SOCIÉTÉ | Criminaliser l’usage sans interdire la pratique, telle est la position de la France sur l’épineuse question de la prostitution, dont l’Assemblée nationale (AN) a ratifié en 2016 la pénalisation des clients en même temps qu’elle a réautorisé le racolage. Une loi très controversée et jugée non-conforme au droit à « l’autonomie personnelle » et « la liberté d’entreprendre » des prostitué.e.s par onze associations – dont Médecins du monde et le Syndicat du travail sexuel (Strass) –, qui ont saisi le Conseil constitutionnel sur la question. L’institution a tranché au début du mois de février 2019 en faveur de cette mesure « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel » – ranimant un débat presqu’aussi ancien que le plus vieux métier du monde…
D’un coté, l’argument de la liberté individuelle. De l’autre, celui d’une liberté contrainte, même sans proxénète, car peut-on encore parler de liberté pour un choix qui ne semble s’imposer qu’à une partie bien définie de la population (selon le rapport de la proposition de loi de 2013 85% des prostitué.e.s étaient alors des femmes et 99% des clients étaient alors des hommes) ? Exploitation de la femme, misère sexuelle et ubérisation de la prostitution, on a abordé toutes ces questions de société avec un client strasbourgeois… Pas pour qu’il se défende de ses pratiques ni pour qu’il s’apitoie sur ses motivations, mais pour qu’il raconte sa réalité de concerné. Le but ? Agrémenter la réflexion d’un point de vue qui manque, plutôt qu’imposer des réponses partielles et partiales.
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« Clown Triste » est un homme d’une vingtaine d’années, employé dans la restauration à Strasbourg. Il a accepté de témoigner à condition d’un anonymat total ; l’interview s’est déroulée par courriel et enregistrement audio modifié. Contactés, une travailleuse et un travailleur du sexe n’ont pas souhaité témoigner, même anonymement. Trois clients se sont manifestés en réponse à un appel à témoignages partagé sur les réseaux, un seul est allé au bout de la démarche. Vous avez dit tabou ? « Clown Triste » n’est pas parfait, il a ses contradictions ; l’occasion, en les découvrant, d’en apprendre plus sur votre position sur ce sujet compliqué.
Cette interview a été réalisée fin janvier 2019. En lisant ses propos fin février (toujours 2019), des faits et des pensées qu’il n’avait jamais partagé, et donc auxquels il ne s’était jamais confronté, « Clown Triste » a désavoué une partie de son témoignage. Ce bref échange marque le début d’une longue réflexion – d’un développement personnel qu’il convient de respecter, quoiqu’on puisse être en désaccord avec les notions véhiculées. Malgré ce désaveu nous avons choisi de publier l’interview telle quelle, afin qu’elle accompagne votre réflexion, peut-être à son commencement elle aussi. Les commentaires seront modérés.
À quel âge as-tu eu recours pour la première fois aux services d’une prostituée, et pourquoi, qu’est-ce que t’y a amené : une période, un conseil, une curiosité… ? Un malaise social, des pratiques sexuelles particulières… ?
Il y a plusieurs raisons… La première fois que j’ai fait cette expérience c’était à l’étranger. J’avais 23 ans et cette toute première fois, c’était nul. Ça s’était très mal passé parce que, en fait ça ne s’est pas du tout passé comme je l’imaginais. J’y reviendrai plus tard quand je parlerai du déroulement en tant que tel mais disons que comme je n’ai pas su verbaliser mes besoins, ils n’ont pas été satisfaits comme par magie ! Ce qui m’a orienté vers cette pratique, c’est tout simplement le fait que je n’avais pas eu de rapport sexuel depuis très longtemps, et donc je ressentais un manque… Je ressentais que c’était devenu un besoin, qui prenait de la place : ça m’occupait énormément l’esprit, j’y pensais constamment… J’avais, très souvent, le sentiment d’être sollicité autour de moi par mon environnement. Par des affiches, des publicités, qui me renvoyaient à ma situation. Et par-dessus tout, il m’arrivait souvent de draguer, beaucoup, des filles que je ne connaissais pas dans la rue, mais je remarquais que c’était très aléatoire, ça ne marchait vraiment pas souvent. Et donc après une longue période pendant laquelle je n’avais pas eu de rapport sexuel, eh bien, par hasard en fait, j’ai cette opportunité qui s’est présentée et j’ai eu envie de l’expérimenter. C’était par un conseil que j’avais eu d’une personne dont je suis le contenu sur les réseaux sociaux. Elle en parlait et donc j’avais trouvé des sites sur lesquels on pouvait consulter des annonces d’escort girls, c’est comme ça que j’ai renouvelé l’expérience en France. Donc dans mon cas, je dirais que mes motivations n’ont rien à voir avec des pratiques sexuelles particulières, je pense avoir des pratiques normées, ni avec un malaise social… Je parlerais plutôt d’un sentiment de misère sexuel.
Et pourtant, dans l’inconscient collectif, on s’imagine (peut-être pour se rassurer) un client socialement ou sexuellement inadapté ; qu’est-ce que tu penses de cette vision et comment est-ce que toi tu te situes ? Cette pratique est-elle pour toi une facilité, une préférence, un mode de consommation… ?
