À Strasbourg, le mois de mai dernier a été le plus chaud jamais enregistré. Avec 18,1 degrés en moyenne, il a fait aussi chaud dans notre ville qu’à Alger. Depuis, les épisodes caniculaires s’enchaînent. Une réalité qui n’est pas sans conséquence pour la nature et la biodiversité en Alsace, et notamment pour les vignes. Véritable patrimoine identitaire alsacien, celles-ci sont particulièrement affectées par ce phénomène. Jusqu’à poser la question de la survie du vin blanc alsacien. On est alors allé interroger la profession, pour connaître leur avis sur la question.
Est-ce que le vin blanc d’Alsace va disparaître ? Voici le postulat, quelque peu alarmiste, qui sert de point de départ à notre réflexion autour des conséquences du changement climatique sur le vin alsacien. Il faut dire que désormais, les récoltes se font plus tôt, les sols deviennent plus secs et les épisodes climatiques sont plus violents, ce qui affecte la façon dont on consommera le vin blanc en Alsace dans les prochaines années. Ce changement pousse en tout cas les vignerons et l’ensemble de la profession à s’adapter, afin de trouver des solutions qui permettront de continuer à produire du vin blanc.
Les effets du changement climatique sur les raisins
En 2020, il faisait aussi chaud à Strasbourg qu’à Lyon en 1950. Un réchauffement des températures qui n’est pas sans influence sur la vigne. Première conséquence : les raisins mûrissent plus vite et les récoltes se font plus tôt. Comme le précise Yves Hauss, ancien responsable climatologie à Météo France Nord-Est : « Le printemps se décale, la végétation fleurit plus tôt, et donc les fruits mûrissent plus tôt. Les vendanges se réalisent ainsi de plus en plus tôt ». Un postulat partagé par Jean Dietrich, du domaine Achillée : « Quand mon grand-père vendangeait il le faisait en octobre, mon père mi-septembre et maintenant on le fait début septembre ». Une réalité qui affecte le vignoble selon Yves Hauss : « Comme la période de maturation se décale, les raisins prennent des augmentations de température, beaucoup plus fortes en plein été ». Et les vins blancs deviennent plus fort en alcool naturel.
Au-delà des hausses de températures, c’est tout le climat qui se retrouve bouleversé. Premièrement, les épisodes de gelées. Ces dernières se terminent de plus en plus tôt au printemps, devenant très dangereuses pour une végétation qui mûrit. Ensuite, cette hausse des températures affecte les sols, à cause de l’évaporation de l’eau. En effet, si à Strasbourg, les précipitations n’ont pas beaucoup évolué au printemps et en été, le potentiel d’évaporation a lui augmenté de 25 % en 50 ans dans la même période. Ce qui signifie une période bien plus sèche, et presque un mois et demi de printemps-été en plus, avec des sols devenant ainsi plus secs et une eau qui n’imbibe plus correctement le sol.
La nécessité de garder un sol humide
Le plus gros enjeu pour la profession est donc de maîtriser la sécheresse et l’humidité de ses sols, pour que la vigne ne souffre pas trop. Céline et Yvan Zeyssolff, du vignoble du même nom, explique : « Dès qu’il fait chaud, la vigne va souffrir. Il y aura moins de production, des degrés alcooliques plus élevés ». Des réalités qui vont à l’encontre de la volonté des consommateurs : « Aujourd’hui on recherche des vins blancs frais alsaciens, et la chaleur va à l’encontre de ça. Tout le monde prône le retour du vin blanc sec, mais avec les aléas climatiques c’est très compliqué. Mais si on arrive à maîtriser un maximum l’humidité du sol, ça va aider ».
Dès lors, une des solutions possibles réside dans l’enherbement. Céline et Yvan Zeyssolff développent : « La profession investit beaucoup pour garder l’humidité du sol. Avec des sols nus, la température peut monter jusqu’à 40 degrés. Donc si on laisse les mauvaises herbes pousser, avec un enherbement spontané on arrive à gagner 13/15 degrés. Du coup, depuis cette année, on fauche mais on roule et on casse l’herbe, qui devient aplatie sur le sol. Cela forme un paillage qui permet une certaine humidité. L’herbe reste vivante et verte ». Du côté d’Achillée, on souhaite absolument laisser la nature s’exprimer : « Si on laisse les herbes plus sauvages, on aura une meilleure réponse des sols et une meilleure adaptabilité. En outre, la présence d’autres espèces, plantes aromatiques, arbustes, fruits, placées au coeur des cultures, permet d’installer une faune qui n’existait pas jusqu’alors. Cela crée une plus grande diversité ».
Pour garder le sol humide, il existe également une autre solution : l’irrigation. Néanmoins, pour les vignerons interrogés, ce n’est pas la solution. « Pansement » selon Zeyssolff, « moyen de sauver les meubles » selon Achillée, c’est « un moyen de pallier et faire survivre nos cépages dans des secteurs difficiles » pour le Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace (CIVA), qui ne le considère pourtant pas comme une solution à long terme. À la place, selon Arthur Froehly, responsable du pôle technique du CIVA, ce dernier va plutôt essayer de travailler sur la diversité des cépages : « À court terme, l’enjeu c’est de jouer sur la conduite, explorer toute la diversité que l’on a dans le Riesling et le Gewurtz pour chercher des plantes plus acides, moins sucrées, avec plus de vigueur ».
