Il y a quelques semaines, SOS Méditerranée ouvrait une antenne bénévole à Strasbourg. L’association civile et européenne de recherche et de sauvetage en haute mer avait choisi notre ville pour y implanter ses idées, y diffuser ses messages, organiser des événements et mobiliser l’opinion. À cette occasion, le centre socio-culturel du Fossé des Treize accueillait des bénévoles, des sauveteur(e)s, des curieux(ses) ainsi que son président général afin de poser les bases d’un nouveau point de lutte. C’est dans ces locaux que nous avons rencontré Alice, une jeune marin sauveteur qui venait tout juste de poser l’ancre après son tout premier périple en haute mer avec SOS Méditerranée.
Alice, 26 ans, a embarqué cet été à bord de l’Ocean Viking. C’était sa première fois à bord de ce fameux bateau qui a récemment succédé à l’Aquarius. Originaire de Bretagne, elle est désormais sauveteur après avoir fait des études environnementales. Et après avoir travaillé sur des bateaux de tourisme, c’est à Lille qu’elle a commencé à entrer dans la grande famille du monde associatif, notamment en participant à l’accueil de personnes réfugiées venues d’Afrique. Et puis, un jour, elle a postulé pour SOS Méditerranée. Quelques semaines plus tard la voici à bord, au cœur d’un drame humain contre lequel elle s’est engagée à combattre.
Comment devient-on sauveteur en haute mer ?
Tout d’abord il faut avoir des bagages de marin, dans un domaine ou un autre mais c’est indispensable. Il faut avoir une base importante de compétences liées au bateau en lui-même et à la navigation. Il faut également un très bon contact social et une bonne résistance à l’effort. Il faut savoir attendre, parfois des semaines, faire preuve de calme et d’empathie, ne pas montrer ses doutes ni ses inquiétudes.
Quelle a été ta formation ?
J’avais déjà fait des formations liées à la mer : conduite de canaux rapides, une formation de sécurité très importante, mais toujours pas liées directement à l’association mais plutôt à n’importe quel bateau avec lequel on s’apprête à prendre le large. C’est le boulot de sauveteur en mer : savoir naviguer, savoir ce qu’il faut faire si il y a un problème dans n’importe quelle situation. Pour l’association, on travaille les escales techniques (avant la navigation), on fait des entraînements en conditions réelles. Principalement des mises en situation pour s’entraîner à sécuriser un bateau en détresse ainsi que les passagers qui sont à bord. Mais tout se fait sur le tas, le bateau t’attend à Marseille, tu embarques, une équipe te prend en charge, on te forme et c’est parti.
Sauver des gens, vocation ou déclic ?
Une envie très forte. Quand je posais mon regard sur ce qui se passait en mer, quand je voyais pourquoi et comment ces gens prenaient le large à cause de ce qui se passait dans leur pays… et puis pour moi c’était une continuité, lier le bateau et la navigation avec mon engagement humanitaire de toujours. C’était parfait, mais ça s’est fait petit à petit, aussi au fil des rencontres.
Est-ce que tu es payée ?
Oui ce sont des contrats volontaires payés.
Quel est ton rôle en particulier sur le bateau ?
Ça dépend. Nous sommes dix marins-sauveteurs sur un équipage de treize personnes, et dans ces dix nous sommes séparés en trois groupes. Un pour chaque canaux rapide et un groupe qui reste sur le pont pendant les sauvetages. Ces rôles peuvent changer, ils sont fixes sur une rotation et ils peuvent évoluer au fil du temps.
Comment est une journée type à bord de l’Ocean Viking ?
Je sépare le travail en mer en plusieurs temps, car les rôles et les tâches sont physiques et très différents en fonction des périodes, et du climat aussi. On a généralement une semaine en escale technique (maintenance, tests, sécurité). Puis arrive le temps pendant lequel nous sommes en mer mais pas encore dans la zone de sauvetage, c’est à ce moment-là que l’on s’entraîne comme si on intervenait vraiment.
Quel a été ton meilleur souvenir en mer ?