Dans mon cas, je dirais que je ne suis ni pathologiquement timide, même si j’étais très timide pendant mon adolescence, ni sexuellement déviant, comme dit précédemment. Et pour avoir posé la question à plusieurs des escorts que j’ai pu fréquenter jusqu’ici, j’ai cru comprendre qu’elles rencontrent vraiment de tout, du garçon timide qui vient pour la toute première fois aux hommes qui veulent expérimenter des choses particulières, en passant par les personnes qui veulent tout simplement tirer leur coup parce que ça fait longtemps… Comme moi en fait, c’est un dernier recours. Du coup, par rapport à ces deux profils, je ne me retrouve ni dans l’un ni dans l’autre, comme d’autres clients sûrement.
Est-ce pour moi une facilité, une préférence, un mode de consommation… Je dirais un peu des trois. En fait dans mon cas, je remarque qu’il y a eu plusieurs périodes. Les premières fois, ça partait surtout d’un manque. J’y faisais appel pour répondre à mes besoins sexuels, pour satisfaire mes envies. Quand je voulais avoir un rapport au point que ça me perturbait j’allais sur un de ces sites et je contactais directement une escort pour la rencontrer. C’est très facile, ça prend quelques minutes, quelques secondes… Mais peu à peu j’ai remarqué que je ne ressentais plus vraiment ce manque et que ma motivation n’était plus d’y aller pour répondre à un besoin sexuel : très progressivement, ça a dérivé vers un mode de consommation, effectivement.
Aujourd’hui, c’est une facilité et une préférence, un choix réfléchi. Parce que, comme je l’ai dit, pendant une longue période au début de la vingtaine, j’ai beaucoup dragué des filles dans la rue et c’était très aléatoire… Il y a de nombreuses choses qui m’ont découragé. Disons que je n’avais plus envie de passer trop de temps à essayer de séduire, parce que ça demande énormément d’énergie, énormément d’investissement émotionnel, sachant que ma motivation principale était de multiplier les partenaires sexuelles. C’était devenu quelque chose de pesant pour moi, je me sentais fatigué par tout ça et le fait de découvrir cette pratique m’a énormément facilité les choses. Parce que c’est simple, c’est rapide. Ce qui fait que je n’ai plus du tout à y penser. Le fait de me dire que c’est un poids, de ne pas avoir eu de rapport sexuel depuis très longtemps… C’était très dur en fait.
Parlons de la pratique justement, comment les choses se passent-elles en général d’après ton expérience ? Où on va, comment on choisit, comment on se comporte, est-ce qu’il y a des règles, de la tendresse, un attachement ?
Parlons maintenant de l’après : qu’as-tu tiré de ces expériences personnellement, au-delà de la satisfaction de tes besoins sexuels, t’ont-elles permises une détente dans ton rapport à ton corps et à ta sexualité ?
Cette interview se déroule par mail avec une adresse anonyme : as-tu déjà parlé à un proche de ta pratique ? Est-ce que c’est une chose qu’il faut cacher et pourquoi (alors tu sembles assumer puisque tu acceptes d’en parler) ?
On ne peut pas parler sexe tarifé sans parler des débats qui l’entourent. Plusieurs associations militent pour l’abolition de toutes les formes de prostitution, qu’elles voient comme une exploitation de la femme ; elles estiment que la prostitution ne peut être que subie et non choisie par les femmes qui se prostituent… En tant que client, comment tu te positionnes sur ces questions de société ?
Même si je n’exclue pas que certaines sont forcées, ce serait malhonnête intellectuellement de ne pas l’envisager même si je ne l’ai pas expérimenté, moi je vois un service qui est rendu pour répondre à un besoin. Parce qu’il y a un réel besoin, et là je parle vraiment pour les hommes, je me base sur mon vécu et des expériences partagées par d’autres hommes que j’ai rencontré. La misère sexuelle, c’est quelque chose qui est vécu par de nombreux hommes ; je ne dis pas que ce n’est pas vécu par des femmes, mais je ne saurais pas en parler. Peut-être par des femmes d’un certain âge qui ne se sentent plus regardées par les hommes… Donc la prostitution ça existe dans l’ombre parce que ce n’est pas réglementé, mais le fait que ça existe, pour ceux qui y ont accès et qui ont osé y avoir accès, je pense que ça leur rend un énorme service. Et je trouve ça très courageux de la part de ces filles de faire ce travail, elles prennent un énorme risque. Elles ne savent pas à qui elles ont à faire, surtout par Internet, elles ne sont pas à l’abri d’une mauvaise surprise. Et puis ça ne doit pas être facile à assumer, de faire ce métier. Je ne parle pas de courage pour me donner bonne conscience, c’est quelque chose que je pense depuis que j’ai recours à ces pratiques. J’ai de l’admiration pour elles. À chaque fois que j’en rencontre une, que je m’en vais, que je me sens satisfait du moment passé, j’ai beaucoup de gratitude.
Les liens communiqués par « Clown Triste » :
Je rencontre une escort (podcast audio)
J’ai testé les services d’un escort (vidéo Youtube)
Je trouve le choix de la vidéo sur le harcèlement sexuel de rue vraiment inapproprié. Extrêmement orientée, elle sous entend un quelconque lien entre l’expérience personnelle relatée avec candeur par l’interviewé avec ces pratiques regrettables alors qu’il n’y en a aucun dans ses réponses. Hors sujet donc, dommage.
Écoutez Les Putes et Moi des casseurs flotteurs. C’est une belle fenêtre sur les motivations et le déroulé.