Après les révoltes du week-end dernier à la suite de la mort de Nahel, Strasbourg reprend peu à peu le cours d’une vie « normale ». Un week-end tendu, qui a fortement marqué le centre-ville de Strasbourg et ses commerçant(e)s. Rencontre avec trois d’entre eux/elles.
Après un week-end historiquement tendu, Strasbourg revient peu à peu à la normale. Cependant, les tensions qui ont animé le centre-ville vendredi dernier, causant la fermeture de nombreuses boutiques strasbourgeoises, continuent d’impacter certain(e)s commerçant(e)s, déjà très affaibli(e)s par plusieurs années compliquées, entre inflation, covid et tensions sociales.
Dans l’attente du soutien des différentes institutions, et oscillant entre incompréhension, impuissance et colère, trois d’entre eux/elles ont accepté de nous partager leur ressenti, suite à ce week-end pas comme les autres.
« Fermez boutiques » : récit d’un week-end compliqué
Vendredi 30 juin, alors que Strasbourg prépare son premier week-end de juillet, l’ambiance change d’un coup aux alentours de 14h, avec l’arrivée de plusieurs centaines de jeunes près des Halles. Le centre commercial, craignant des dégradations, ferme alors entièrement ses portes en plein après-midi, lançant ainsi un « week-end un peu compliqué », selon Gwenn Bauer, président des Vitrines de Strasbourg, qui ont également dû annuler et reporter leur fête de l’été.
Selon Magali Poulaillon, gérante de l’enseigne du même nom et qui possède une boutique dans le centre commercial, la situation a vite été compliquée : « Nous n’avons pas eu d’autre choix que de subir la décision de la direction du centre qui a annoncé la fermeture, lorsque les risques de casse étaient avérés. Notre personnel est resté sur place, espérant une réouverture dans l’après-midi mais la situation à l’extérieur du centre ne s’est pas calmée ». Même scénario pour la boutique place de l’Homme de Fer, qui a dû fermer vers 17h.
Du côté de la boutique de chocolat Erithaj, les signes que le week-end allait être agité sont venus assez vites. Selon Arnaud Stengel, le dirigeant : « Notre premier signal d’alerte a été la fermeture des portes de l’hôtel de ville en plein après-midi, la boutique se trouvant juste en face. Très souvent, c’est le signe de débordements ou de risques de dégradations au centre-ville ; nous l’avions déjà vécu chaque samedi lors des manifestations des gilets jaunes et celle contre la réforme des retraites ». Le personnel a ensuite dû quitter les lieux en milieu d’après-midi.
Le samedi, rebelote avec des consignes données par les institutions. Gwenn Bauer explique : « On a demandé à la Préfecture de pouvoir renforcer la sécurité au niveau du centre-ville ; la maire est venue, la préfète aussi, pour voir les commerçants le samedi. On nous a alors dit qu’on allait suspendre tout le système tramways/bus et une préconisation a été donnée aux commerçants de fermer boutique. Ce n’était pas une obligation, mais 80% des commerces sont restés fermés ».
De quoi donner l’impression d’une ville morte, sans commerces de centre-ville durant un week-end décidément pas comme les autres.
Un impact financier important
Ces fermetures et perturbations sur le réseau CTS ont forcément eu un impact financier sur les boutiques du centre-ville strasbourgeois. D’autant plus qu’elles ont eu lieu le premier week-end des soldes, mais aussi sur deux après-midi de fin de semaine, qui sont souvent des jours de forte fréquentation. Une crise de plus pour la profession. Gwenn Bauer abonde : « Ces derniers temps, ça a été beaucoup plus compliqué pour les commerces, avec les gilets jaunes, l’augmentation de l’énergie ou encore le covid ».
