En ces temps où nous sommes dans notre cocon – le nom que j’ai trouvé pour définir la période coronavirus/confinement – on a le temps de réfléchir. De se demander quel type de société on souhaite pour demain, pour quand on ressortira enfin de chez nous. Une société plus juste, plus écologique, moins de gaspillage… Ce temps en plus passé à nous interroger nous aiguise l’esprit critique et nous fait moins accepter des choses qui semblaient être une norme. A Strasbourg, l’une de ces questions concerne les devantures de magasins, qui semblent être éclairées, de nuit comme de jour. On est allé faire un tour du côté de la loi, pour essayer de comprendre tout ça.
Le contexte
En moins de 24h ce mercredi 1 avril, deux publications sur le groupe Tousse Ensemble ont eu du succès. Et ce n’est même pas une mauvaise blague. Le sujet : l’éclairage public la nuit et celui des vitrines. La première a lancé un véritable débat sur quasiment 200 commentaires, photos de vitrines éclairées, de jour comme de nuit.
Puisque de nombreux Strasbourgeoises et Strasbourgeois se posaient la question, on a essayé de reprendre les différents enjeux que pose cette dernière.
Un débat : sécurité versus écologie
De nombreuses réactions mettent en avant le fait que la lumière de ces enseignes sécurisent l’espace public. Néanmoins, c’est déjà dans cet objectif qu’existe le mobilier urbain, à savoir les lampadaires. D’un autre côté, ce choix de laisser les enseignes illuminées en journée et en soirée en période de confinement est alimenté aussi par une peur des commerçant concernant les cambriolages, ce qui est recevable en des temps troublés. Pourtant, selon les chiffres disponibles de l’Observatoire national de la délinquance et des ripostes pénales (ONDRP) et d’études universitaires spécialisées en prévention-sécurité, près de 80 % des vols et agressions ont lieu en plein jour.
D’un autre côté, cet éclairage public crée une pollution lumineuse nocive pour l’écologie et l’environnement. En effet, les données de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (Anpcen) dévoilent que, depuis 20 ans, la quantité globale de lumière émise la nuit a augmenté de 94% si l’on prend en compte uniquement l’éclairage public. Auquel se rajoute encore les publicités, les enseignes lumineuses (3,5 millions en France, un chiffre en constante progression), les façades, les parkings…
Une pollution lumineuse qui, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et l’Anpcen, représente pas moins de 670 000 tonnes de CO2/an émises par l’éclairage public. Constitué de plus de 9,5 millions de lampes, ce dernier représente une consommation annuelle d’environ 5,6 milliards de kWh, soit l’équivalent de la consommation électrique moyenne de 2 millions de ménages français (hors chauffage et eau chaude sanitaire) et 42% de la consommation d’énergie des collectivités locales.
Si vous souhaitez aller plus loin, lisez ce rapport de l’Ademe Grand Est.
Que dit la loi ?
Continuons avec la loi. En 2012, un décret datant du 30 janvier, relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux pré-enseignes, visait à mieux encadrer les dispositifs de publicité sur l’espace public. Dans son article 8 était prévu que « dans les unités urbaines de moins de 800 000 habitants, les publicités lumineuses sont éteintes entre 1 heure et 6 heures ». L’article 12 allait même plus loin, puisque cette fois-ci, pour les enseignes, la même obligation n’était plus liée à la taille de la commune.
Petit problème, quelques mois plus tard, la loi du 22 mars 2012 concernant la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives allait mettre un gros coup de grisou au décret. En effet, son article 67 – les coïncidences – prévoit un délai de mise en œuvre de 6 ans pour se mettre en conformité avec cette nouvelle réglementation. Déjà à l’époque, on n’hésitait pas à mettre au pas les conséquences de la pollution lumineuse pour simplifier la vie des enseignes. Aujourd’hui encore, la loi est peu connue par le grand public, car pas forcément mise en avant par le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire.
Avec le tableau ci-dessus, dont vous pouvez chercher d’autres précisions en suivant ce lien, vous avez devant les yeux les différentes règles d’extinction nocturnes. L’Eurométropole étant sous les 800 000 habitants, la publicité et les enseignes lumineuses doivent donc être éteintes entre 1h et 6h du matin. Ce que confirme le Règlement local de publicité intercommunal (RLPi) : « La publicité lumineuse y compris numérique d’une superficie maximale de 8 m2 est possible, sous réserve toutefois que le maire autorise, au cas par cas, son implantation. Lorsque tel est le cas, la publicité lumineuse est soumise à une règle d’extinction nocturne obligeant à ce qu’elle soit éteinte entre 1 h et 6 h du matin. »
Enfin, l’obligation d’extinction nocturne ne s’applique pas dans les cas suivants :
- Affiches éclairées par projection ou transparence sur le mobilier urbain (abris-bus, kiosque à journaux, colonne porte-affiches…)
- Publicités numériques sur le mobilier urbain, à condition que les images soient fixes
- Publicités numériques de surface exceptionnelle (50 m² maximum)
- Éclairage public de la voirie, notamment les réverbères apposés en façade
- Installations d’éclairage à détection de mouvement ou d’intrusion, destinées à assurer la protection des bâtiments.
