Le vendredi 1er novembre est une date particulière concernant le tabac : c’est en effet le début du mois sans tabac, mais également le moment de l’annonce de l’augmentation du prix de certains biens. Parmi eux, le paquet de cigarettes. Dans l’objectif d’un prix à 10€ pour l’horizon 2020, ce dernier subit une inflation assez impressionnante. Principalement défendue dans le but d’endiguer fortement la consommation de tabac, cette mesure n’est pourtant pas sans problèmes. On pose dès lors certains chiffres pour essayer de comprendre la situation autour du tabac, et particulièrement à Strasbourg et ses alentours qui, avec leur position transfrontalière, offrent un cas d’étude assez intéressant.
Le moment CCC : café, clope, chiffres
Si vous n’avez que le temps d’une pause clope à la lecture de cet article – ou alors le temps d’une pause « je te juge parce que fumer c’est mal pour ta santé » – voici les quelques infos principales à retirer :
- Depuis le 1er novembre, un paquet de cigarettes coûte désormais en France entre 8€80 et 9€30
- Cette hausse des prix s’accompagne d’une baisse de la vente du tabac :
en 2018, les ventes de tabac dans le réseau des buralistes s’élèvent à 49 740 tonnes, soit une baisse de 8,8 % en volume par rapport à 2017 - En 2017, la région Grand Est comptait 1,2 millions de fumeurs quotidiens âgés de 18 à 75 ans (soit 30.1%). A structure d’âge identique, elle figure au 4ème rang des régions où le tabagisme était le plus fréquent
- Le trafic illégal prospère à Strasbourg, du fait de son caractère transfrontalier. Au deuxième trimestre 2019, la part du commerce parallèle s’élève à 40,9% !
La situation du tabac en France
Moins de fumeurs, moins de cigarettes
Il y a beaucoup moins de fumeurs en France. L’ensemble a en effet baissé de 2,5 points en un an, alors qu’il avait été relativement stable depuis l’an 2000, arrivant à environ 11,5 millions de personnes.
Dans le même temps, la consommation de tabac est en baisse. En 2018, les ventes de tabac dans le réseau des buralistes s’élèvent à 49 740 tonnes, soit une baisse de 8,8 % en volume par rapport à 2017. Si l’on remonte jusqu’à 2005, on obtient une baisse en volume de 23,2% ! Presque un quart de tonnes de cigarettes vendues en moins, en l’espace de 14 ans !
Pour la vente de cigarettes en elle-même, elle dépasse à peine les 40 000 tonnes, connaissant une baisse de 9,1% en un an. Si on remonte jusqu’à l’an 2000, la dégringolade est encore plus spectaculaire : on passe de 82 514 tonnes à 40 232, soit une baisse de 51,2% !
Une des raisons ? C’est le prix ma p’tite Lucette !
Certaines personnes se tournent vers la cigarette électronique. D’autres essayent d’arrêter grâce aux différents Moi(s) sans tabac ou aux patchs de nicotine. Mais la raison principale, c’est une hausse drastique : celle du prix du paquet. Cette problématique de la taxation est essentielle : le prix du paquet de cigarettes ne cesse d’augmenter en France.
La donnée monétaire est revenue dans l’équation avec perte (financière) et fracas (du portefeuille). Avec des paquets qui depuis le 1er novembre voient leur prix osciller entre 8€80 et 9€30, fumer un paquet par jour en France revient désormais à 270 € par mois ! C’est un véritable choc par le prix qui a été décidé et la machine n’est pas près de s’arrêter. En effet, l’horizon est 2020 et l’objectif est d’atteindre les 10€ en moyenne par paquet !
Panorama du fumeur du Grand Est
Maintenant que les grandes bases sont posées, intéressons-nous à notre belle région du Grand Est. Avec un constat : selon le Bulletin de santé de janvier 2019, nous sommes une région de fumeurs !
Un Grand Est qui fume comme un pompier !
