Bienvenue sur le site de Pokaa.fr

Votre navigateur est obsolète.

Merci de le mettre à jour pour voir le site correctement

Mettre à jour

Recherche

Lance une recherche dans les articles ou vidéos parmi l’ensemble des publications de Pokaa.

Publicité

Strasbourg : la mygale et la fourmi

2.9k Lectures
Publicité
Publicité

Un point rouge en mouvement trouble le brouillard matinal de l’Avenue de Colmar déjà saturée par plusieurs dizaines de véhicules aux conducteurs agacés. Les klaxons secouent les piétons encore endormis qui foulent les peaux de zèbres incrustées dans le bitume alors que le feu est déjà vert depuis  longtemps. Les carcasses métalliques frôlent les membres des plus téméraires qui arrivent de justesse sur l’autre rive, évitant de quelques centimètres les mâchoires aiguisées de crocodiles rugissants. Les pots d’échappement fument comme des mégots en fin de vie, toussant une vapeur blanchâtre qui s’évapore entre les branches nues des arbres. Après les pétards de la nuit de la Saint-Sylvestre, la ville est un énorme cendrier que les balayeurs matinaux de l’Eurométropole s’efforcent de vider dans des camions-poubelles saturés.

Janvier s’installe sournoisement dans la jungle urbaine. Après le temps de l’oisiveté, voici venu celui des bonnes résolutions, des régimes, du sport et des privations. La chasse aux paresseux est ouverte. Le culte de la performance, en pause durant le mois de décembre, est de retour sur les panneaux publicitaires.

Ventre plat. Cheveux brillants. Peau mate. Anticernes.

Il est 7h10. Strasbourg s’éveille sans Jacques Dutronc, sans Place Dauphine, sans Montparnasse et sans la Villette. Des amoureux fatigués se mêlant aux milliers de fourmis gelées affrontant la rudesse de l’hiver, pour remplir des réfrigérateurs dépressifs après l’abondance des fêtes de fin d’année et déposer des chèques anorexiques sur des comptes épargne orphelins.

La lueur écrevisse se rapproche le long des rails comme un coquelicot perce la neige à la vitesse de la lumière.

Ligne A. Destination Parc des sports.

Le troupeau monte au ralenti dans un assemblage de fourgons à la chaleur artificielle et aux vitres embuées. En route pour l’abattoir, la carte de la pointeuse dans une poche, un Lexomil dans l’autre. 

Un open space – Une chaîne de montage – La caisse d’un supermarché – La plaque de cuisson d’un Mc Donald.

Le même geste répété du matin au soir. Ford peut être fier de lui. Il a fait des Hommes des automates qui passent huit heures par jour à fixer des boulons sur des voitures, à scanner des boites de lessive et à retourner des steaks hachés selon un processus militaire.

Une frêle coccinelle dépose ses fesses plates sur un strapontin proche de la retraite. Le balancement du wagon la berce avec douceur comme la cabine confortable d’un navire en croisière sur le Rhin. Les paysages défilant sous ses yeux lui rappellent son enfance en Vendée, là où l’air a le goût des algues et l’horizon crache son amour sur les visages emmitouflés. NOSTALGIEElle peut sentir les perles de caramel au beurre salé sur son palais et l’iode s’infiltrer dans ses poumons de moineau.

Plus on s’éloigne du centre-ville et plus les tours en béton aux lucarnes illuminées tutoient les nuages cendrés. Entre les deux, le néant, des hirondelles désorientées et quelques paraboles sur les toits. Au milieu du quartier, la Tour Eiffage, chef-d’œuvre architectural de ghettoïsation à l’ascenseur défectueux où squattent des larves de papillons anesthésiées. Une fois la nuit tombée, les lépidoptères tournoient autour du bâtiment en scooter et finissent leurs courses les yeux globuleux, à fixer les lampadaires hypnotiques. Ici, les crocodiles sur les polos tutoient les virgules sur les baskets comme si le quotidien n’était qu’une phrase sans point, succession de marécages et de mélasse que personne ne veut voir.

Pas de maquillage mais des visages qui parlent d’eux-même. Les clowns de la périphérie n’ont plus envie de sourire. Joker n’est pas loin pour ces gamins au bord de l’implosion.

Au petit matin, c’est l’hécatombe. Les marches de l’escalier principal sont désertes. Des culs de joints jonchent le sol recouvrant l’illusion de la veille, à refaire le monde, à se voir propriétaire d’un restaurant italien, avec sa femme en salle et les copains qui passent boire un demi entre deux virées en Thailande. 

