Médium d’expression populaire et artistique, le sound system permet d’écouter vos chansons préférées avec un son amplifié. Aujourd’hui, il rencontre un franc succès dans de nombreux festivals aux quatre coins de la France. Mais qu’en est-il dans la capitale européenne ? On a mis la tête dans le caisson, pour aller à la rencontre de ces acteurs et actrices strasbourgeois(es) qui explorent le sound system sous différents angles : la culture, la technologie, le système D ou encore l’art contemporain.
Sujet central de l’exposition Say Watt ? Le culte du sound system à La Gaîté lyrique de Paris en 2013 et la vedette de Jamaïca Jamaïca!, l’exposition retraçant l’histoire musicale de l’île, à la Philharmonie de Paris en 2017, sans oublier les festivals comme le Dub Camp (en Loire-Atlantique) ou le Dub Station (dans les Bouches-du-Rhône) : le sound system intéresse de plus en plus le grand public.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Le sound system, c’est initialement une discothèque de plein air fait-main, qui permet de jouer de la musique dans la rue, pour son quartier et ses voisins. C’est un système de sonorisation composé d’un ensemble d’enceintes préparées, d’un pré-ampli capable de décomposer les fréquences audio, elles-mêmes sur plusieurs bandes, et d’un vinyle. Plutôt que d’enchaîner les morceaux, le sound system favorise les variations auditives, tout en créant des effets sonores.
Chaque ampli aigu, médium ou grave a sa fonction et permet de restituer un son d’une extrême qualité. Mobile, le sound system connaît différentes formes, allant de l’imposant mur d’enceinte de plusieurs mètres, aux enceintes mobiles et autonomes installées sur un simple vélo.
Le sound system trouve ses origines dans les ghettos des années 50 aux Caraïbes : en Jamaïque, mais aussi à Trinité-et-Tobago. Au départ, c’est la radio locale qui est diffusée via ce système, puis des producteurs font progressivement leur apparition.
Le sound system se développe autour du reggae, du dub, qui devient la musique du peuple, se détournant ainsi des musiques U.S diffusées sur l’île. La population jamaïcaine expatriée en Angleterre développe de son côté le dub UK. Le milieu alternatif blanc anglais lance une nouvelle vague qui se tourne alors vers des rythmes plus rapides : la rave.
En Alsace, alors que nos voisins allemands vibrent déjà aux sons amplifiés de la techno, de la house et des free-party, la formule du sound system trouve rapidement son public. Musique unificatrice, culture festive et populaire dans la tradition du “Home Made“- fait maison -, elle est actuellement structurée en plusieurs écoles musicales, allant d’un roots/UK (influence britannique) au dancehall (influence U.S.) à l’inspiration hip-hop.
Avec des passionnés venus de toute l’Alsace, Strasbourg est un véritable repère de sound system, au cœur de nombreuses initiatives. Ils viennent de Lorraine, de Moselle ou encore de Franche-Comté pour partager l’ardeur de l’ampli portatif et faire vibrer d’un son chaud et rond les murs et les consciences. Et le public est au rendez-vous.
Strasbourg, à l'embranchement des basses
L’histoire du sound system strasbourgeois est intimement liée à la radio. Dès 1986, le collectif Black Sun Sound System tient un créneau sur RBS et propose ses sélections roots puis dancehall. Radio Judaïca introduit dès 1992, des artistes antillais dans l’émission de Daddy Roudy : Dance Hall Vibes.
En 2000, de nombreux collectifs d’artistes se développent comme Lightning Sound, Hill Vibz, Life & Création ou encore Cimarron Sound. Ils prennent pour point cardinal l’évolution musicale jamaïcaine, faisant de Strasbourg le pivot central de cette culture. Produit par Hill Vibz, l’album numérique TouchDown Mixtape verra le jour, regroupant 45 collaborations d’artistes reggae locaux.
Contribuant à l’offre culturelle de Strasbourg depuis 2003, Selecta Leev’ alias Olivier de Life & Creation, rapporte que le collectif entretient dès 2014 un lien avec la Jamaïque, en enflammant le Molodoï avec des artistes internationaux comme Jah Mason, Fanta Moja, ou encore Jennifer Barrett.
L’influence dub UK s’ouvre en 2007 avec Milk & Honey, puis Subactive Sound System, qui fera vibrer sa sono surpuissante de 2010 à 2016. Cette formation marquante de Strasbourg, aujourd’hui installée à Saint-Louis, permettra à de nombreuses autres formations de se lancer avant et après le Covid, à l’image des Mulhousiens Dekadub Sound System.
Antipod record, implanté à Strasbourg, est un bon exemple de transmission musicale. Actif depuis 2003 en free-party, label et enfin producteurs en 2012, ils s’auto-produisent et assistent de nombreux artistes locaux. Leurs productions s’étendent à trois vinyles de chaque style (hip-hop, dub, drum&bass), limités à 300 exemplaires.
