Le samedi 11 mai au soir, l’Élastic accueillera sa première soirée queer. Organisée par les performeurs engagés David Zingraff et Lulu la rue, l’événement Péché Public promet une exposition érotico-porn et des performances aussi militantes que festives, entrecoupées d’un DJ set new wave. L’objectif : offrir une safe place aux strasbourgeois queer, et à tous ceux qui en seraient curieux.
Mais qu’est-ce que le queer ? De l’anglais pour « étrange », « bizarre » ou carrément « tordu », le mot queer est à l’origine une insulte imposée aux personnes hors normes. Hors normes dans leur orientation sexuelle, hors normes dans leur pratique sexuelle, hors normes dans leur corps, dans leur identité. À l’aube du XXIème siècle, le terme a été récupéré par ces mêmes personnes, transformant l’insulte en étendard. Aujourd’hui, être queer, c’est revendiquer le droit aux genres et aux sexualités non-conventionnelles.
Les personnes queer considèrent que le genre, à l’instar de l’orientation sexuelle, est un phénomène fluide plutôt qu’une catégorie restreinte et restrictive : leur identité de genre se trouve dans le spectre du genre, c’est-à-dire qu’elles ne se considèrent ni hommes, ni femmes, ni même un « mélange » des deux. Elles s’opposent à la binarité de genre homme/femme tout comme à la binarité d’orientation hétéro/homosexuelle, de même qu’à la hiérarchie qui peut accompagner ces catégories (patriarcat, homophobie) ; non-contentes de combattre les inégalités entre ces catégories d’identité sexuelle, les personnes queer remettent en cause l’existence même de ces cases.
Se libérer des « prisons identitaires »
« Être queer, c’est casser tous les codes normatifs, aussi bien du genre que des sexualités. » David Zingraff est photographe. Genderqueer et féministe pro-sexe (un courant issu du milieu queer concevant la sexualité comme un domaine qui doit être investi par les femmes, qu’il invite à se rapproprier la prostitution et la pornographie), son travail photographique a récemment pris une direction sexuellement explicite. À trente ans, dans la continuité de son questionnement sur les corps, les genres et les sexualités, il organise avec la performeuse Lulu la rue la première soirée queer de l’Élastic, Péché Public. Une initiative motivée par une volonté d’ouverture : « À Strasbourg, il y a un tout petit milieu queer, très fermé et codifié. Or, nous ce qu’on veut, c’est ouvrir les gens et ça nécessite d’ouvrir les soirées. On ne peut pas éduquer les gens à être ouverts en se fermant aux autres. » Exit les soirées queer interdites aux hommes cisgenre (dont le genre ressenti correspond au sexe biologique) ou réservées aux seuls pratiquants BDSM, des procédés que le duo observe « souvent » et juge « contre-productifs » : avec Péché Public, David Zingraff et Lulu la rue entendent bien s’affranchir des frontières imaginaires qui émergent au sein d’un mouvement qui n’en reconnaît idéologiquement aucune :
« Pour nous il n’y a pas de règles, tant qu’on est consentant et qu’on a envie de partager. Pourquoi se limiter à telle ou telle communauté ? Au fond on défend les mêmes causes. Il faut s’allier malgré les différences. Comment les personnes qui ne sont pas concernées peuvent-elles nous accepter si entre nous, on se tire dans les pattes ? Le queer fusionne toutes les communautés. Vous ne souhaitez pas forcément suivre la norme ? C’est pour vous. Même si on parle beaucoup de genre, de sexualité, on a tous été discriminé sur un point au moins une fois dans sa vie. Ça peut faire du bien de se retrouver dans une soirée où l’on vient comme est, sans crainte d’être jugé. »
Une église pour les pécheurs
« J’étais dans un café strasbourgeois, sur une table partagée. À l’autre bout parlaient trois étudiants, peut-être en histoire des religions. L’un d’eux se demandait : à quel moment un curé peut-il refuser l’hostie à quelqu’un ? Et un autre a répondu : s’il estime qu’il y a « péché public » (en cas d’homosexualité, notamment – en fait, toute pratique non-hétéronormative), il peut refuser la communion. Et je me suis dit que ça pourrait être sympa, de faire une église pour les pécheurs. » Invité à exposer ses images érotico-pornographiques à l’Élastic, David Zingraff se laisse convaincre par le gérant d’organiser une soirée queer alliant son travail photographique « radical » à des performances « extrêmes » : « On nous a laissé carte blanche. J’ai choisi mes photographies, de même qu’on a sélectionné nos artistes et notre musique tout à fait librement. » Une liberté dont témoigne la programmation de la soirée : à l’affiche, le succube Divine Putain qui expiera les insultes reçues par la communauté queer ; le membre historique de la compagnie « HEY! » Yannick Unfricht, qui proposera une performance érotique impliquante ; la performeuse mystique à l’univers sulfureux Mojo Mira, qui sondera les fantasmes à l’occasion d’une séance de cartomancie décalée.
En dépit de ces choix audacieux, le duo organisateur formé par David Zingraff et Lulu la rue le maintient, la soirée reste accessible aux non-initiés. David Zingraff détaille :
« Ça peut être une première expérience, avec la conscience qu’on va voir une exposition érotico-porn, et des performances du même acabit… Je travaillais au Cabaret Onirique où il y a eu quelques soirées assez poussées, dont une avec des artistes polonais qui ont fait du porn sur scène : c’est sûr, on en ressort « bousculés ». Donc c’est accessible à tout public, mais un public averti. »
Pour s’assurer « qu’il n’y ait pas de hasard », la soirée se déroulera à guichets fermés, seulement accessible sur prévente. L’entrée, qui donne droit à une consommation, est fixée à 20 euros afin de « rémunérer dignement » les artistes ; une somme que le photographe percevait initialement comme « un frein », mais qu’il envisage finalement comme « une protection » : « Quelque part, c’est l’assurance que seuls les esprits ouverts franchiront le pas. » Avec cette soirée queer libre au dresscode « audacieux » (laissé à l’appréciation des participants), David Zingraff et Lulu la rue espèrent offrir « une bulle sécure » aux strasbourgeois dits alternatifs, pour qu’ils puissent « s’exprimer sans restriction » ; à cet effet, les photographies seront interdites.
« On espère que les personnes concernées viendront, mais aussi toutes celles qui veulent découvrir de nouvelles choses, et que tout le monde repartira enrichi. Et amusé ! Parce qu’au-delà des considérations militantes, c’est une soirée faite pour ça. »
Péché public, soirée queer à l’Élastic Bar
Samedi 11 mai 2019 de 21:30 à 04:00
20€, sur prévente uniquement
L’événement Facebook
Billetterie : Se rendre à l’Élastic Bar avant le 11 mai (ouvert tous les jours de 18:30 à 04:00), ou contacter [email protected]
j’adore pokaa bien organise cela bravo