Inutile de s’enfumer la face ! En effet, En 2017, la région Grand Est comptait 1,2 millions de fumeurs quotidiens âgés de 18 à 75 ans (soit 30.1%). A structure d’âge identique, elle figure au 4ème rang des régions où le tabagisme était le plus fréquent après la Provence-Alpes-Côte d’Azur (32,2 %), les Hauts-de-France (30,5 %) et l’Occitanie (30,3 %).
Dans le même temps, 74,7 % des fumeurs quotidiens du Grand Est fument de façon intensive (c’est-à-dire plus 10 cigarettes par jour), soit davantage que la moyenne nationale (66,8 %). Avec en moyenne 15,3 cigarettes fumées par jour, le Grand Est se retrouve bien au-dessus des 13,3 cigarettes qui constituent la moyenne nationale.
De la sociologie du fumeur du Grand Est
Lorsque l’on s’intéresse aux jeunes fumeurs, la donne devient complexe. D’un côté, le Grand Est figure parmi les bons élèves en termes d’usage quotidien du tabac. Lorsque la moyenne nationale est de 25,1%, le Grand Est se trouve à 23,5%. Dans le même temps néanmoins, lorsque l’on regarde du côté des fumeurs intensifs, le Grand Est se distingue par un pourcentage (6,3%) plus élevé que la moyenne nationale (5,2%).
Par la suite, le profil sociologique du fumeur du Grand Est n’est pas vraiment une surprise. Tout d’abord, ce sont davantage les hommes qui fument. La répartition par sexe de fumeurs quotidiens, pour la région Grand Est, est de 33,1 % chez les hommes et 27,6 % chez les femmes.
Ensuite, le diplôme a son importance : les proportions de fumeurs quotidiens et d’ex-fumeurs étaient plus élevées parmi les personnes ayant un niveau d’étude inférieur au baccalauréat (35,2 % de fumeurs quotidiens et 34,3 % d’anciens fumeurs) et la prévalence du tabagisme quotidien diminuait lorsque le niveau d’études augmentait. De même, il y a davantage de fumeurs quotidiens chez les personnes ayant un faible niveau de revenu. Tu peux retrouver les autres données dans le tableau ci-dessous.
Tabac et cancers du poumon : Un Bas-Rhin bon élève
On ne pouvait pas décemment parler du tabac sans évoquer ses risques bien réels pour la santé. Si le Grand Est fait office de mauvais élève, ce qui est logique, vu que c’est une région de fumeurs, l’Alsace s’en tire plutôt bien.
En effet, lorsqu’on regarde du côté du taux de mortalité lié aux cancers du poumon, le Grand Est se situe au-delà de la moyenne nationale, chez les hommes comme chez les femmes, comme tu peux le voir dans le graphique ci-dessous.
Lorsque l’on creuse un petit peu plus loin, à l’échelle départementale, on remarque que le Bas-Rhin connaît de « bons » résultats en la matière. Il est le seul département du Grand Est où les taux de mortalité dus aux cancers du poumon est inférieur à la moyenne nationale, chez les hommes comme chez les femmes.
Strasbourg, une place de choix dans le commerce illégal de cigarettes
Pour terminer ce panorama de la situation du tabac, intéressons-nous au commerce illégal de cigarettes. Pour deux raisons : la France est championne en la matière et Strasbourg occupe une place toute particulière, due à son caractère transfrontalier.
Le trafic transfrontalier
On a des prix qui ne cessent d’augmenter, dans une région qui fume encore beaucoup par rapport à la moyenne française. Dès lors, tu devines probablement la suite : on finit par acheter nos cigarettes ailleurs. Ce phénomène n’est pas que Grand Est, il est surtout très français : selon le rapport Project SUN,publié en 2017 par KPMG, 7,6 milliards de cigarettes illicites sont fumées en France. Ce qui place notre beau pays à la première place en la matière, au sein de l’Union européenne. Petite précision néanmoins : entre 2016 et 2017, ce volume de cigarettes illicites fumées a diminué de presque 15%. Il y a donc du mieux.
