Avant d’être ce lieu que tout strasbourgeois digne du nom se doit de connaître, le « Molo », c’est une histoire captivante qui s’étale sur plus de 30 ans. Une bataille de passionnés, soldée par une victoire qui fait note, une ode à la contre culture et surtout, un lieu unique dans le paysage culturel hexagonal.
Un projet né sur le papier
Nous sommes en 1986 quand des lycéens strasbourgeois créent le fanzine « Molodoï » (qui signifie « jeune » en russe). Distribué à l’échelle nationale, le magazine dont sortira cinq exemplaires se veut « un point vers lequel convergent tous les traits d’une culture urbaine, scène rock alternative, graphisme, pochoirs, production indépendante, happening ». Dans le même temps, une émission radio voit le jour sur RBS avec une volonté de promouvoir l’union de toutes les cultures musicales.
A l’aube de 1989, Molodoï se monte en association. Commence alors une épopée culturelle et associative palpitante, avec comme fer de lance, une question :
« Une autre approche du culturel est-elle possible? »
Auto production, concerts à bas prix, théâtre de rue et productions indépendantes sont à cette époque considérés par beaucoup comme les expressions de cultures minoritaires. La jeune association choisit de considérer ces pratiques comme de véritables tendances actuelles.
Dés lors, ils commencent à programmer des concerts rock. Faute d’avoir un lieu qui leur appartient, ils investissent le Fossé des Treize, la salle des Fêtes de Schiltigheim ou le palais des Fêtes de la rue Sellenick. Un concert à 30 francs avec deux groupes est désormais concevable. Les événements s’enchainent, une « Fiesta alternative » réunit1500 personnes à la salle des fêtes de Schiltigheim.
1989 – MOLO RENTRE DANS LE DUR
Dans un contexte social dégradé, où les inégalités en matière d’accès à la culture pour la jeunesse perdurent, le projet de création d’un Centre Autonome Jeunes est lancé, alors que Catherine Trautmann pose ses valises à la Mairie de Strasbourg.
Débute alors une période de négociation avec la municipalité qui durera deux ans, négociation à l’issue de laquelle le bâtiment, sis 19 rue du ban de la roche, est confié à Molodoï dans le cadre d’un bail emphytéotique d’une durée de 18 ans, courant à partir de 1991. Monsieur Roland RIES, actuel Maire de Strasbourg et alors Premier Adjoint, signera le bail.
Après trois ans de travaux d’un coût de 1,2 millions de francs, co financés par l’état français et la ville de Strasbourg, le “Molo” ouvre ses portes au public. S’en suit une première phase d’activité, entre projets associatifs, concerts de tous horizons musicaux, projections, théâtre, expositions, repas ou encore soirées débats.…
1997 – UNE RÉORGANISATION PLUS PARTICIPATIVE
Cette année là se dessine une réorganisation juridique de l’association. Dès lors, les membres de l’association Molodoï font partie d’un conseil d’administration collégial (sans président) et en sont les responsables légaux. C’est là les prémices de l’organisation actuelle de la structure.
Jusqu’ici, la salle était mise à disposition en contrepartie de 33 % des bénéfices réalisés sur un évènement. Plus tard, pour tenter de rompre avec le rapport classique prestataire / client, il a été décidé d’attribuer le lieu à une association en la laissant juge de sa contribution (humaine, matérielle ou financière). Le CAJ souhaitait ainsi en venir à responsabiliser les associations utilisatrices.
2009 – LA PERTINENCE DU PROJET SE CONFIRME
Le bail emphytéotique arrive à terme au 31 décembre de cette année. Durant plusieurs mois, le CA essaiera de rendre attentives les associations utilisatrices du lieu aux enjeux qui entourent cette fin de bail. L’association déposera, dès mars, un dossier afin de demander le renouvellement du bail emphytéotique.
