Voilà bientôt un an que le Covid a fait son entrée dans nos quotidiens. Sans prévenir, ou peut-être plutôt, sans que nous voulions le voir, il s’est installé sur nos écrans de télévision, dans nos hôpitaux, il a pris toute la place, dans nos relations, dans notre travail, dans nos esprits. En mars 2020, la France se retrouvait confinée, chacun cloisonné face à lui-même, tandis que l’économie mondiale se mettait sur pause. À cet instant, certains on voulu y voir un nouveau départ. L’économie locale prenait du poil de la bête, les émissions de gaz à effet de serre s’affaiblissaient, la solidarité avec nos voisins se faisait nouvelle. Puis les mois ont passé, la crise s’est éternisée avec plus ou moins d’intensité. L’impact de cette année de privations, de compromis et de frustrations se fait sentir. Difficile d’imaginer le monde d’après quand le manque de celui d’avant est grandissant. En tout cas, si vous avez ce ressenti, sachez que vous n’êtes pas les seuls : des centaines de messages de Strasbourgeois que nous avons reçu sur notre compte Instagram vont dans ce sens .
Au mois de janvier, nous avons voulu prendre de vos nouvelles. Sur notre compte Instagram, vous avez été nombreux à nous confier que vous regrettez le monde d’avant plutôt que de rêver à celui d’après. Des centaines de messages nous on raconté combien le passé vous manquait*.
Parmi les choses vous manquant le plus, vous n’avez eu de cesse d’évoquer la liberté. Rien que ça. Celle « dont nous avions pas conscience », raconte l’une, « la liberté de faire ce qu’on veut, avec qui on veut où on veut », détaille un autre. « Sortir à l’heure qu’on voulait, pour aller là où on le souhaitait et rentrait quand on le désirait », peut-on lire également. La liberté de se « promener sans contrainte » ou encore celle « de découvrir, d’explorer, de rencontrer… ».
Non loin derrière la liberté, vient l’insouciance, citée encore et encore dans vos réponses. Certains regrettent ainsi de « ne pas avoir à se demander sans arrêt si je suis hors la loi ». L’insouciance aussi de « savoir que le monde part en couille mais penser qu’on a encore deux ou trois ans avant », car dans deux ou trois ans, c’est désormais maintenant. « Vivre comme si de rien n’était, sans avoir à penser à ça tout le temps ».
Le doux souvenir des bars et des autres
De façon beaucoup plus pragmatique, on ne va pas se mentir, il semble sommeiller chez les Strasbourgeois un gros gros manque de bars et de restaurants. Certains rêvent de « bonne flam’ avec les copains un vendredi soir au Meteor ou au Brasseur », d’ « happy hours », de « pintes fraîches », d’ « une simple bière en terrasse après le travail. La base » ou encore de « s’arrêter à l’imprévu pour boire un capuccino en terrasse » et même du « verre de 18h qui se transforme en traquenard jusque 6h ». Pour certains il s’agit de « prendre un verre dans un bar », pour d’autres de « faire la fête », « aller en boîte », « danser avec ses amis », « sentir les basses dans mes jambes en club ». D’autres s’y revoient : « se faufiler sur la piste de danse avec deux verres en mains en criant paaaaaaaardon ».
Et sortir, c’est aussi avant tout renouer avec les autres, retrouver un contact humain qui s’effrite derrière nos écrans, nos masques et nos gestes barrière. Il y a ceux qui aimeraient repasser du temps avec les autres, évoquant « voir les copains », « la vie sociale », « les diners au restaurants entre amis » ou encore la « vie en communauté » et « la réunion de la famille au grand complet ». D’autres sont clairement en manque de contact physique avec l’envie d’ « embrasser des inconnus », de recevoir « les câlins de mes potos et de ma famille » ou même de « pouvoir serrer mes grands-parents et mes parents dans les bras ».
Il y a aussi des Strasbourgeois et des Strasbourgeoises en manque de contacts très rapprochés évoquant tel un lointain souvenir « Tinder » ou « les soirées libertines ».
“Aujourd’hui, rêver ne suffit plus“
Les concerts, les sorties au théâtre, au cinéma, les festivals, les lieux culturels, « le chuchotis d’un public avant un spectacle » voyages ou encore les salles de sport suivent non loin derrière. Sans oublier cette pensée nostalgique pour ce temps où l’on ne portait pas de masque, cicatrice physique du mal qui berce aujourd’hui ce nouveau quotidien. « Voir le visage des autres et montrer le sien », « vivre sans masque », « voir les sourires », « respirer l’air frais qui pique le nez, sans la moiteur d’un masque par dessus », peut-on ainsi lire.
D’autres enfin on des regrets très pragmatiques : « les power points aux mariages ». On ne juge pas.