Selon les informations fournies par Hervé Natali, responsable des affaires territoriales de Seita, filiale française du groupe ImperialBrands PLC, entre 2019, les livraisons de tabac dans les régions françaises frontalières à l’Allemagne et au Luxembourg ont baissé de 14%. Dans le même temps, celles vers les régions allemandes et luxembourgeoises frontalières de la France ont augmenté de 8,80% !
Les baisses sont donc plus marquées dans les zones frontalières que sur l’ensemble du territoire, laissant entrevoir une progression des achats transfrontaliers, qui contribuent ainsi en partie à la baisse des ventes dans le réseau buraliste français. Le Grand Est possède une place toute particulière dans ce commerce-là, au vu de sa position transfrontalière, que ce soit le Luxembourg avec la Lorraine ou l’Allemagne avec l’Alsace.
Le tram à Strasbourg, donnée majeure
Dans ce jeu déjà complexe rentre le dernier acteur : Strasbourg ! En effet, la différence entre notre belle ville et la Lorraine – comme d’autres villes frontalières en France – c’est au niveau de la facilité de la démarche. Généralement, dans le cas d’une ville transfrontalière, la démarche demande de l’investissement : tu prends ta Peugeot 206 et tu passes les frontières. A Strasbourg, point de tout cela : tu prends le tram tu passes un pont et tu te retrouves en Allemagne !
En passant l’arme à Kehl, où les paquets de cigarettes connaissent des prix bien plus bas, les Strasbourgeois font d’énormes économies. Vous vous souvenez du nouveau prix moyen d’un paquet de cigarettes en France, entre 8€80 et 9€30 ? En Allemagne, celui-ci s’établit en moyenne à 6€40. Soit une différence de quasi 30% ! La nicotine est donc vraiment plus verte ailleurs… et vaut bien une confrontation avec les mangemorts.
Strasbourg, usual suspect
Il n’est donc pas étonnant de constater que le commerce parallèle dans les achats de cigarettes prospère à Strasbourg. Toujours selon Hervé Natali, au deuxième trimestre 2019, les cigarettes illégales viennent à 52,1 % d’Allemagne. En plus de cela, toujours dans ce deuxième trimestre 2019, le commerce parallèle prend la place de 40,9% à Strasbourg ! Quand on compare ce pourcentage avec celui du deuxième trimestre 2017 (20,1%), on se rend compte d’un des impacts de la fiscalité sur le tabac à Strasbourg.
Forcément, ce qu’il reste à nous demander, c’est qui sont ceux qui passent à tabac. Réponse aisée : les buralistes. Dans le Bas-Rhin, il y en a 274 en activité en 2019. Alors qu’il y en avait 462 en 2002 soit une baisse de 40,7% des effectifs. Ce n’est pas tout : sur la même période, leur baisse du chiffre d’affaires en moyenne est de 30%.
Si à Strasbourg, ils peuvent amortir les chocs puisqu’ils restent dans le centre et peuvent diversifier leurs activités, dans d’autres communes, ce manque à gagner du tabac rend les lieux presque obsolètes. Alors que les bureaux de tabac jouent souvent un rôle de lien social. Encore un des effets de la fiscalité prônée par le gouvernement.
En faisant le choix d’une fiscalité sévère, l’Etat français a pris un chemin qui en a laissé certains sur le bord de la route. Les industries de tabac ne sont pas perdantes – l’augmentation du prix couvrant la baisse des ventes –, le trafic illégal prospère et les buralistes payent les cigarettes cassées. Le Grand Est est particulièrement intéressant, étant donné son caractère fumeur, tout comme notre ville de Strasbourg, qui est en première ligne (de tram) de la problématique du commerce illégal de cigarettes.
Dès lors, une fois l’horizon 2020 avec le paquet à 10€ dépassé, il serait peut-être avisé de s’intéresser aux laissés pour compte de ces décisions. Pour ne pas seulement taxer, mais accompagner les fumeurs à changer leurs habitudes, mais également les buralistes des communes plus éloignées du centre, pour qu’elles ne se retrouvent pas démunies, une fois la cigarette écrasée par les prix.