Qui est responsable ?
Autre petit souci avec ce décret : il est sibyllin. Et comme le dit une vieille maxime alsacienne : quand c’est sibyllin, c’est qu’il y a un ragondin. En d’autres mots, ce décret ne précise pas clairement qui a les pouvoirs de contrôler le respect de cette obligation. Néanmoins, on peut se pencher vers un arrêté du 25 janvier 2013, relatif à l’extinction de l’éclairage des vitrines, façades et bureaux non occupés, c’est l’État qui est responsable du contrôle pour les bâtiments communaux, et le Maire, au titre de ses pouvoirs de police exercés au nom de l’État, pour les autres types de bâtiments. On peut donc imaginer la même règle pour les enseignes et publicités lumineuses.
Justement, pour Strasbourg, le RLPi précise en ces termes : « Le pouvoir de police appartient par principe au préfet, mais il est transféré au maire s’il existe un règlement local de publicité. Dans ce cas, le maire a compétence sur l’ensemble du territoire communal, même dans les zones qui ne sont pas couvertes par le RLPi, et même si le RLPi ne comporte pas de règles spécifiques pour sa commune. » C’est donc une responsabilité du Maire.
“On trouve que c’est dommage qu’une loi de 2013 ne soit pas encore appliquée” : L’avis de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire
Pour plus de précisions, nous avons joint par téléphone Charlotte, bénévole et co-fondatrice du groupe local de Strasbourg de Résistance à l’Agression Publicitaire, une association que nous avion suivie il y a quelques temps. Depuis deux ans d’actions, elle a pu constater certaines améliorations : « Ce qu’on a constaté depuis le début de nos actions – mars 2018 – il y a plus d’enseignes qui se sont mises à respecter les consignes. Mais au niveau des vitrines, il y a encore des infractions et on trouve dommage qu’une loi de 2013 soit pas encore appliquée, surtout qu’elle a un rapport avec l’environnement. Cela montre que ce n’est pas encore une priorité de la municipalité, alors que cela devrait être le cas. »
Elle développe : « Garder les lumières allumées, c’est un non-sens de manière générale. C’est une forme de facilité pour les enseignes mais pour la consommation d’électricité c’est assez aberrant. Ce serait bien que les gens allument quand ils arrivent et qu’ils éteignent quand ils repartent. Parce que sinon, cela veut dire que même en période de congés et de fermeture, le tout reste allumé. » Pour conclure, elle aimerait que les actions de la RAP aille plus loin : “L’idée ce serait de le faire plus officiellement avec des preuves juridiquement plus acceptables.”
Qu’en pensent les élus ?
Ces questionnements de la part des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois n’ont pas manqué de remonter aux oreilles des élus de la Ville. Paul Meyer, adjoint au Maire en charge du commerce et joint par téléphone, donne son point de vue sur les enseignes allumées de plein jour : « C’est tout de même assez préoccupant. D’habitude, hors période de confinement, cela pose des questions et des débats, même si c’est de moins point de vue un gaspillage excessif. Mais ici ça n’a absolument aucun sens. »
Paul Meyer partage aussi le point de vue de Charlotte sur la sensation de facilité : « Aujourd’hui, on est sur des automatismes ou sur des minuteries déjà réglées par ailleurs. Cela relève de la responsabilité chacun et la municipalité se consacre actuellement à l’essentiel au niveau des entreprises : c’est-à-dire leur maintien et/ou leur sauvetage. » Dès lors, il compte faire d’une pierre deux coup en alliant l’aide aux commerces et la sensibilisation : « Ce que je vais faire c’est envoyer des messages à des associations de commerçants en même temps que les possibilités de mises en contact. Pour que, dans le même temps, on en profite pour sensibiliser les commerçants aux réductions d’énergie. Pour que chacun soit vigilant et fasse attention au gaspillage sur cette période. »
Que cela soit clair : il n’est en aucun cas dit ici que les enseignes qui continuent d’éclairer leurs devantures, de jour comme de nuit, sont dans l’illégalité. Néanmoins, cela pose la question de la responsabilité personnelle et de la cohérence de laisser les magasins éclairés alors que le confinement bat son plein. Une chose est sûre en tous les cas : le confinement nous permet de davantage réfléchir à ce qui nous interrogerait pas forcément en temps normal. Pour la question des éclairages d’enseignes, si décisions futures il y a, on vous tiendra évidemment informés !
L’arrêté de 2013 a été abrogé et remplacé par celui-ci (2018) :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000037998135/2018-12-29/