La mobilisation s’annonçait forte et elle le fut. Plus de 15 000 personnes ont défilé dans les rues de Strasbourg ce jeudi pour s’opposer à la réforme des retraites. Reportage.
En tête de cortège, les représentants syndicaux arborent de larges sourires. La manifestation vient à peine de commencer et ils savent déjà que c’est un succès. Autour, une foule dense qui s’étend depuis la place de l’étoile, point de départ du rassemblement. “Macron sert les fesses, on arrive à toute vitesse.” Derrière les syndicalistes goguenards, le cortège des jeunes remue dans les brancards, scande et crame des fumigènes.
Plus loin encore, une forêt de panneaux aux slogans divers “Ton grand-père c’est mon stagiaire”, “métro boulot tombeau”. La manifestation s’étire sur près de deux kilomètres et avance dans les rues de Strasbourg.
Dans la ligne de mire des manifestants : le décalage de l’age minimal de départ en retraite de 62 à 64 ans, voulu par Emmanuel Macron. Pour le gouvernement, les Français vont devoir travailler plus longtemps pour sauver le système des retraites.
Une fausse bonne idée selon Eric Borzic, secrétaire général de l’union départemental FO Bas-Rhin : “On a des milliers de jeunes qui n’ont pas de travail et on essaye de faire travailler les anciens plus longtemps ?” Une réforme absurde pour Sabine Gies secrétaire générale CFDT Alsace : “À 55 ou 60 ans, quand on est sénior, on est viré. Ce n’est pas en décalant l’age de départ en retraite que l’on va travailler plus longtemps, les employeurs ne veulent plus des vieux travailleurs.”
“Parler des retraites, c’est parler du travail”
Majoritairement rejetée par les Français, la réforme des retraites fédère les oppositions. “Ça faisait un moment qu’on était divisés, cette réforme nous a unis” déclare Benaissa Benzakour secrétaire de la CGT chez Schaeffler France à Haguenau. “Les conditions de travail se dégradent de plus en plus, il faut qu’on se mobilise afin d’avoir une retraite et de pouvoir en profiter.”
Les organisations syndicales pointent toutes une réforme qui va pénaliser celles et ceux qui ont les carrières les plus longues et les métiers les plus pénibles. “Parler des retraites, c’est parler du travail et on ne parle pas assez des conditions de travail et des pénibilités” précise Sabine Gies.
"On a l’impression que ce sont toujours ceux d’en bas qui payent"
“On voit qu’il y a plein de choses qui ne vont pas, qui sont injustes. On a l’impression que ce sont toujours ceux d’en bas qui payent” Hanane, vient d’arriver de Sélestat grâce à un bus affrété par la CGT. Sa retraite ? Elle se dit qu’elle n’en aura pas au rythme des réformes. À côté d’elle, Catherine y est déjà, elle tempête : “Pourquoi il faudrait qu’il y ait des millions de personnes abimées qui payent pour préserver les fortunes des plus riches ? Il faut chercher l’argent là où il est.”
À l’autre bout du cortège qu’il remonte à grandes enjambées, Nicolas, un jeune professeur d’Histoire, se demande ce que l’avenir lui réserve. “Ma retraite ? Je la vois un peu comme dans le monde de Zola. Soit, on a réussi à mettre de l’argent de côté et on a une petite rente, soit on vit dans le plus grand dénuement.”
Compacte, la foule peine à s’étirer en cortège. Tout à l’avant, les différents services d’ordre passent l’église Saint Guillaume tandis que les derniers manifestants attendent encore de quitter la place de l’étoile. Derrière les banderoles, on commente la mobilisation. “Ça fait plaisir de voir autant de gens de la rue !” “Perso, j’ai jamais vu ça !” Sur les trottoirs, quelques badauds s’arrêtent pour voir la marée humaine déferler. “Ne nous regardez pas, rejoignez nous !” crient les militants les plus motivés.
Alors que la tête de la manifestation s’avance sur le quai des bateliers, le service d’ordre syndical est dépassé par les organisations de jeunesse. Drapeaux rouge et noir au vent et fumigènes en main, ils prennent la tête du cortège. Laconique, un manifestant commente : “En avant la jeunesse, le vieux monde est derrière vous.”