À qui profite la crise ? Une question qui mérite d’être posée, après deux ans de crise sanitaire qui a durement impacté le moral des Français, et notamment des jeunes. Dans une série dédiée, on s’intéresse à celles et ceux qui profitent de la situation, parfois pour se faire de l’argent. Aujourd’hui, on va parler immobilier, et les arnaques à la location, qui ne cessent d’augmenter. Et qui visent surtout le étudiant(e)s.
L’année dernière, au premier semestre, il y a eu 2 033 signalements de fausses locations sur Pharos, la plateforme de signalement du gouvernement, comme le rapportait Le Parisien (article réservé aux abonnés, daté du 25 août 2021). Une nouvelle étape dans les arnaques à la location immobilière, qui ont augmenté de 17 % par rapport à 2020. Il faut dire que le marché de l’immobilier a connu de grosses augmentations ces dernières années, notamment à Strasbourg. Néanmoins, il y a toujours plus de personnes qui cherchent à se loger, et pour certaines rapidement, ce qui augmente le risque d’arnaques à la location. C’est notamment le cas pour cinq Strasbourgeoises et Strasbourgeois, que nous avons interrogés.
Des logements à première vue séduisants
Des groupes d’étudiants sur Facebook, Le Bon Coin, La Carte des colocs… il n’y a pas d’endroits prédéfinis pour tomber dans une arnaque. Néanmoins, toutes ces annonces possèdent un point commun : elles sont séduisantes. Dans le cas de Valérie*, l’annonce de son appartement se trouvait sur le groupe Étudiants de Strasbourg : « Au départ, tout semblait normal, les visios se passaient bien et l’appartement était parfait ». De son côté, Olivier* tombe sur une annonce sur le Bon Coin. Devant ses yeux : un appartement 3 pièces situé aux Halles « à un prix avantageux, environ 700€/mois charges comprises », qui répondait parfaitement à ses critères.
Ces annonces séduisantes fonctionnent d’autant plus qu’elles attirent l’oeil de locataires qui n’ont parfois ni les moyens ni les dossiers pour répondre à beaucoup d’offres. C’est d’ailleurs le cas d’Émilie*, qui recherchait désespérément un logement sur Le Bon Coin, lorsqu’elle est tombée sur l’annonce d’un appartement rue Sébastopol à Strasbourg. Après le premier contact, la jeune femme visite le lieu : « Je vais le visiter en personne avec une amie. On est accueillies par une dame d’une trentaine d’années, très accueillante et souriante qui nous fait visiter le logement. Le logement était propre et l’ameublement assez récent. Je n’ai pas hésité, j’ai laissé mon dossier à la propriétaire ».
Donner des infos…
On arrive ainsi à la deuxième étape : le dépôt de dossier, et donc d’informations sur le locataire ou la locatrice. Pour Olivier : « On doit réaliser un dossier avec nos différents revenus, nos garants et leurs revenus, nos motivations ». Le propriétaire se justifie du fait qu’il n’habite pas sur Strasbourg, « qu’il ne veut pas venir pour rien et qu’il recense un maximum d’informations pour choisir les bonnes personnes pour faire les payer directement quand il vient ».
Du côté de Lisa*, son interlocuteur lui a donné son numéro de téléphone pour un contact via Whatsapp : « Il m’a demandé de lui envoyer tous les documents habituels pour monter un dossier, 3 dernières fiches de paie, justificatif de domicile, par mail. Donc il a reçu ces documents me concernant ainsi que ceux concernant ma petite sœur avec qui je voulais faire une coloc mais également ceux de nos parents comme garants ».
