Pas assez de serveurs et de serveuses, conditions de travail difficiles, établissements contraints de revoir à la baisse leur nombre de couverts… Depuis des mois, le secteur de la restauration connaît une véritable crise en France. Ville de bars et de restos par excellence, on s’est demandé ce qu’il en était à Strasbourg, en allant à la rencontre des principaux concernés.
En trois clics, si l’on cherche les postes de serveurs/serveuses à Strasbourg (et dans un rayon de 10km) sur le site du Pôle Emploi, on trouve 123 offres, dont une large majorité de CDI (95 postes).
Joanna, serveuse et barmaid aguerrie, voit la situation d’un œil assez sombre : « Les établissements proposent des CDI : c’est la carotte. Ils montent les salaires aussi, mais malgré tout, la pénurie est là. On a donc des établissements qui ferment alors que ce sont des très bons établissements. »
Une autre serveuse interrogée considère, elle, que son établissement est plutôt bien loti. Cependant, lorsqu’on lui demande son point de vue sur la situation d’autres adresses, son constat est clair : « ils sont dans la m***e… ». Le ton est donné.
Un énorme manque de personnels
Dans beaucoup d’établissements, la recherche de nouvelles recrues est constante, si bien qu’à tous les niveaux, le fonctionnement est impacté.
Axel a vécu sa toute première expérience dans le service cet été, au sein d’une crêperie. Du haut de ses seize ans, le lycéen garde un souvenir prégnant de ce manque d’effectif : « Tous les jours, il nous manquait des gens. Donc il faut compenser pour que ça tourne, alors on court partout, tout le temps ».
44 Mots doux de Strasbourgeois à leurs bars, clubs et bistrots préférés
Au Blue Note, si le recrutement ne pose pas de problème, on relève une difficulté à trouver des gens formés, qui ont de l’expérience. Mais l’équipe s’adapte : « C’est un plaisir de former les jeunes, on sait que c’est utile. Ça permet aux nouveaux arrivants d’apprendre comment on bosse ici, parce que c’est différent selon chaque bar ».
Même son de cloche du côté du restaurant l’Acerola qui a tourné pendant les deux dernières années avec une majorité de nouveaux : « Bien sûr qu’on a dû les former, mais c’est normal. On a tous été formé à un moment : c’est une sorte de continuité ».
Nicolas, le gérant, note toutefois un changement dans l’état d’esprit de certains jeunes qu’il a pu recruter : une vision différente du boulot, peut-être moins en phase avec l’investissement et la difficulté qui vont de pair avec un poste dans le secteur.
Pour Joanna, diplômée dans l’hôtellerie, ce lien entre pénurie de main d’œuvre et baisse de qualification est évident. Mais il y a un troisième facteur qu’il ne faudrait surtout pas oublier : le Covid, véritable déclic pour beaucoup !
« Les gens se sont rendu compte que le métier est extra exigeant, demande beaucoup d’effort, mais que la reconnaissance ne suit pas forcément ».
Alors forcément, les personnels n’ayant pas fui le secteur ont changé d’attitude : « On est devenus nous aussi plus exigeants : on a des compétences donc on les met en valeur. Ça passe par demander un salaire en conséquence, et forcément, le plus jeune qui n’a pas de compétence, il coûte moins cher ! ».
À plus de trente ans et fort d’une expérience conséquente, Thibault a fait les frais de cette nouvelle conjoncture décrite par Joanna : il a rencontré beaucoup de difficultés à se faire embaucher au sein d’établissements qui privilégiaient les novices… moins coûteux.
L’effondrement de la main d’œuvre post-Covid, c’est un constat partagé par un des plus gros groupes strasbourgeois.
Interrogé par Pokaa en janvier 2023, Nicolas Stephan, responsable communication du groupe Diabolo Poivre en faisait état : “Le Covid a agi comme un accélérateur. Près de 30% des travailleurs et travailleuses de l’hôtellerie restauration ont quitté la profession”
Un travail rude et avec peu de reconnaissance
Si l’on se penche sur les causes de toute cette situation, il y en a deux qui ressortent dans les témoignages que nous avons recueillis : des conditions de travail particulièrement rudes et un management parfois loin d’être à la hauteur.
Florent a travaillé une année dans un établissement strasbourgeois. Son regard sur le secteur est acerbe, parfois amer : « Le manque de reconnaissance est frappant. On n’existe pas, on n’est que des subordonnés, des numéros. […] On ne voyait quasiment jamais la direction ».
Pour Joanna aussi, le rôle du patron est central : « Lorsque le patron n’est pas pro, tu dois alors tout faire à sa place, pallier les lacunes. Sauf que le salaire ne suit pas, les heures supp ne sont pas forcément payées, et la vie sociale en pâtit beaucoup ».
Selon elle, les horaires font aussi partie des aspects les plus rudes. Lors de la pause contrainte du Covid, loin du travail, elle a pu recréer des liens avec ses proches : « Je m’étais beaucoup éloignée de ma famille, de mes amis. Et j’en ai pris conscience à ce moment-là. Le week-end des gens en restauration, c’est souvent le dimanche et le lundi. Le dimanche tu dors et le lundi tout le monde travaille ».
Thibault, de son côté, appuie sur l’importance du bouche-à-oreille : « Certains établissements ont toujours des pénuries pour l’ambiance, l’équipe etc. Il y en a un qui est connu dans le milieu pour ça : tous les deux mois y a les offres qui reviennent, le souci vient certainement de leur gestion ».
