En cette fin d’année 2023, Michel Habsiger, 77 ans, est derrière les fourneaux. Situé à 30 minutes de Strasbourg, dans le village de Gertwiller (au sud d’Obernai), son atelier de pain d’épices sent bon la cannelle. Rencontre avec ce passionné qui est tombé amoureux de ce gâteau sucré quand il était petit, à qui on pourrait décerner le titre de papa Noël de la cuisine alsacienne !
Pour présenter Michel Habsiger, l’anecdote est toute trouvée : il conservait précieusement « pendant des années » la recette secrète de son pain d’épices dans un recoin de sa tête. Mais, « il y a 17 ans, j’ai eu un gros problème de santé, j’ai vécu une mort subite. Après mon réveil, j’ai demandé de quoi écrire pour enfin la noter quelque part ».
Si l'expression « cuisiner avec amour » était une personne, ce serait Michel
Mais l’histoire de Michel commence il y a bien plus longtemps. Il a 10 ans lorsqu’il concocte son premier pain d’épices. Il doit remplacer le pâtissier dans l’entreprise de son père, restaurateur et pain-d’épicier (comme son grand-père), à Gertwiller. Il nous confie avec un air malicieux : « Une fois adulte, je devais reprendre le restaurant, mais ça ne s’est pas passé exactement comme ça ».
Depuis ce jour, il n’a jamais cessé de faire du pain d’épices et il continue d’enfiler son tablier tous les matins : « le travail, c’est la santé », comme il dit si bien !
Et on comprend pourquoi, vu que ce gâteau sucré semble couler dans les veines de la famille. Par exemple, le père de Michel avait fait un stage chez Lips, l’ancien propriétaire de la maison du pain d’épices dont Michel est le propriétaire depuis 1977. « Alfred Lips ne pouvait plus continuer pour raison de santé, j’ai donc naturellement repris l’affaire. »
Une recette secrète bien gardée
La recette secrète du pain d’épices Lips a traversé les époques depuis le 19ème siècle : une pâte à base de farine, de sucre et de miel. « On n’ajoute rien d’autre, il n’y a rien de chimique à l’intérieur. »
Et surtout des épices, « dans le commerce, on trouve des mélanges 4 épices, chez nous, c’est 11 ! » : anis, cannelle, clou de girofle, gingembre, muscade, cardamome. Le reste, Michel préfère ne pas le dévoiler, nous n’en saurons pas plus !
Pour obtenir des pains d’épices, la méthode ancestrale est la suivante : on prépare avec amour une pâte mère (une pâte sans épices qui sert de base aux préparations), qu’on conserve 6 mois, on y ajoute deux autres pâtes avec les épices, une de 6 semaines et une plus jeune, d’environ 1 semaine.
Les épices nous viennent d’un importateur basé à Illkirch. On s’occupe ensuite du mélange et de tout le reste !
Pour ensuite fabriquer les produits destinés à la vente, les membres de l’équipe autour de Michel utilisent toutes sortes d’instruments, « dont la plupart sont plus vieux que moi », raconte notre hôte du jour. Ils découpent ensuite la pâte avec des emporte-pièces, puis envoient leurs créations à cuire dans un four spécifiquement conçu. Puis, place à la décoration par les petit(e)s lutin(e)s de l’atelier, des décorations qui évoluent au fil des saisons !
Le fruit du travail de Michel et son équipe (11 personnes, dont 4 membres de sa famille) est vendu aux 2/3 dans sa propre boutique à l’avant de l’atelier et sur le site internet. Le circuit court pur-sucre !
« On ne veut surtout jamais s’industrialiser »
Avec des machines plus modernes, impossible de conserver la recette secrète qui fait les beaux jours de la maison : « On ne veut surtout jamais s’industrialiser, c’est ce qui a toujours fait notre force et nous a différencié des autres pain-d’épiciers ». Avec un objectif : fabriquer ad vitam aeternam des produits moelleux et savoureux qui se conservent bien !
De plus, l’atelier ne ressemble en rien à une cuisine de l’industrie agroalimentaire. Ici, pas de grand frigo pour conserver des produits douteux génétiquement modifiés.
Cette technicité artisanale vaut à Lips le titre d’Entreprise du patrimoine vivant. Un label décerné par l’État français « pour distinguer des entreprises françaises artisanales et industrielles aux savoir-faire rares et d’exception ».
Lips doit ce titre à sa recette unique qui lui permet de concocter, avec amour, 5 tonnes de pain d’épices par an ! À titre de comparaison, l’industriel Fortwenger, également situé à Gertwiller, produit « six à huit tonnes de pain d’épices […] chaque jour » en 2020, selon France 3 Grand Est.
La caverne d’Ali Baba et ses milles et un trésors autour du pain d’épices
À l’étage de sa boutique qui trône fièrement en face de la mairie de Gertwiller, Michel a d’autres surprises pour les fans de pain d’épices : un musée ! Il accueille 45.000 visiteurs/euses par an.
Il y expose toutes ses trouvailles relatives au monde… du pain d’épices, vous l’aurez deviné ! Depuis l’âge de 15 ans, il chine des pièces de collection de toutes les époques, pour les partager avec ses convives.
En le visitant, on croise Thomas, son fils, qui continue la collection et concède : « On a arrêté de compter le nombre de pièces dans le musée quand on était à 11.000, on a encore au moins le double en réserve ».
On y trouve des vieux ustensiles de cuisine, des accessoires d’apiculture, une réplique d’un ancien atelier de pain-d’épicier, un bonhomme en pain d’épices géant !
La visite est terminée, on se dirige donc vers l’atelier pour saluer Michel avant de partir. On tombe une nouvelle fois sur son fils. Il porte son enfant en pleurs. Quelle est la seule chose qui a bien pu le consoler ? Un pain d’épices enrobé de chocolat.
La relève est assurée !