“Je vois un four au feu de bois avec des recettes de malade jamais tentées, style ” Poulet- Haloumi – Choucroute” ou ” Merguez – Pois Chiche – Munster”. De bonnes grosses portions, pas comme à Domino’s où tu te suces les doigts tellement leurs pizzas on dirait des crêpes”.

Rêver à plusieurs, c’est déjà une réalité mais seul on termine les ailes brûlées à tourbillonner devant sa télévision en s’enfilant une canette de bière pour oublier que le temps est assassin et que petit à petit les autres partent pour faire leurs nids. Parfois dans un sac en plastique blanc après un coup de couteau mal géré ou en avion pour voir à quoi ça ressemble de l’autre côté, mais celui qui reste devient à la fois victime et bourreau de cette habitation à loyer modérée.

Les loups ne fonts pas de chats mais mangent dans la même gamelle.

Le tram continue sa route, ramassant des silhouettes muettes sur son passage. Un vaisseau spatiale sans ailes, piloté par Capitaine Christian, en équipe du matin cette semaine. Christian, c’est moins branché que Spock comme prénom, mais c’est comme ça, tout le monde n’a pas fait vulcain en seconde langue au lycée et Star Trek n’était pas une option au bac, il y avait latin, c’est nettement moins fun pour faire grève.

Beati pauperes spiritu – Heureux les pauvres en esprit.

Elle souffle sur ses mains gercées, ajuste sa bague en argent puis dispose un casque réducteur de bruit d’une célèbre marque américaine sur son crâne  pour s’isoler du monde encore quelques minutes. Nick Cave fredonne de sa voix caverneuse. GHOSTEEN, un album lumineux mais déchirant. Il y est question de la mort de son fils, de chevaux, de fantômes, de l’adolescence et d’un second souffle.

Les chevaux brillants se sont enfuis des champs,

Ce sont des chevaux d’amour, leurs crinières pleines de feu,

Ils séparent des villes, ces brillants chevaux en feu,

Et tout le monde se cache, et personne ne fait un son,

Et je suis à tes côtés et je te tiens la main,

Les merveilleux chevaux brillants jaillissant de votre main brûlante,

Et tout le monde a un coeur et appelle à quelque chose,

Nous sommes tous si fatigués de voir les choses comme elles sont,

Les chevaux ne sont que des chevaux et leurs crinières ne sont pas enflammées.

Elle finit presque par s’endormir mais la porte s’ouvre soudainement, laissant s’engouffrer un courant d’air glacial qui lui donne la chair de poule.

Il fait moins trois dehors. Le réchauffement climatique tout comme le nuage radioactif de Tchernobyl s’arrête à la frontière allemande visiblement.

Une armée de mygales estampillées CTS en profite pour s’inviter furtivement dans le convoi. Les animaux sentent le danger. Une antilope à la doudoune gigantesque tend ses oreilles afin de chercher des informations comme un satellite piste un signal radio dans l’espace. Ici la Terre. Silence complet. Seul le battement de son coeur raisonne dans ses tempes. C’est chacun pour soi. Les plus forts survivront. Les prédateurs cernent les passagers, armés de lecteurs de carte à puce infaillibles qui ne laisseront aucune chance aux fraudeurs.

Il faut se cacher, se déplacer avec intelligence afin de se mettre à l’abri du rayon laser des arachnides ébènes verbalisateurs.

« Bonjour. Contrôle de votre titre de transport s’il vous plaît ».

Une biche est prise au piège sous le regard apeuré de ses deux faons qui s’arrêtent instantanément de téter un biberon de lait tiède et mousseux.  En cercle, ils s’approchent d’elle, bloquant toute possibilité de fuite. Les violons crient. La tension monte. L’un deux écarte ses crochets venimeux et la mord d’un coup sec et assassin en lui demandant sa pièce d’identité. L’amende se diffuse dans ses veines et une toile de soie la confine entre deux sièges, l’empêchant de prononcer le moindre mot. C’est terminé.

Circulation sans titre de transport : 60 euros.

Elle finira en cocon PLS sur le quai glissant de la Place de l’Étoile, se demandant encore ce qui vient de lui arriver, dans l’indifférence la plus totale. Le tram est déjà bien loin lorsqu’elle reprend ses esprits. La poussette à la roue branlante trace sa route fermement dirigée par une mère encore tremblante. Plus que dix minutes pour déposer les petits à la crèche.

Avec de la détermination, une puce saute plus haut qu’un lion.

Ça pourrait vous intéresser

+ d'articles "Strasbourg"

À la une

Strasbourg : la mygale et la fourmi

Aucun commentaire pour l'instant!

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Répondre

En réponse à :

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Illustrations prolonger la lecture

Prolongez votre lecture autour de ce sujet

Tous les articles “Strasbourg”
Contactez-nous

Contactez-nous

C’est par ici !