Ce regard dans le rétroviseur, ce besoin de regarder derrière notre épaule ce que le passé nous offrait et que l’on aimerait voir revenir, n’a rien de surprenant pour Émilie Pohl, psychologue à Strasbourg. « Le premier confinement ne devait pas se reproduire, il y avait un effet pause parfois perçu comme positif pour les plus anxieux ou ceux trop pris par la vie sociale effrénée. On pouvait encore mobiliser sa capacité à rêver et se sentir très acteur/actrice de sa vie et de la société dans laquelle on vivait. Aujourd’hui, rêver ne suffit plus, voire n’est plus possible et l’impuissance apprise prend le dessus. Penser un nouveau monde n’est plus envisageable alors on se tourne vers ce que l’on connait pour retrouver des repères. »
Quand l’optimisme rend les armes
En effet, l’euphorie parfois ressentie à l’égard du futur lors des prémices de cette crise, a quelque fois laissé la place à la difficulté de se projeter et d’envisager l’avenir. Ce qui manque à certains c’est de « pouvoir faire des projets de vacances, de sorties » ou encore de « pouvoir prévoir quelque chose sans avoir peur que la Covid ne le permette pas ». Désormais lorsque l’on demande aux Strasbourgeois comment ils imaginent le “monde d’après”, les réponses flirtant avec le pessimisme se font nombreuses. Il y a d’abord ceux qui ne l’envisagent pas, ou préfèrent ne pas y penser. « Je n’arrive pas à l’imaginer ou du moins je n’ose pas», « je ne veux pas, comme ça pas de désillusion », « je déteste cette formule », « je suis dans le déni, le monde d’avant will be back », « je préfère ne pas y penser », clament les témoignages.
Des Strasbourgeois tournés vers le passé plutôt que le futur donc ? « Les personnes ont tendance à idéaliser ce qu’ils ont connu et avoir peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Le changement, ici le futur, fait peur donc autant rester dans l’avant que l’on connaît si bien. De plus, l’incertitude règne foncièrement et la crise est toujours d’actualité. Le monde est actuellement en train de changer en terme de valeurs, de lien social et il lui faudra encore du temps pour retrouver un équilibre, analyse Emilie Pohl. J’ajouterais que dans le changement il y aussi la question de la perte, d’un rôle/d’une valeur/d’un idéal et donc possibilité de devoir faire le deuil de quelque chose et ainsi présenter une déprime voire une dépression. »
Pour ceux qui osent se l’imaginer, le tableau dressé est parfois bien sombre. « Triste », « crise écologique et économique », « effondrement », « anxiogène », « si on ne se bouge pas : masqué, traqué, vacciné, contrôlé jusqu’aux chiottes », « flippant », « pire, j’en ai bien peur », « dégringolant, « invisible comme nos perspectives d’avenir », « morose », « incertain », « névrosé », « merdique » et même « apocalyptique ». Qu’ils et elles soient influencés par la lassitude, l’angoisse ou la peur de l’avenir, ces Strasbourgeois et Strasbourgeoises sont de celles et de ceux chez qui l’optimisme a rendu les armes.
Entre l’avant et l’après : maintenant
Malgré tout, d’autres (et ils et elles ne sont pas si rares !) veulent encore y croire et imaginent un après crise sanitaire bien plus positif. Ils et elles rêvent d’un futur « plus humain, plus écolo et local », « un peu plus altruiste », « à réinventer », avec « des mains plus propres », « plus axé sur l’entraide et la générosité » , « plus équitable » , « plus vert et plus égalitaire », « plus humble ». « Les gens auront pris conscience que nous devons changer nos habitudes pour un monde plus beau », s’autorise-t-on même à rêver.
Les Strasbourgeois ayant répondu se font malgré tout peu d’illusions sur la disparition des gestes barrière. Le futur serait donc « masqué » pour beaucoup, avec une banalisation du télétravail et la disparition de la bise pour certains. « On va devoir apprendre à vivre avec le virus », est-il parfois résumé.
Alors vaut-il mieux se concentrer sur le monde d’avant ou celui d’après ? Déjà, peut-être, regarder dans la direction qui nous fait du bien. Et pour la psychologue Émilie Pohl, il existe plutôt une troisième voie : « Je crois qu’il est surtout important dans une période comme celle-ci de malgré tout vivre l’instant présent. On passe son temps à penser demain avec les casseroles de hier à en oublier aujourd’hui. Profiter du présent n’est pas aisé et pourtant apporte énormément. D’ailleurs avez-vous remarqué que le mot “maintenant” est très peu utilisé en français contrairement à nos amis anglophone ? Pratiquement tous les patients sont surpris quand je leur pose une question finissant par maintenant. »
* Les réponses apportées sont issus de messages reçus sur le compte Instagram Pokaa le 24 janvier 2021. Elle ne prétendent pas refléter une opinion majoritaire et représentative de la population, mais simplement une tendance.