Enfin, Artung Sound System connecte subtilement le reggae et la région en jouant avec l’expression : « Achtung Bicyclette » – ( « Prenez garde » ), et les mots « Art » et « Yung » (art-jeune). L’idée étant de « sortir des champs, des free-party et de la house pour propager les bonnes Vibz » jusqu’à Strasbourg, explique Tosch Red’Wine. Basé à Rhinau et actif depuis dix ans, le collectif s’associe aussi à d’autres formations et émissions comme sur Z’est Radio. La relève des années 2000 s’annonce prometteuse.
"Dub-it-yourself" générations
Flyer, pochoir, dessin, sérigraphie, vinyle : le fait d’échanger, de partager des bons plans ou des sons est une des valeurs centrales du mouvement. Le fait-maison, le “dub-it-your-self” ou le “home made“, est au cœur de cette culture depuis 1960. Proche du système D, cette tradition stylistique et auditive s’inscrit aussi dans l’art contemporain.
Dans le milieu, “il n’y pas de subventions, on a l’habitude de se débrouiller ! C’est le prix à payer quand t’es dans une mouvance anti-système […] tu apprends à cadrer tes budgets, et tu deviens malgré toi un vrai petit entrepreneur” ironise Mafosam, membre de Hill Vibz et Tekova Squad, mais également initiateur sur les réseaux sociaux de Strasbourg Reggae United, qui répertorie les initiatives locales, proposant interviews et live-report.
Jérémy Reynaud, sculpteur diplômé de la HEAR, questionne l’approche du son et de la matière à travers des œuvres immersives étonnantes. En mélangeant sculpture et musiques en basses fréquences, il crée des installations qui se ressentent physiquement : “Ce sont des créations orientées sur le ressenti du son”, expliquait l’artiste dans une interview et ajoute : “Je viens de la culture sound system. Dans ce genre de session, tu sens la pression acoustique, ça te remue, j’adore ça.”
Troncs d’arbres ou même cercueil : l’artiste transforme la matière en expérience sonore ! Chaque sonorisation est conçue sur-mesure en fonction de l’identité du collectif pour lequel il travaille. Chaque soirée est donc différente et ces murs sonores deviennent des monuments, des lieux de culte mystiques et/ou festifs.
Jérémy Reynaud, l’artiste strasbourgeois qui veut faire « ressentir la musique »
Une démarche similaire à celle défendue par l’artiste-illustratrice Trait Dérangé, également bookeuse-manageuse du collectif Brother Sound, actif depuis 2016 : « Ils enregistrent des vrais sons acoustiques pour ensuite les modifier en studio et produire des vinyles ». Avec une sono faite en bois, qu’ils confectionnent eux-mêmes avec soin, ils ont participé en 2022 au festival suisse Plein-les-Watts et feront le Dub Camp 2023.
Porteur d’un message roots valorisant le vinyle, Brother Sound, en collaboration avec Antipod record, a lancé le Café Dub, un évènement organisé au Molodoï. Lors du premier rendez-vous, qui a rassemblé des familles comme des initiés, chaque collectif a joué ses titres de deux manières différentes : sur table de mix puis avec la “control tower” (une sorte de régie qui se compose généralement d’une platine disque, d’un pré-ampli, d’une table de mixage directement incrusté dans le tableau de bord de la tour).
L’occasion pour les gens présents de tester les effets de la dissection des fréquences d’un son (les sirens, les cut, les DeLay), de jouer avec les fréquences sonores (basse, hautes, medium) et d’entendre les répercussions sur les enceintes XXL.
L'alternatif, lieu des possibles
Comme le sound system est né dans la rue, elle reste le meilleur endroit pour véhiculer les messages et faire danser les foules. Des évènements comme la Fête de la Musique, ou bien les manifestations, permettent à cette culture de s’exprimer au mieux et en plein cœur de la ville, pour porter ses messages d’unité.
Traditionnellement, le sound system diffusait un message spirituel, méditatif, conscient. Le message Rastafari, souvent chanté par le maître de cérémonie (MC) sur la face B du vinyle, est un moyen de rassembler autour du mystique. Aujourd’hui animés par de multiples influences, les anciens du mouvement regrettent que les valeurs Rastafari ne soient plus systématiquement au rendez-vous.
L’envie de liberté est peut-être trop forte ? Ou bien l’influence germanique de la rave party a-t-elle conquis les foules ? Quoi qu’il en soit, à Strasbourg, les collectifs se tournent plutôt vers les genres de la free-party, de la techno, de la drum & bass, et du hip hop, prônant un rythme plus saccadé et mélangeant parfois les styles.
De leur côté, pour les plus jeunes, la tradition roots jamaïcaine n’est pas vraiment représentative. Certain(e)s craignent par exemple, de tomber dans l’appropriation culturelle, car ils sont blancs. D’autres ne se reconnaissent pas dans le message Rastafari et construisent donc un sound system à leur image.
Qu’ils reposent sur des valeurs spirituelles ou simplement festives, de nouveaux événements ne cessent de voir le jour. Et permettent de découvrir des artistes émergents du milieu, qui font perdurer cette culture alternative à la fois fragile et précieuse. Grâce à cette nouvelle génération de passionnés, les sounds system n’ont pas fini de faire du bruit dans la région.
Wilfried Rion