Pénalisées par des carrières hachées et des salaires inférieurs à ceux des hommes, les femmes seront les grandes perdantes de la réforme annoncée par le gouvernement. Portraits de femmes présentes au sein du cortège de la 6ème manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, ayant réuni près de 25 000 personnes dans les rues de Strasbourg mardi 7 mars.
“Retraite des femmes, retraite infâme”. Dans la forêt de pancartes brandies dans les rues de Strasbourg, ce mardi 7 mars, un écriteau pour rappeler une inégalité qui perdure. Selon les chiffres de l’Insee,“en prenant en compte uniquement la pension de droit direct, versée au titre de l’activité professionnelle passée, l’écart entre femmes et hommes s’élève à 39 % pour les 65 ans ou plus.” Une situation liée à plusieurs difficultés.
Payées, à temps de travail et poste équivalents, 5,3 % de moins que leurs homologues masculins selon l’Observatoire des inégalités, les femmes sont aussi celles qui s’arrêtent le plus à l’arrivée d’un enfant. Elles sont par ailleurs surreprésentées dans les emplois à mi-temps. En France, en 2021, près d’un tiers des salariées étaient en temps partiel dans leur emploi principal, selon le ministère du travail. Une réalité qui impacte directement le montant de leurs pensions. En repoussant l’âge de départ à la retraite, la réforme annoncée promet d’accroître la précarité des plus âgées.
“En tant que femmes, on est déjà en difficulté dans le milieu du travail”
Devant la Bibliothèque nationale universitaire, Zoé Mary s’apprête à prendre le départ de la manifestation. Militante écologiste par ailleurs, cette Strasbourgeoise est surtout là en tant que “citoyenne’”, “en solidarité avec les personnes travaillant dans les métiers les plus durs, qui vont se faire couper la possibilité de partir à un âge acceptable.” Mais elle est aussi sensible à la question des inégalités de genre concernant cette réforme.
“En tant que femmes, on est déjà en difficulté dans le milieu du travail. On est moins bien rémunérées, on a des carrières hachées et on est très nombreuses dans les métiers les moins valorisés.” Les difficultés accumulées tout au long des carrières pèsent de tout leur poids au moment du calcul des pensions.
À 26 ans, la jeune salariée du secteur de la Culture est encore loin de la retraite. Mais cette dernière a déjà des incidences sur ses choix de vie. “J’y ai pensé quand j’ai fait le choix de me mettre à temps partiel”, avoue celle qui sait déjà qu’elle aura “une plus petite pension”. “Mais bon, avec la crise climatique, on ne sait même pas si le système des retraites existera encore dans 40 ans.”
“Si vous voulez que je cotise pour la retraite, payez mon loyer”
À respectivement 20 et 21 ans, Eva Islin et Mallaury Dijon jugent elles-aussi qu’être une femme n’est pas simple dans le milieu professionnel. “On a toujours cette crainte d’être mise dans une case, ou mal considérée”, détaille la première, qui a travaillé en marge de ses études.
Toutes deux terminent une licence Arts du spectacle option danse. Eva se destine à être danseuse puis professeure de danse ; Mallaury à travailler dans la direction de projet artistique. Dans un milieu “dirigé par des hommes”. Où les places de danseuses sont chères et les carrières, particulièrement courtes.
Pour ces étudiantes confrontées à la précarité, la retraite a pour elles quelque chose d’un peu irréel. “Ma banque m’a appelée pour me demander de commencer à cotiser pour une complémentaire, détaille Eva. Je veux bien, mais commencez déjà par remettre mon autorisation de découvert que je puisse payer mon loyer !”
Si la retraite reste incertaine, elles n’en demeurent pas moins mobilisées. “Ça ne nous concerne peut-être pas maintenant, mais il s’agit de notre futur, expose Mallaury. Il faut se battre pour ça.”
“Le travail d’éducation n’est pas reconnu”
“Pour la retraite aussi, il faut le consentement.” A 15h30, pancartes et manifestants s’engagent dans la rue de la Première armée. Marie Prou marche tranquillement entre deux cortèges. À 68 ans, cette infirmière retraitée ne marche pas pour elle ce jour-là, mais pour ses enfants et petits-enfants. En “solidarité”.
