« Le milieu du graffiti voit rouge, on prépare un courrier à la Maire ». C’est ainsi qu’en août 2021, on nous contacte une première fois à la rédaction. L’objet de la discorde ? L’immense façade nue de la rue des Grandes Arcades. Une toile blanche, certes un poil décrépie et que l’on oublie parfois, mais qui suscite l’intérêt du milieu de l’art urbain local, avec d’un côté, l’influenceur strasbourgeois Brunograffer qui s’est donné pour projet de la repeindre en sollicitant la Ville. Si l’initiative en a fait sourire certains sur TikTok ou Instagram, d’autres plaisantent moins : une vingtaine de graffeurs et graffeuses de la scène strasbourgeoise – dont les artistes SekuOuane, KADE et Apaiz – s’y opposent. Pourquoi ? Pour défendre une culture street-art qui ne s’écrit pas sur les réseaux. Après une première mobilisation dans leurs rangs, voici qu’une lettre collective a été adressée dernièrement à la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian. Lettre que l’on vous partage aujourd’hui.
« Mme. Jeanne Barseghian
Le graffiti a une histoire, tout comme les arts urbains ; avec leur ancrage politique et situationniste. La réappropriation de ce qui était une tactique, par les jeunes américain.e.s des quartiers défavorisés à la fin des années 1960, a évolué en mode de vie. Les graffeuses et les graffeurs, les artistes urbains ne peignent pas ou ne représentent pas seulement une histoire ; ils et elles en sont une. Cette histoire s’est, bien souvent, forgée dans les friches industrielles ou les dépôts de trains, dans des contextes tendus, dans une société qui refusait de voir les propositions artistiques qui émanaient des bas-fonds. Les artistes ont persévéré, par un amour de l’art constant, par un engagement, par un combat. Les arts urbains ont été, à bien des niveaux, avant-gardistes.
Il est sûr que les dernières décennies ont vu surgir, avec l’explosion d’un véritable marché dédié, une bulle spéculative de l’art ainsi que des monopoles associatifs. Toutefois, si ces formes artistiques ont longtemps été à contre-courant des intérêts municipaux ; elles fonctionnent dorénavant de concert. On pourra pointer la mise en administration de ces formes créatives, mais ce n’est pas la question. Notre courrier, Madame la Maire, fait suite à la vidéo diffusée sur le réseau Tiktok, sur la chaîne du YouTubeur Bruno Graffer. Il s’y vante, entre autres, de votre soutien et de votre « pistonnage » (sic.) sur son projet de mur, situé rue des Grandes Arcades, à Strasbourg. Il se targue aujourd’hui de la pleine avancée de son projet.
Si nous n’avons pas à remettre en cause la qualité artistique d’une ou d’un collègue, nous nous étonnons de voir que la visibilité sur les réseaux sociaux supplante l’investissement comme la justesse et la qualité d’une pratique devant toutes celles et ceux qui ont réalisé des propositions sur ce mur, qui, elles et eux, n’ont pas bénéficié de votre soutien malgré leur talent indéniable. Et ce, que la proposition soit en réalité augmentée ou non. Notre culture nous est précieuse.
Nous vous prions de considérer, s’il vous plaît, un appel à projet ou un appel à manifestation d’intérêt ; pour rester dans un système plus démocratique et ne pas léser une culture à celles et ceux qui la fabriquent et qui la font vivre. Nous vous proposons également une rencontre avec quelques-unes et quelques-uns d’entre nous, afin de discuter des politiques culturelles de la ville et le lien aux pratiques créatives urbaines.
Bien à vous,
Une partie du milieu graffiti strasbourgeois consulté »
Moi aussi je suis d’accord que ce genre d’initiative doit faire l’objet d’un appel à projet pour que tous les artistes locaux du street art puissent participer.