Du côté des gérants aussi, on reconnait le problème. Nicolas, évoque ces « connards qui ont passé des décennies à jeter des casseroles à leurs employés et à les faire bosser 60h pour un smic ».
Il salue la prise de conscience du secteur à ce niveau-là et prône une valorisation du travail mais sans rechigner sur les efforts. Il dénonce ainsi ce qu’il voit comme le revers de la médaille : des jeunes fraîchement arrivés mais outrés qu’en plus du service, ils doivent donner un coup de main au ménage en salle. Parce que oui, ce secteur demeure exigeant et les horaires contraignants. Nicolas ne comprend pas ces patrons qui, pour attirer des jeunes, se vantent par exemple d’être fermé le samedi.
Un secteur d'opportunités pour les débutants
Qu’il s’agisse de Joanna, Nicolas, Thibault ou Florent, tous ont fait état de difficultés. Mais ils partagent également ce point commun de voir en ce corps de métier une mine d’opportunités et souvent une passion.
Joanna a démissionné de l’établissement dans lequel elle exerçait et passe désormais ses soirées à shaker derrière le bar d’un hôtel strasbourgeois de standing. « J’ai cherché un établissement plus exigeant, mais avec une qualité de vie bien meilleure. Ce qui change la vie, déjà, c’est la pointeuse ! »
Pour le reste, elle rêve d’un secteur qui privilégierait les gens formés et conseille aux jeunes attirés par ce milieu de se former en école hôtelière. Si elle estime que chacun devrait accepter de débuter avec un salaire de base, elle pense toutefois que la clé pour faire revenir la main d’œuvre demeure dans la capacité des patrons à laisser des perspectives d’évolution.
Elle est rejointe sur cette idée de perspectives d’évolution par Nicolas, qui est en revanche convaincu que le secteur demeure un des meilleurs pour quelqu’un qui part de rien : “C’est le seul corps de métier dans lequel on te prendra si tu n’as aucun bagage”
Ayant lui-même démarré sans formation, il gère désormais un restaurant qui marche très bien. S’il a pu se sentir quelques fois en décalage avec la jeune génération, il insiste sur l’importance de se remettre en question pour ne pas « devenir un vieux c*n ».
Il voit dans la beauté du métier le fait de former des jeunes qui, pour peu qu’ils s’accrochent et bossent bien, seront en capacité d’avoir un jour une carrière semblable à la sienne (et d’en former d’autres à leur tour).
Thibault, quant à lui, a fait partie de cette vague de démissions lancée par le Covid. Il a quitté la restauration pour reprendre des études dans le domaine de l’informatique. Il retient de son expérience celle d’un « métier-passion », la satisfaction d’avoir fait passer des bons moments à ses clients, la bonne humeur des terrasses.
Sur Strasbourg, il note un changement progressif de la part de certains établissements et fait le lien entre qualité des mets proposés au client et qualité de vie de l’équipe : « on a par exemple le Dé:jà : c’est deux jeunes qui ont lancé ça, une logique durable, de la qualité. Là on est plus du tout sur du « aller vite », c’est du « prendre plaisir ». Eux rendent service à l’image de la restauration ».
Pour sa part, Florent a trouvé un nouveau poste, au Blue Note. Il confie s’y épanouir dans le contact avec les clients, l’échange qui se crée. Sur ce point, il voit le service à table (qui n’était pas pratiqué par son ancien établissement) comme un point clé.
Comme Thibault et Joanna, il finira en évoquant la qualité et la reconnaissance : « Mes premiers soirs, le responsable m’a repris plusieurs fois pour que les boissons soient parfaites, c’est pas le cas dans beaucoup d’endroits. C’est gage de qualité. À la fin de chaque soirée, il me dit « Bon travail ! ». C’est important. ».
Les photos présentes dans cet article ont une visée uniquement illustrative du sujet : la restauration à Strasbourg. Elles ne sauraient associer les établissements qui y figurent à d’éventuelles difficultés.
J’ai connu un jeune homme en son temps. 19 ans et lassé par les études qui commença à la Lanterne. Puis au Trolley. Dix années plus tard, il dirigeait 3 établissement, avant de nous quitter brutalement. Il s’appelait Alex, beaucoup s’en souviendront. Il possédait le coeur et la tête pour ce job.
aka Rob
Après le COVID, personnellement, je voulais revenir vers la restauration. C’est un métier passionnant et un mode de vie qui peut plaire. Ayant de bonnes expériences, J’ai postulé à plusieurs reprises dans différents établissements “à priori cools” je suis toujours restée sans réponse… Beaucoup d’offres ne donnent pas envie de postuler, il est essentiellement indiqué que l’équipe est très très jeune et qu’il faut être un “Runner” que faut-il comprendre ? Quelqu’un qui court tout le temps…Ce n’est pas l’image que j’ai de ce métier ni comme ça que je l’ai appris, même en tant que client, ce n’est pas du tout ce que j’attends pour un moment de détente au resto.
Je n’ai aucune envie de faire du running habillée comme un “pingouin” et encore moins pour un SMIC…
Il faudrait effectivement que certains revoient leurs attentes s’ils veulent du personnel fiable, efficace et durable.
J’allais oublier…On peut aussi être pro et dynamique après 40 balais…Ok, c’est un peu plus cher…