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Strasbourg : OUATE le chaman

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OUATE, c’est le nom de mon chat, parce qu’il est blanc comme un nuage trop gras qui dérive dans le ciel tremblant et qu’en verlan OUATE veut dire TOI. Nous deux, c’est la fusion de la laine et de la soie, du lait et du café froid. OUATE erre sur les toits strasbourgeois la nuit tombée, comme moi, cherchant à se faire peur le long d’une gouttière mal fixée. En équilibre sur deux pattes, la queue en guise de gouvernail, les tuiles rouges abîmées, de la poussière d’étoile cuivrée entre les coussinets.

De là-haut , les passants sont de minuscules souris qu’il attrape à travers l’ombre de ses griffes interminables. Freddy Krueger à la langue râpeuse.

Edward au coeur d’argent éventrant les boîtes de Sheba comme un serial killer clandestin. La nuit, tous les chats sont gris. Le mien est une masse ivoire discrète se cambrant sous le reflet de la lune, un morceau de coton moelleux sautillant entre les pavots noirs qui s’obstinent à survivre entre les pavés crasseux. Nos chemins se croisent lorsque les autres roulent des pelles à Morphée, lui sur mes genoux, moi un cône mal roulé à la bouche.

Un peu de tabac sur la lèvre. Une toux persistante qui fait siffler les bronches. Un mollard de gélatine dégoulinant. La fumée d’un songe qui sent la résine de sapin, qui rougit les yeux et qui donne faim. Je me sens exploser comme lorsque la neige commence à tomber, comme un vieux jouet abandonné au fond du grenier. La roulette russe du briquet tourne à nouveau. Un geyser de flammes jaillit, manquant de me cramer un sourcil et quelques poils de nez.

Je veux encore jouer. Le goudron s’effrite entre mes doigts abimés. Ma langue glisse sur le papier aussi tranchant qu’une lame de rasoir.

L’Etna brûle dans mes tempes. Je sens son grondement, sa puissance qui anesthésie ma mâchoire. Je retiens ma respiration le plus longtemps possible et j’expire. Le Grand Bleu sur le bitume, avec des crottes de chiens en forme de dauphins. OUATE prend la voix de Nick Cave, je fredonne avec lui, un sourire aux coins des lèvres. Somewhere she lies, this lovely creature,

Elle git quelque part, cette charmante créature,
Beneath the slow drifting sands
Sous de lourds bancs de sable,
With her hair full of ribbons
Avec ses cheveux pleins de rubans,
And green gloves on her hands
Et des gants verts à ses mains.

Les veines bleues de mon avant-bras dansent comme des serpents. Le venin du chaman qui roule en BMW et qui n’a pas de nom cogne fort. Il avait raison quand il a dit d’y aller mollo sur le matos. OUATE ronronne, les pattes avant étendues comme un sphinx majestueux. Dieu à tête de chat, protecteur d’un monde qui part en sucette, empêchant les Hommes de devenir fous. Cette créature est mon ange-gardien, ma confidente, un prolongement de mon esprit, ma bipolarité. Ma main libre glisse sur son pelage épais comme dans l’herbe fraîchement coupée. Je dessine des vagues sur son dos et lui masse le haut du crâne. Les oreilles à l’horizontale, le félin a des airs de Yoda et à la verticale, de Batman.

Une boulette de lave illumine des moustaches si fines qu’elles ne peuvent être que l’oeuvre d’une araignée alchimiste. Une veuve noire tricotant une toile au coin d’un lampadaire, espérant qu’un moustique distrait vienne s’y perdre à tout jamais, pour le dévorer.

L’AMOUR. Nous nous confions silencieusement par des caresses et des regards, hypnotisés par la fragilité du moment.

Je peux voir son sourire derrière sa face imperturbable. Je peux sentir sa tendresse sans contrepartie. Rien de vénal, c’est toute la grandeur de cet animal. Le vent fait tourbillonner les feuilles qui jouent aux gendarmes et aux voleurs. Les oiseaux sont partis mais je peux encore entendre leurs chants. Il fait doux. Une douceur apaisante qui n’annonce rien de particulier, si ce n’est le gémissement de la voisine du premier sous les coups de langue experts de son amant qui ronflera quelques minutes plus tard, après un dernier soupir de chimpanzé, un reste de sueur sur le torse.

Quelques coups de reins. De la dopamine, des endorphines, de la sérotonine, de l’ocytocine. Baiser devrait être remboursé par la sécurité sociale. Les lucioles au plafond s’allument par intermittence derrière les fenêtres. Un insomniaque en slip descend frénétiquement une bouteille de Carola. En diagonale, quelques mètres plus haut, une femme vomit, à genoux, la tête dans la cuvette, du rimel sur les joues, du rouge à lèvres sur son chemisier parfumé. Un talon couché en PLS.

Le robinet goutte dans l’évier de la cuisine comme un métronome annonce la retour tragique à la réalité. Le téléphone sonne plusieurs fois. Elle décroche frénétiquement. Déçue. Ce n’est que l’alarme programmée la veille afin de ne pas oublier le repas dominical chez ses parents. Roméo est mort depuis longtemps, il va falloir s’y faire maintenant.

Le Prince Charmant décuve sur son canapé pendant que sa femme prépare le petit-déjeuner. Le soleil borde la nuit d’un drap de chaleur.

Les plus déterminés lacent déjà leurs chaussures et claquent les portes de leurs grottes climatisées. Un bébé pleure dans un lit trop grand, attendant de sentir le sein tiède de sa mère épuisée. Quelques notes de piano raisonnent dans la tête de ceux qui rêvent les yeux ouverts. Un vélo s’engage dans une rue déserte, une robe à fleurs vole dans un champ de coquelicots. J’inspire une dernière taffe pour oublier encore quelques instants que dans une heure je taffe. OUATE a pris son élan en ronronnant, avant de décoller comme un albatros. Il se pose maladroitement sur le grès rose de la Cathédrale où il se fige en pierre au contact du premier rayon de lumière. Le chaman en survêtement Tacchini avait prévenu. Vas-y mollo sur le matos frérot. OUATE the fuck.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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