La bière. Ce breuvage désaltérant et surtout indissociable de l’Alsace. La région produit en effet la plus grande partie des pintes consommées en France (plus de la moitié) grâce notamment à de très grosses brasseries implantées depuis plusieurs siècles autour de Strasbourg. Depuis de nombreuses années, le panorama des brasseurs comprend aussi énormément de microbrasseries et de brasseries artisanales, et l’offre s’est diversifiée au point de compter désormais plus d’acronymes que la simple guerre Lager-Ale d’antan pouvait laisser envisager (NEIPA, DIPA, IRS, ESB, DDH…).
À l’origine, les premières cervoises arrivent dans la région avec les Celtes, puis les Romains. Avant cela, le breuvage était déjà bien connu des Hommes : les premières traces tangibles de bière dans l’Histoire ont près de 5 000 ans chez nos amis les Sumériens. Mais les boissons alcoolisées et fermentées remontent probablement à l’invention de l’agriculture. C’était il y a 12 000 ans et elles étaient produites à partir de froment et d’autres céréales primitives.
L’utilisation du houblon ne remonte qu’au 8e siècle et c’est donc une boisson bien différente que l’on buvait jusqu’alors. On les épiçait quand même, façon Panoramix, avec ce que l’on nommait le gruit. C’était un mélange d’épices et de plantes aromatiques propre à chaque brasseur et chaque taverne où l’on retrouvait le plus souvent du piment royal, de l’achillée millefeuille et du lédon des marais. Rien de très familier aujourd’hui.
La recette officielle passe au houblon au cours du 12e siècle, entre autres sous l’influence de l’abbesse Hildegarde de Bingen qui en découvre les propriétés de conservation et valide surtout son innocuité. En effet, le gruit comprenait parfois des plantes dangereuses, voire carrément toxiques.
Chronologie strasbourgeoise : de Arnoldus aux caves de la Grande Île
À Strasbourg, un certain Arnoldus semble avoir été le premier à brasser une véritable bière, en 1259, derrière la cathédrale, dans l’actuelle impasse de la Bière. Le mouvement est lancé et dans la décennie suivante, plusieurs collègues le rejoignent. La nécessité de se réunir en corporation se fait alors sentir. À cette époque, on ne brasse pas toute l’année, seulement de la Saint-Georges à la Saint-Michel (du 23 avril au 29 septembre). Les brasseurs cumulent ainsi une seconde profession le reste de l’année : tonneliers pour la plupart d’entre eux.
Jusqu’à la fin du 19e, l’activité se déroule surtout dans les tavernes et de petites brasseries, bien que quelques gros commencent à se développer. La révolution industrielle marquera d’ailleurs la fin de ces établissements et l’essor de ces derniers. Les progrès scientifiques de ce siècle et du suivant (pasteurisation, microbiologie et travaux sur les levures, verrerie, mise en bouteilles…) accélèrent la croissance de l’industrie brassicole. Le chemin de fer joue aussi un rôle majeur avec l’apparition des « trains de la bière » qui inondent Paris (jusqu’à un par jour dédié à la boisson). Entre 1860 et 1866, la capitale double la quantité de bière alsacienne qu’elle consomme.
En 1872, on dénombre près de 270 brasseurs en Alsace, dont 60 rien qu’à Strasbourg, souvent dans des caves de la Grande Ile, où les inondations sont fréquentes. La plupart déménagent ainsi en périphérie : Cronenbourg, Schiltigheim, Koenigshoffen. Le 20e siècle fera fermer les portes de beaucoup de structures comme Schutzenberger ou Adelshoffen et on se retrouve aujourd’hui avec une poignée de très gros et moyens et des centaines de très petits.
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Un traité qui régit la pureté des bières
La particularité historique de l’Alsace, nichée entre Allemagne et France, a influencé la façon dont elle a brassé sa bière. Notamment parce qu’elle a longtemps été soumise au Reinheitsgebot. Ce traité sur la pureté des bières, l’un des plus vieux traités alimentaires d’Europe (1516) fixe les règles de la bière en Allemagne. Il intègre même la loi en 1906 (cela concernait donc l’Alsace) et stipule qu’elle ne peut être brassée qu’avec ces trois ingrédients : l’orge, l’eau et le houblon (en 1516, la levure leur était encore inconnue).
Exit le blé, qui sera seulement réservé au pain, l’ajout de sucre, ou encore les bières rouges à la cerise du nord du pays (que l’on retrouvait alors aussi en Belgique). Cette codification de la recette, associée à la révolution industrielle et à l’arrivée de la machine à vapeur et du froid, laisse le champ libre en 1839 à Gabriel Sedlmayr, Maître Brasseur de Spaten à Munich, pour brasser activement les bières blondes que l’on connaît aujourd’hui, largement adoptées dans le siècle suivant.
Après la la Première Guerre mondiale, l’Alsace se libère de l’influence du Reinheitsgebot et les bières peuvent enfin évoluer. Édouard Haag, Président de la brasserie Meteor, raconte même que leur recette actuelle de Pils date de 1927 et inclut du maïs pour lui donner toute sa rondeur, chose impossible dix ans plus tôt.
Tout au long du 20e siècle, l’industrie brassicole met en avant ces produits de soif, légers et typés Pils, avec quelque écarts saisonniers (Noël, Printemps). Les années 70 et 80 déploient des efforts de communication pour la promouvoir et l’associer à l’imaginaire alsacien. Ce n’est qu’avec les années 90 et 2000, la renaissance de certaines structures et l’apparition des microbrasseries qu’une nouvelle diversité apparaît. L’Alsace, se retrouve rapidement au centre de l’innovation, grâce à son terroir et nos houblons fortement aromatiques.
Jeremy Martin
Tout à fait d’accord avec toi Jérémy ! L’histoire de la bière, et sa place en Alsace de surcroît ;P, mérite d’être mieux partagée. Nous avons également à cœur de faire la découvrir au travers d’un escape game qui vous fera déguster comme jamais. L’animation éphémère inédite se passe au Château du Wineck à Katzenthal : le Bierbüch Game… On espère vous accueillir bientôt avec vos proches et vous faire offrir une belle bière artisanale alsacienne (ou une limonade myrtille violette) à la fin de la partie ;P … cela dit, seulement si vous venez à bout de tous les défis et énigmes !
Bonjour
Votre publication sur la période de brassage à l’époque d’Arnoldus (1259).
Pas de votre avis que les brasseurs ne produisaient que du 23 avril au 29 septembre.
Au contraire ils devaient profiter de la fraîcheur et du froid pour brasser.
« En été brasse qui peut. En hiver brasse qui veut. »
Vos références s’appliquent à l’orge.
« Orge semé à la St Georges le 23 avril.
Récolté au plus tard à la St Henry 13 juillet.
Après sa période de dormance.
Le maltage peut commencer à la St Michel le 29 septembre.
Amicalement
Patrick Gauger