… et parfois de l’argent
Jusque ici, rien de bien anormal. Monter un dossier et le transmettre aux propriétaires est monnaie courante dans les recherches d’appartement. Tout comme payer un loyer et une caution en avance. Ce que fait Émilie : « Pour la remise des clés je devais lui effectuer un virement du premier loyer ainsi que de la caution, pratique courante chez les particulier pour assurer leurs arrières, je l’avais moi-même déjà fait sur un ancien logement ». Même chose pour Olivier : « Directement après l’acceptation de notre dossier, il nous informe que nous devons réaliser un chèque correspondant à un loyer plus la caution, 1500€ environ ». À ce moment-là néanmoins, le jeune homme commence à devenir méfiant.
Une suspicion qu’a partagée de son côté Lisa : « Le proprio me demande d’effectuer un virement de 1 758€ chez Western Union juste pour visiter l’appart alors que je venais de lui envoyer pas mal de preuves de solvabilité. Son prétexte était qu’il habite à Annecy et qu’il ne voulait pas se déplacer sans être certain que les fonds étaient disponibles sur mon compte ». Une demande qui met mal à l’aise la jeune femme. Pour Nadine* enfin, le propriétaire de son appartement, déniché via La Carte des colocs, demande à la jeune femme « un dépôt avec RIA – transfert d’argent vers l’international, ndlr – d’un chiffre correspondant au première loyer plus la caution, c’est-à-dire 800€ ». Ainsi, « si la visite s’était bien passée je lui aurais donné le code pour pouvoir prendre l’argent du dépôt, sinon je l’aurais retiré moi-même ».
Le moment de l’arnaque : des (in)fortunes diverses
Arrive alors au moment où l’on réalise que l’on est en train de se faire arnaquer. Pour Émilie, cela s’est passé ainsi : « Le loyer de 650€ a bien été crédité sur son compte, cependant la caution de 1 200€ me revenait. Ma mère a elle aussi essayé de faire le virement, mais toujours rien. Je suis au travail quand je reçois plusieurs messages d’amis qui me transmettent une publication du groupe Facebook “Étudiants de Strasbourg”. C’était un message d’une fille qui a eu à faire à la même propriétaire que moi pour le même logement, elle venait de se rendre compte de l’arnaque ». À ce moment-là, la jeune femme découvre qu’elle fait partie d’une vingtaines de victimes sur ce logement ainsi que sur un deuxième, situé à la Petite France. Si Émilie a perdu 650 euros dans l’affaire, d’autres victimes ont pu perdre plus de 2 000 euros.
Pour Nadine, à seulement quelques heures de la visite, une mauvaise nouvelle tombe : « Deux heures avant la visite par videocall, il m’écrit que son commercial avait trouvé des problèmes avec le contrat et donc on ne pouvait pas faire la visite. Mais si la situation était comme il avait dit, il devait venir de Nice, il devrait être déjà presque arrivé à Strasbourg. J’ai donc demandé au service client de l’agence RIA et j’ai eu la confirmation que l’argent avait été retiré ». 800 euros en moins pour la jeune femme : « J’ai continué à parler avec le « propriétaire » pour 24h en lui demandant de me redonner l’argent. Après il a bloqué mon numéro sur Whatsapp ».
Pour Valérie enfin, pas d’argent perdu, mais des avances plus qu’insistante de son interlocuteur : « J’ai commencé à me rendre compte de l’arnaque quand il n’y avait pas de contrat de location puis par la suite, quand il ajoutait des détails non prévus. Par exemple, je pensais qu’il y avait deux chambres, mais il m’a dit qu’il dormirait dans le salon et moi dans la chambre (donc il n’y en avait qu’une). Il commençait à être assez dragueur aussi et ça devenait très gênant. 1 semaine avant que j’arrive à Strasbourg, il m’a envoyé un message pour dire qu’il avait trouvé quelqu’un d’autre et que ce n’était pas nécessaire que je vienne. Peut-être parce que je ne répondais pas positivement à ses avances ».