Magali Poulaillon, dont l’entreprise a perdu 50% du chiffre d’affaires sur le week-end, valide également : « Au fur et à mesure que les responsables de magasins m’appelaient pour me dire que les magasins devaient fermer, j’avais l’impression de revivre les fermetures du covid. Des fermetures qui signifient une perte de chiffre d’affaire, des salariés qui doivent être payés et un modèle économique qui va encore être affaibli ».
Pour Erithaj, cela aurait pu être pire : « Il y a eu une perte de chiffre d’affaires mais qui reste toute de même minime par rapport au préjudice qu’une dégradation de la vitrine aurait entrainé ». Quant à l’impact financier sur les jours à venir, il reste difficile à prévoir.
Un sentiment d’impuissance, d’incompréhension mais aussi de colère
Mais, si la violence des derniers jours est retombée, leurs effets sur les commerçant(e)s sont eux partis pour durer. Pour Erithaj : « Il est clair que ces débordements ont marqué les équipes présentes ce jour là, de par la violence et l’impunité des actes de dégradations ». De son côté, Gwenn Bauer se dit simplement « écœuré », avant de poursuivre : « Qu’on veuille manifester un mécontentement ok, mais là on n’est plus seulement dans une manifestation, on est dans de la casse ».
Un sentiment de colère partagé par Magali Poulaillon et ses équipes : « On ressent encore de la stupéfaction, de la sidération, mais aussi de la colère. Mes équipes se sont senties visées alors qu’elles n’ont strictement rien à voir avec les conflits existants ». Une colère provenant aussi d’un sentiment de gaspillage : « Dans nos commerces, nous passons nos matinées à préparer à produire, cuire, garnir les produits dont le pic de vente a lieu à l’heure du déjeuner et au goûter. Ces deux jours place des Halles nous avons donc produit pour rien. C’est un sentiment de gaspillage insupportable ».
Pour Erithaj, il y a eu « beaucoup d’incompréhension face à la violence et la cible des émeutiers, notamment en ce qui concerne les commerces, les transports en commun et les dégradations inutiles qui ne vont qu’affecter la vie quotidienne des citoyens jusqu’au moins la rentrée ».
Finalement, il domine également un certain désarroi : « On se sent impuissant et on ne peut qu’espérer que la situation soit maitrisée au plus vite et que les esprits s’apaisent ». Gwenn Bauer ajoute : « En plus, c’était le premier week-end des soldes, un moment festif. C’était un moyen de pouvoir faire de bonnes affaires, et on tombe sur un week-end où finalement les gens se sont reportés en dehors de Strasbourg et sur internet ».
Quelles attentes pour la suite ?
Maintenant, quelle suite donner aux événements ? Le gouvernement s’est déjà engagé le 1er juillet dernier sur « le report de paiement de charges » pour les commerces dégradés et « la possibilité de prolonger d’une semaine les soldes ». Quant à la Région Grand Est, le président Franck Leroy a annoncé un fonds d’aide de 5 millions d’euros pour les TPE et commerçants touché(e)s. Une aide qui devrait être votée ce vendredi en conseil régional.
Pour Gwenn Bauer, pour l’instant, le scepticisme domine : « Ce ne sont que des annonces, il faut voir dans les faits, quelles seront les modalités. Il faut aussi voir par rapport aux assurances : il y a déjà eu de la casse il y a deux mois – pendant les manifestations contre la réforme des retraites, ndlr – il y aura forcément des surplus pour des commerces. On sera là pour accompagner ça, pour aider au mieux ».
Le président des Vitrines de Strasbourg formule d’autres demandes, cette fois-ci dirigées vers la Ville et l’Eurométropole : « On demande un accompagnement pour les commerces touchés, pour dynamiser le centre-ville de Strasbourg : pourquoi pas une journée de transports en commun gratuit, pour assurer l’accessibilité au centre-ville de Strasbourg ? ». Selon lui, les choses ont été posées lundi 3 juillet et, sur le principe, les différents exécutifs sont à l’écoute et plutôt favorables. Maintenant, reste à savoir quelles formes prendra ce soutien.