Il y a eu une journée très forte. Je suis partie en mission pendant 23 jours pour ma première mission. Entre le temps du sauvetage et le temps du débarquement on est resté très longtemps avec les rescapés, 15 jours exactement. Le moment fort a été l’annonce aux personnes à bord qu’on pouvait enfin les débarquer. C’était l’explosion de joie, la danse, le rire, la musique, un moment inoubliable.
Et forcément… ton pire souvenir ?
J’ai la chance de ne pas encore avoir vécu de drame, mais il y a eu un sauvetage très compliqué pendant lequel le boudin d’air du bateau à secourir a explosé. À ce moment-là il y a eu dix personnes à l’eau. Tout est allé très vite, on a eu un moment d’adrénaline et de stress intense pendant lequel je me suis rendu compte que tout pouvait basculer en une seconde. Et ce “tout” c’était la vie de ces personnes. Elles avaient un gilet, d’autres n’en avaient pas, c’était un moment très dur qui s’est finalement bien terminé.
Qu’est ce que tu aurais à dire aux personnes qui voudraient suivre ta voie ?
Il faut être costaud mentalement, ça c’est certain, mais c’est avant tout une très belle expérience de vie. Il faut se préparer à être patient, à vivre en huis clos avec des dizaines de personnes, être solide et avoir envie, être prêt à tout pour ne pas être surpris et ainsi pouvoir tirer le meilleur d’une expérience humanitaire comme celle-ci.
Comment évolue la détresse en mer ? Est-ce que tu gardes espoir ?
J’espère qu’un jour on ne servira plus à rien, mais si nous sommes toujours là c’est qu’il y a de la détresse quelque part, que les gens meurent en mer. Aujourd’hui on voit beaucoup d’interceptions, beaucoup de gens sont ramenés en Libye, et donc on voit aussi énormément de gens qui ont tenté la traversé plusieurs fois, qui sont à bout et qui repartent coûte que coûte. Ça arrive très souvent que les gens réessayent. On m’a parlé d’un monsieur qui avait essayé six fois, il a donc été ramené 5 fois en Libye, on imagine aisément sa détresse.
Qu’est ce que l’association représente pour toi ?
Déjà je trouve que le groupe est très pro, dans leur approche et dans le contact humain. J’ai tout de suite été frappée par le professionnalisme et le sérieux qui règne à bord. C’est une association qui sait en même temps être très ouverte et très humaine mais qui sait où elle va, et puis la mission est salutaire.
Qu’est ce qui t’a surprise la première fois sur le bateau ?
Je ne m’attendais pas à tant d’entraide, à une vie à bord aussi surprenante, riche, vivante. Par exemple je ne parle pas arabe, si j’ai besoin d’un traducteur j’en trouve un en cinq secondes. Il y a une dizaine de langues qui sont parlées à bord et tout le monde partage celle qu’il maîtrise.
Quel message veux-tu faire passer aux lecteurs de Pokaa ?
Aujourd’hui une nouvelle antenne bénévole s’ouvre à Strasbourg, pour moi il y a différentes façon de s’engager, que l’on soit proche ou très loin (comme vous) de la mer. Le travail de passeur de messages qu’effectuent les bénévoles a une importance capitale. Alors si vous voulez vous engager faites-le, car il existe énormément de manières de se rendre utile, à tous les niveaux. Tant qu’il y aura des besoins en mer il y aura besoin de plus de volontaires. Si la mort en mer vous transporte faites du bénévolat, ça vous apportera énormément. Je m’étais préparée à voir de la détresse, mais la réalité du terrain dépasse tout entendement. Ça nous dépasse, voir des personnes perdues au milieu de nulle part dans un vide bleu, frigorifiées, sur des bateaux complètement inadaptés, ça relève de l’incroyable, de l’irréaliste. C’est pour cela que je me suis engagée.
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Merci à Alice pour son témoignage et merci au président Monsieur François Thomas, qui nous a accordé une longue interview que vous retrouverez bientôt.
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Crédits photo : Laurin Schmid (SOS Méditerranée) ; Patrick Bart (SOS Méditerranée) ; Lison Obrewski (bénévole SOS Strasbourg).