“On tient peu compte de la nature du travail alors qu’il est de plus en plus difficile, regrette la sexagénaire. Les gens se blessent, font des dépressions. Il existe aujourd’hui une maltraitance du travailleur.“
Ayant obtenu tous ses trimestres avant l’âge légal de départ à la retraite grâce aux équivalences liées à la naissance d’un enfant, Marie a pu quitter son job d’infirmière à 59 ans et choisir de continuer à travailler aux côtés de son mari, apiculteur. Mais la retraitée n’en reconnaît pas moins que les femmes sont plus en difficulté dans le monde du travail.
“Il y a des métiers que l’on peut difficilement faire en ayant des enfants”, juge-t-elle en donnant les carrières de politicienne ou de cheffe d’entreprise en exemple. À l’inverse, certaines formes de travail majoritairement pris en charge par les femmes ne sont pas pris en compte. “Tout ce qui touche à l’éducation, par exemple, n’est pas reconnu.”
“Celles qui doivent s’arrêter sont pénalisées”
16h. Le cortège défile maintenant rue des Orphelins. Double pancarte à la main, Faty Gosciniart défile aussi “en solidarité” avec ses enfants et ses collègues encore en activité. Aujourd’hui âgée de 70 ans, cette ancienne salariée de l’industrie est partie à la retraite à 63 ans. Mais pas à taux plein. “Je me suis arrêtée longtemps pour élever mes filles. Puis j’ai travaillé à temps partiel. Mais pour moi, c’était un choix.”
Elle n’en juge pas moins que le système actuel pénalise particulièrement les femmes avec des parcours compliqués. Des divorces, des maladies. “Celles qui doivent s’arrêter sont pénalisées.”
“Nous, les femmes, sommes les grandes oubliées de ces réformes”
Au milieu du défilé-fleuve, un petit groupe de salariés d’Emmaüs Mundo marche ensemble. Parmi eux, Mathilde Cene, 32 ans, Cathy Schoenacker, 53 ans et Marion, 28 ans. “C’est une mobilisation collective contre cette réforme, explique la première. On voit des collègues qui touchent au but et pour qui c’est moche de voir l’âge du départ reculer. On voit des gens avec des petits salaires qui vont avoir une petite retraite. Tout ce qu’on demande, ce sont des emplois dignes et des retraites dignes. Mais tout se durcit tout le temps.”
Pour elle aussi, l’égalité salariale est un enjeu. “Il y a beaucoup plus de temps partiels subis chez les femmes”, regrette-t-elle. Avec, toujours en ligne de mire, des conséquences sur la pension de retraite. “De toute façon, nous, les femmes, sommes les grandes oubliées de ces réformes, juge de son côté Marion, plus virulente. Il y a une forme d’irrespect qui est perpétuel vis-à-vis d’elles.”
“On refuse d’accorder des congés paternité digne de ce nom, alors forcément ce sont les femmes qui doivent s’arrêter plus longtemps quand il y a un enfant, poursuit la jeune juriste. Ça les pénalise, elles ont des carrières en dents de scie.” Sa carrière à elle ? Elle n’y “croit pas”. “Je me bats pour les autres.”
“On ne peut pas continuer comme ça”
17h. La tête du cortège est déjà revenue place de la République, mais le reste du défilé arrive par petites grappes. Chasuble rouge sur les épaules, bonnet écarlate sur ses cheveux auburn, Déborah Chrismann ne décolère pas quand il s’agit d’évoquer la réforme des retraites.
“À travail égal, nous n’avons toujours pas salaire égal. Je vois des collègues qui sont payées 900 euros à mi-temps. Ça donne quoi comme retraite ça après ? s’agace cette employée de la poste de 41 ans, par ailleurs animatrice de la commission femmes mixité de la CGT 67. Les congés mat’ sont mal pris en compte pour la retraite. Alors quoi ? On porte des enfants, on donne des enfants à la nation, et il faudrait encore travailler deux ans de plus ? À un moment donné, ça suffit !”
Elle aussi observe que le temps partiel n’est pas toujours un choix pour les femmes de son entourage. Mais une contrainte économique : “pour économiser les gardes d’enfants les mercredis et les samedis.” “Au final, le mercredi, c’est un jour où elles ne sont pas payées, mais c’est aussi celui le plus chargé de la semaine”. Car il faut s’occuper des enfants, de la maison, du quotidien. “Lorsque les femmes prennent leur mercredi, ce n’est pas pour aller au spa”, grince-t-elle.
“Que veut ce gouvernement au juste ? Qu’on travaille et qu’on crève ?” Pour elle, la réforme est injuste. Un miroir des inégalités qui touchent les femmes tout au long de leur carrière. “On ne peut pas continuer comme ça.”