La grande bulle de verre de la gare de Strasbourg dissimule un espace-temps hors du monde. Une antichambre au voyage, à la joyeuse expectative du départ. Récit d’une flânerie matinale au pays des wagonautes, dans ce hall de tous les passages, où des Strasbourgeois et des Strasbourgeois attendent, patiemment, leurs trains vers d’autres horizons.
Ce mardi matin de fin février, la verrière a des allures d’église. Étrangement silencieuse au regard du passage. Ni cri ni cavalcade. Juste le claquement discret de quelques talonnettes sur le béton ciré et le ronron des valises en pleine course vers les quais.
Il est 8h04 et le Strasbourg-Haguenau vient tout juste de libérer un flot de travailleurs plus ou moins pressés dans le hall central. Foulées slalomant entre les voyageurs immobiles au pied des panneaux d’affichage, en quête d’une voie. D’une direction. Du départ.
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Chaque année, ils sont plus de 20 millions à passer en gare de Strasbourg. Chaque jour, plus de 60 000 à y entrer pour y prendre le train ou en visiter les commerces. Faisant d’elle la deuxième gare de France hors région parisienne en termes de trafic après Lyon. La première en nombre de Ter depuis la mise en place du REM. Environ 2 000 trains s’y arrêtent chaque semaine. Translations vers l’Alsace, le reste de la France ou l’Europe.
Le calme avant le départ
Une poignée de voyageurs franchissent l’une des grandes portes vitrées bordant la voie. Au sein de cet espace réservé aux Grands voyageurs, l’ambiance se veut plus sereine. Élégante et feutrée. Installé dans le salon de l’empereur – construit à la fin du XIXe siècle pour l’Allemand Guillaume II – l’endroit propose des fauteuils, quelques canapés et des tables de travail directement éclairées par une série de vitraux ouvragés. Les jambes croisées, un homme en costume de ville lit Le Monde près de l’entrée.
Lisa, elle, déambule, son chocolat chaud à la main, avant de s’asseoir à une table. Originaire de Stuttgart, la jeune femme travaille actuellement à Strasbourg et prend le TGV deux fois par semaine.
Faire escale au salon constitue “un rituel de repos”. Au calme, à feuilleter des magazines. “C’est une étape importante qui me permet de me ressourcer avant de partir”, explique celle qui, souvent, travaille dans le train. Et apprécie particulièrement ce mode de transport. Surtout “au moment de traverser le pont sur le Rhin”, dans un sens ou dans l’autre.
Plus spartiate que sa voisine, une autre salle d’attente se cache le long du quai n°1. Bonnet sur la tête et ordinateur sur les genoux, Géraldine y attend son départ pour Obernai. Seule dans la petite pièce. “C’est assez peu connu comme endroit”, sourit la trentenaire qui l’a découvert en travaillant quelque temps à la gare. Mais n’y passe plus très souvent.
Si elle prend quotidiennement le train pour se rendre au travail, la jeune femme avoue être du genre à arriver juste avant le départ. En courant. “Ce matin, j’ai appuyé sur le bouton d’ouverture de la porte au moment où il s’est éteint. J’ai vu le train partir sous mes yeux.” La Strasbourgeoise apprécie particulièrement ce mode de transport. “Ma mère travaillait à la SNCF. Je suis longtemps montée dans le train comme on monte dans un bus.” Devoir le payer, une fois adulte, a cependant “changé la donne”.
Mais après trois ans d’aller-retours au boulot en voiture, Géraldine a finalement décidé de revenir au ferroviaire. “Cela crée une routine. Sinon, on peut vite se retrouver à ne pas avoir d’horaires et à partir tard. Avoir un train oblige à se fixer une limite.” Le matin, elle travaille dans son wagon. Le soir, elle prend le temps d’écouter de la musique, de regarder les gens et les paysages.
En gare, chacun(e) ses rituels
Dans la pénombre du hall central, la foule de voyageurs est un peu plus dense. Forêt de wagonautes plantés sur leurs pieds, l’air maussade. Le Strasbourg-Marseille accuse un retard de 25 minutes. La voie n’a pas encore été annoncée.
Axel patiente, son sac à dos sur les épaules, ses écouteurs sur les oreilles. D’ordinaire, lui aussi tend à arriver 10 minutes avant le départ. Pas de routine en gare donc, pour ce salarié du secteur de l’énergie prenant le train deux à quatre fois par mois. Sandwich et bouteille d’eau ont été préalablement glissés dans le sac pour ne rien avoir à acheter en voyage.
Mêmes préparatifs pour Ludovic et Emma, papotant sous la verrière en attendant le départ du long-courrier pour Marseille pour leurs vacances. Pas question de craquer son PEL en gare ou dans la voiture restaurant, même pour 6 heures de trajet.
Tous deux aiment en revanche prendre leur temps avant de partir. “J’aime bien sortir un bouquin en attendant”, explique la jeune femme partie ce jour-là avec deux livres. “Une romance et un polar”. “C’est prévisible dès la première page, mais ça se lit bien”, glisse-t-elle dans un rire.
Ludovic, lui, part également avec livre, mais surtout avec sa Switch. Et choisit toujours la place fenêtre. “Il y a un côté très cinématographique à avoir la tête appuyée contre la vitre, regarder passer les paysages, voir les gouttes de pluie défiler. Le tac-à-tac tac-à-tac du train sur les rails…”
Sensoriel, le voyage en train tient également de la métaphysique pour Thibault, 35 ans, sur le point d’emprunter le Strasbourg-Rennes. Son sac-à-dos de 60 litres sur le dos, le jeune homme flâne entre les rayonnages du Relay en quête du Canard enchaîné et du Monde diplomatique. Rituel d’avant-départ pendant la demi-heure de battement qui le sépare de l’embarquement “Le problème, c’est que je pars aussi avec plein de bouquins, alors je ne lis même pas la presse que j’ai achetée et finis par la retrouver un mois plus tard au fond d’un sac”, rit-il.
Le Strasbourgeois aime le voyage en train en ce qu’il est “hors du temps”. “Ne plus être là d’où l’on est parti sans pour autant être arrivé”. “Pendant le voyage, je ne me sens obligé à rien”. S’il aime y travailler, le train reste également une occasion de voir défiler les paysages.
Annonce de voie. Il est temps de filer en direction des quais. Hors de Strasbourg. Sous la verrière, le bruissement des pas a changé de matière. Les trains alsaciens s’espacent doucement. Les badauds sont moins nombreux à serrer leurs doigts glacés autour des gobelets de café. Mais sous les panneaux, de nouveaux regards se lèvent en quête du quai à emprunter.
La donne sur les voyages en train ont quelque peu changé ces derniers jours…non?