Anticiper et préparer l’avenir
Et justement, avec les bouleversements climatiques, la profession est forcée de réfléchir sur le long terme. Pour cela, le CIVA réfléchit à plusieurs solutions, notamment sur la plante : « Au sein des cépages, on a de la diversité qui permet de jouer sur les facteurs sucre et acidité. Par exemple, comme depuis la fin des années 1800, la vigne est greffée sur une autre variété de vigne, on peut greffer du Riesling sur des variétés plus ou moins résistantes à la sécheresse ». La profession réfléchit également au lieu d’implantation : « Quand on replante une parcelle, on peut réfléchir au lieu d’implantation. Là où j’avais un Gewurtz, on pourra plutôt mettre un pinot, blanc comme rouge ».
Le CIVA pense également à un programme de croisement entre Gewurtz et Riesling : « On fait le pari que ces variétés pourront produire quelque chose de proche de nos deux cépages emblématiques. C’est un vrai pari sur l’avenir ». Un pari réalisé par rapport au souci des épisodes climatiques intenses, comme le gel, les orages ou les coups de chaud extrêmes : « Ces périodes-là vont affecter le vignoble. Donc l’objectif c’est de limiter le plus possible l’impact sur le potentiel de production ».
Enfin, pour Éric Duchêne, ingénieur de recherches à l’INRAE Colmar, « un des gros enjeux de l’adaptation est de retrouver des conditions de maturation pas trop chaudes ». Ainsi, l’adaptation géographique est importante : « On pourrait aller explorer en Alsace des terroirs froids : des coteaux exposés au nord, monter en altitude quand c’est possible. Mais aussi utiliser des cépages plus tardifs, dont davantage de cépages produisant des vins rouges ».
Le développement des vins rouges
Et justement, malgré ses effets négatifs, le changement climatique a également pu offrir des opportunités aux vignerons alsaciens. Notamment dans la production de vin rouge. C’est l’avis d’Éric Duchêne : « Jusqu’à présent, le changement climatique est plutôt bénéfique pour le vin d’Alsace, parce que c’est l’assurance d’avoir des maturations de qualité tous les ans, sans trop d’acidité ». Un point de vue partagé par Arthur Froehly du CIVA : « Ce changement est positif pour l’Alsace, dans une certaine mesure. Les conditions climatiques, quand elles ne sont pas trop extrêmes, ont en effet permis des situations plus favorables : maturités qui arrivent à leur terme, profils de vins vraiment très bons, moins de pourriture… Le changement climatique permet de faire mûrir en Alsace des variétés présentes aujourd’hui dans le Rhône ou dans le sud de la France ».
Le changement climatique a ainsi permis aux vignerons de faire plus de vins rouges. Comme l’explique Éric Duchêne : « Colmar aura le climat de Montpellier aujourd’hui en 2060. La possibilité de faire des vins rouges s’ouvre en Alsace ». Un développement qui a d’ailleurs permis à deux pinots noirs alsaciens de récemment devenir des « grands crus ». Pour Céline et Yvan Zeyssolff, c’est une belle opportunité : « Il y a 30 ans, le pinot noir était assez maigre et sans intérêt. Maintenant, de manière générale, on en trouve de très beaux partout en Alsace. Le climat a aidé, c’est sûr. Les pinots noirs vont être différents selon les sols. Ils résistent bien à la chaleur et aux aléas climatiques. C’est peut-être le cépage le moins continental en Alsace, donc le « cépage gagnant » ».
Quel avenir pour le vin blanc alsacien ?
Mais est-ce que l’avènement des rouges, rendu possible par le changement climatique, ne va pas de paire avec la fin du vin blanc alsacien ? Pour le vignoble Zeyssolff, le tableau n’est pas très optimiste : « Pour les vins blancs, il risque d’y avoir des problèmes à terme. Peu de gens en sont vraiment conscients ». De son côté, Éric Duchêne se montre plutôt confiant : « Il y aura toujours la possibilité de faire de la vigne en Alsace. Du vin blanc, on en produit dans le sud de l’Italie ou en Grèce, donc on peut produire du vin blanc dans des vignobles assez chauds. Mais peut-être pas les mêmes ». Un point de vue partagé par Arthur Froehly du CIVA : « Le blanc ne disparaîtra pas, mais c’est sûr qu’il ne sera pas le même qu’on boit aujourd’hui ». Reste à savoir si ces changements de goût seront acceptés par les consommateurs.
Pour Achillée, le futur du vin blanc passera par des techniques de production plus respectueuses de la nature : « Il faut laisser la nature s’organiser. C’est marquant de voir 14 degrés sur la bouteille plutôt que 12/13. Mais il ne faut pas résumer un vin à son taux d’alcool. Avec des techniques de production plus respectueuses, comme la macération, on pourra aller sur des vins secs, sans sucre résiduel, sans sensation de chaleur. On pourra extraire des tanins, des amers et ça renforcera les acidités. Donc même si l’alcool monte, il sera équilibré par d’autres paramètres ». Ainsi, selon lui, le futur du vin blanc passera surtout par garder l’identité de la région : « Aujourd’hui, il y a des régions où on peut produire un Gewurtz à moindre coût. Donc, ce qui compte, c’est la force de la région, l’identité, qui passe par le terroir, les lieux, les façons de faire le vin ».
Avec le changement climatique, la profession vinicole doit s’adapter à de nouveaux paramètres, ainsi qu’à une nouvelle réalité. La production de vin rouge se développe à grande vitesse, alors qu’il existe quelques craintes sur le vin blanc. Si celui-ci ne semble pas voué à disparaître, il paraît évident le vin blanc dans 20 ans ne sera pas le même qu’aujourd’hui. Ce qui doit rester en revanche dans sa production, c’est bien l’identité alsacienne. La force de notre patrimoine et de notre région. Et si on finit par l’oublier, c’est à ce moment-là que le vin blanc d’Alsace disparaîtra.