Demander l’identité de son interlocuteur lorsque la situation paraît louche
Pour Lisa et Olivier non plus, pas d’agent perdu. Les deux ont d’ailleurs eu un bon réflexe dans ce genre de situations : demander l’identité de leur interlocuteur. La jeune femme développe : « Il m’explique que je peux faire un « mandat » ou un « dépôt » au nom de quelqu’un que je connais et que je devrais lui envoyer la photo de la preuve de dépôt. C’était déjà bien trop étrange pour moi et j’ai fini par lui demander son nom et son prénom car j’estimais qu’il en connaissait beaucoup trop sur moi et moi très peu sur lui. Son refus a été la goutte d’eau en trop, j’ai laissé tomber ».
De son côté, Olivier explique : « On exprime des réserves par rapport à la situation, il nous réexplique la démarche mais la somme d’argent étant conséquente, nous lui demandons une preuve d’identité et une preuve qu’il possède bien cet appartement en question. Il n’y a plus de réponse de sa part pendant 24h. J’essaie d’appeler le numéro pour voir si c’est une arnaque. Personne ne répond au téléphone et on m’envoie directement un message concernant l’appartement. Nous avons décidé d’arrêter la communication. Plus de nouvelles depuis ».
La fin de l’histoire
Comme toute histoire, chaque arnaque a une fin. Certaines personnes interviewées ont perdu de l’argent, d’autres non. Certaines ont également porté plainte, comme Nadine et Olivier. Néanmoins, on leur a vite répondu que cela ne servirait à rien. Le jeune homme, dont son arnaqueur possédait une copie de sa carte d’identité, développe : « J’ai appelé les policiers pour déposer une main courante concernant les copies de carte d’identité. Je crois que je ne suis même pas allé au bout. J’ai fait ça sur Internet et je devais venir au poste mais j’y suis pas allé parce que le policier m’avait dit que globalement il pouvait rien utiliser ». Il a tout de même signalé l’annonce sur Le Bon Coin, comme Lisa.
Pour Émilie néanmoins, la fin de l’histoire est encore plus rocambolesque. Elle développe : « Nous découvrons que cette dame avait en réalité loué cet appartement sur Airbnb. Lors de son séjour elle a mis ce logement sur Le Bon Coin en se faisant passer pour la propriétaire, faux nom, fausse identité, elle nous a fourni de faux avis d’imposition à son nom, fausse taxe d’habitation, faux RIB… ». La jeune femme confie d’ailleurs que l’affaire a fini au tribunal de Strasbourg en mars 2022 : « Elle a été localisée au Canada grâce à son numéro de téléphone personnel, retrouvé sur un papier qu’elle avait oublié dans un des appartements. Nous connaissons donc sa vraie identité, son vrai nom, mais elle refuse de se présenter et témoigner à la justice. Nous ne reverrons donc pas notre argent tant qu’elle reste au Canada… ». Petite consolation : elle a été condamnée à de la prison ferme.
À qui s’adresser en cas d’arnaques ?
Dès lors, quelles solutions s’offrent à celles et ceux qui sont victimes d’une arnaque au logement ? Il est possible de la signaler sur Pharos, le site du gouvernement dédié. Mais il existe également une association de défense au logement : l’ADIL. À Strasbourg, il est possible d’aller dans les locaux, situés 5 rue Hannong ou de les joindre au 03 88 21 07 36 pour prendre rendez-vous. Néanmoins, malgré plusieurs prises de contact, mails envoyés et passages dans leurs bureaux, l’ADIL n’a jamais voulu, ou pu, répondre à nos sollicitations.
Il en est de même pour la Ville de Strasbourg. Malgré plusieurs prises de contact, relances et deux promesses d’entretien avec l’adjointe à l’urbanisme sur le sujet, Suzanne Brolly n’a jamais donné suite à nos sollicitations. Un peu dommage de la part de ces deux institutions, surtout dans une ville où le prix de l’immobilier continue de croître, jusqu’à devenir de plus en plus inaccessible. Représentant ainsi un terreau de plus en plus fertiles pour ces arnaques touchant très majoritairement les plus précaires. Il s’agirait de faire mieux.
*Tous les prénoms ont été modifiés
Dingue que ça ne dérange personne