui y riaient et dansaient en ronde au milieu de la nuit. On dit qu’aujourd’hui encore, il vaut mieux éviter de s’y balader à des heures tardives.
Plus au sud, Thann conserve aussi une Tour des sorcières (dont il est inutile de rappeler les origines du nom) ainsi que son fameux Œil de la sorcière qui domine la vallée.
Une autre histoire révèle un manichéisme moins évident et prouve que la sorcière pouvait passer de paria à héroïne en un claquement de dents (c’est comme le claquement de doigts mais quand l’histoire fait peur). Faisons un tour cette fois du côté du village de Riquewihr, bien connu aujourd’hui encore pour son pittoresque au vernis médiéval. Cette histoire commence comme une banale histoire d’amour entre deux tourtereaux de la bourgade. Mais comme dans toute bonne histoire arrive le temps des péripéties. Le jeune homme est envoyé à la guerre. Flûte. Comme il se doit, il se battit vaillamment et, comme il se doit, il mourut… vaillamment. La peine de sa jeune fiancée (qui répondait au nom de Marie) fut telle qu’elle s’enferma chez elle et refusa dorénavant toute vie sociale. Mais une fille qui vit seule avec son chat noir, et qui erre parfois la nuit, c’est louche. Les on-dit se multiplièrent et v’là-t’y pas qu’on finit purement et simplement par décréter qu’elle avait tourné sorcière. Avouez qu’errer sur les remparts la nuit en gesticulant et en criant… Mais ça peut être très utile, surtout quand la guerre se rapproche du village. Imaginez la scène : des soldats ennemis tentent une attaque furtive le long des murailles. Soudain, ils entendent des lamentations, des râles, des cris venus du fond de la nuit. Pris d’une frousse terrible, ils se carapatent sans demander leur reste. Pourtant ce n’était que Marie qui pleurait à la lune. Force fut aux habitants de Riquewihr de reconnaître que Marie les avait protégés d’un bien funeste… sort.
Comme quoi, les sorcières, soit on les abhorre, soit on les adore. Un peu comme cette chère Mélisandre dans Game of Thrones…
[À noter qu’il existe une Maison de la sorcellerie à Bergheim qui reconstitue dans une scénographie le contexte historique des 40 procès de sorcellerie qui s’y déroulèrent.]
Bibliographie pour la série en entier :
JORDAN Benoît, Histoire de Strasbourg, éditions Jean-Paul Gisserot, 2006
MEYER Philippe, Histoire de l’Alsace, Perrin, 2008
KAEPPELIN Rodolphe, Histoire de l’Alsace, La Geste, 2019
WAAG François, Histoire d’Alsace ; le point de vue alsacien, Oran embanner, 2012
KREMPPER Michel, Dictionnaire des légendes d’Alsace, Mulhousienne d’édition, 2018
LAZZARINI Nicole & ROCHUT Jean-Noël, Légendes et contes d’Alsace, éditions Ouest-France, 2018
MECHIN Christophe, Petit dictionnaire des légendes d’Alsace, Oriande éditions, 2004
FISCHER Marie-Thérèse & DIVERS, Cette histoire qui a fait l’Alsace (les 8 premiers tomes), éditions du Signe, 2009-2011
Le site des musées de Strasbourg
https://gameofthrones.fandom.com/
https://www.lagardedenuit.com/
+ Articles parus dans divers magasines (comme Géo Magazine) ou encore reportages télévisés, notamment de France télévision.