Depuis quelques années, on voit fleurir sur les réseaux sociaux de nombreuses photos de personnes encordées. Le shibari, tradition ancestrale japonaise, littéralement « art de ficeler les colis », est une pratique qui connaît un réel engouement. Comme dans d’autres domaines, il existe de nombreux courants, de pratiques et de philosophies diverses et variées. Nous sommes allés à la rencontre de Asami, une Haut-Rhinoise qui pratique le shibari BDSM en suspension, pour parler en toute franchise de son parcours et de sa passion pour les cordes.
Pour commencer, un peu d’histoire. Le shibari est un art issu du kinbaku (« bondage »), une pratique qui peut être sexuelle ou non. Il consiste à entraver les mouvements d’une personne en utilisant des cordes, et en réalisant des figures géométriques avec son corps.
L’origine du shibari débute dans le Japon médiéval et féodal, où il était d’usage de ligoter les ennemis capturés en guise de châtiment corporel, ou à des fins de torture. Cette forme d’art guerrier n’était pratiquée que par une élite, et avait des codes bien précis.
Au 18e siècle, le kinbaku commence à devenir un jeu dans la sexualité des Japonais(es), et prend donc une toute autre forme.
Dans les années 1960, le shibari est popularisé en Europe par John Willie, un photographe britannique adepte du bondage et du fétichisme. Depuis, il n’a eu de cesse de se propager, et de convertir de nombreux/ses adeptes.
Il y a celles et ceux qui pratiquent uniquement pour le côté esthétique, ceux qui le font au sol, en suspension, en semi-suspension, ou encore celles et ceux qui s’adonnent à ce jeu au sein d’une pratique sexuel BDSM (regroupant le bondage, les punitions, le sadisme et le masochisme).
C’est le cas d’Asami, qui a découvert et commencé à pratiquer au fil des rencontres qui ont jalonné sa vie d’artiste-performeuse : « J’avais fait de la scène pendant une dizaine d’années avec du néo-burlesque, puis je me suis vite dirigée vers des choses plus performatives : j’ai appris à manipuler le feu, je performais sur du verre pilé, des choses qui s’apparentent plus à des pratiques de fakir. »
La jeune femme avait, dans son entourage, une connaissance qui pratiquait le shibari « dans un délire de performance, pas de relation dominant-soumis. Ça collait avec mes envies de dépassement de soi, donc j’ai commencé à me faire attacher par cette personne. Par la suite, j’ai eu envie de m’attacher moi, mais je n’avais aucune connaissance des nœuds, donc je me suis renseigné. »
Asami est ensuite monté sur Paris pour se former avec Alex Dirtyvonp, qui a un établissement, qui s’appelle L’école des cordes.
L’attachée et l’attacheuse
Avec Alex, Asami découvre une autre manière de pratiquer, où entre en jeu des notions de pouvoir, un rapport dominant(e)-dominé(e) avec une dimension psychologique très forte. Les sensations sont différentes, la connexion se fait par les cordes, mais aussi mentalement entre les deux partenaires.
Elle perfectionne ensuite ses connaissances auprès de Fen, bien connu dans le milieu strasbourgeois du shibari – un ami auquel elle tient à faire un clin d’œil tout particulier puisqu’il nous a quittés l’année dernière…
Elle a alors envie de passer de l’autre côté, et se voit davantage en attacheuse qu’en attachée. Asami se tourne rapidement vers une pratique BDSM du shibari, avec des jeux de domination plus ou moins poussés : « Ce que j’aime dans le fait d’attacher, c’est de prendre le contrôle sur les choses. J’aime bien emmener les gens vers des émotions intéressantes, transgressives, dans des choses puissantes. J’aime les émotions fortes, et j’aime valoriser cette contrainte due aux cordes, j’y trouve beaucoup de beauté […] mon regard sur cette contrainte me procure une forme de plaisir, qui n’est pas sexuel, mais plutôt esthétique. »
Asami s’adapte surtout aux personnes qui se trouvent en face d’elle : « Ma pratique est compliquée à définir parce qu’en fonction de la personne que j’ai en face de moi, de la relation que j’ai avec elle en dehors des cordes, ce sera à chaque fois une pratique différente. Une fille que je connais depuis des années, mis à part si elle me le demande, je ne vais pas avoir une pratique sadique. Je vais être plus enveloppante, je vais l’accompagner dans une expérience […] chacun vient chercher quelque chose de différent au final, et moi, je compose avec ce que la personne veut vivre. »
« Chaque corps est différent, chacun a ses faiblesses, ses formes »
Le côté émotionnel et relationnel est très important pour cette attacheuse. Elle ne voit pas sa pratique comme des gestes automatiques à répéter à la chaîne pour contenter une clientèle, de plus en plus nombreuse, qui n’a pas toujours conscience des enjeux du shibari.
« Je ressens un vrai effet de mode avec des personnes qui veulent se faire encorder, mais qui n’ont aucune notion de la pratique : ça fait mal, c’est contraignant. Ces notions sont souvent mal comprises, et c’est pour ça que je choisis mes partenaires maintenant. En fait, souvent, ces gens viennent chercher une jolie photo. »
Asami aime davantage travailler avec des partenaires réguliers/ères de shibari. Un binôme féminin, qu’elle va rencontrer plusieurs fois, dont elle va apprendre à connaître l’anatomie, les envies, et les points sensibles : « C’est intéressant de bosser à deux, parce que chaque corps est différent, chacun a ses faiblesses, ses formes, et ça met du temps d’apprivoiser tout ça […] Il y a aussi l’idée d’avancer, d’aller plus loin, de tester des choses qui font peur, mais d’y aller pas à pas ensemble. »
Pour certaines personnes, le shibari, le fait de se faire encorder, d’être entravé dans ses mouvements volontairement, est une manière d’apprendre à se connaître, de faire un voyage intérieur lorsque le corps est attaché, relâché et libère des endorphines.
Une sensation de flottement face aux problèmes du quotidien : « J’ai des amies qui me disent que ça leur fait du bien, parce qu’elles ont du mal à lâcher prise, et au contraire, s’abandonnent complètement avec moi. C’est assez complexe ce qui se passe d’un point de vue psychologique. »
Mais Asami rappelle que le shibari reste une pratique extrême, qui doit être encadrée par des professionnel(le)s, et n’est aucunement une solution pour soigner des blessures de l’âme.
Ne la pratiquez en aucun cas chez vous, sans avoir reçu les conseils ou être entouré(e)s de professionnel(le)s, qui sauront vous guider pour acquérir les bons gestes au fil du temps !