Articles de presse, concerts de soutien, affiches, autocollants, compilation, rencontre fortuite des élus, tractage, lobbying vont s’alterner durant une période pleine d’effervescence. L’enjeu est d’importance, le quartier gare est soumis à une forte pression urbanistique dans le cadre de la création d’un quartier d’affaire. Au sein même de Molodoï, certains souhaitent que cette fin de bail soit le moment d’un glissement vers une professionnalisation de la salle, d’autres défendent le projet d’autonomie, les élus et leurs services semblent eux mêmes avoir des visions différentes du devenir du CAJ.
Finalement, Roland Ries, maire de la ville, annoncera officiellement la reconduction du bail emphytéotique, sans condition, lors du discours d’ouverture des Assises de la Culture. La nouvelle fait grincer quelques dents mais assoit, pour douze années supplémentaires, la pertinence du projet Molodoï.
ET MAINTENANT, ÇA FONCTIONNE COMMENT LE MOLO ?
Aujourd’hui, à l’image du fonctionnement adopté en 1997, Molodoï est constitué d’un Conseil d’administration qui sélectionne, coordonne et accompagne les associations dans l’organisation de leurs événements.
Lors des assemblées générales, les associations font tour à tour le bilan des événements passés, et font des propositions pour ceux à venir. Tout est passé en revue : fréquentation, public, bar, ambiance, jusqu’au nombre d’éco-cups utilisés. Puis un bilan comptable est fait au conseil d’administration. En dernier point, l’association annonce le montant du don, part des recettes de sa soirée, qu’elle souhaite reverser à Molodoï. En effet, si la structure vit à un tiers sur les subventions de la municipalité, le reste de son budget de fonctionnement provient des dons que chaque association reverse à Molodoi à l’issue d’un évènement.
« La structure est ouverte à toutes les associations à but non lucratif, quels que soient leurs domaines d’activité, du moment qu’elles n’encouragent aucune forme de discrimination, de haine ou de violence. »
Un membre du conseil d’administration
Lorsque le projet d’une asso est validé, cette dernière est totalement autonome dans l’organisation de son événement. Du booking des artistes à la gestion du personnel, en passant par la commande des fournitures du bar, la communication et les ventes de boissons. Au plus fort de l’année, ce sont 80 associations qui font tourner la structure avec une programmation des plus éclectique.
Avec une taxe annuelle passée de 15 à 3000 € en 2018, le CA est particulièrement attentif à la viabilité financière des projets soumis. « On étudie attentivement les budgets, et on essaie d’être le plus réaliste possible. Nos années d’expériences nous ont permit d’avoir une idée de ce qui va fonctionner ou non. On essaie ainsi de guider au mieux les associations » me confie l’un des membres du conseil. Toujours fidèles à leurs valeurs originelles, et dans une démarche de rendre la culture accessible à tous les portefeuilles, le prix d’entrée des soirées est limité à 8€.
Régulièrement, de nouveaux collectifs et associations rejoignent la famille Molo avec des projets toujours plus riches (culturellement). D’autres, font partie des meubles. C’est le cas de l’association Abribus, qui distribue des repas à ceux dans le besoin depuis 15 ans, et organise des soirées de soutien au Molodoï. Difficile aussi de ne pas citer Pelpass, son « Paie ton Noel » et son festival au Jardin des Deux Rives. Ou encore Wassingue, HK Crew et leurs soirées bien connues des oiseaux de nuit strasbourgeois.
Molodoï, plus que jamais investi dans sa mission de promotion de la scène locale, a aussi mis à disposition un local permettant aux groupes de faire leurs répètes dans de bonnes conditions.
La pluridisciplinarité du lieu est unique. Si on retrouve, souvent, des soirées electro, des concerts, des festivals et des spectacles au Molodoï, il s’y déroule aussi des cours de théâtre, des projections de films, des débats ou même des cours de Yoga à prix libre. Tout le monde y est bienvenu, rien n’est normé, les portes sont ouvertes à tous. Avec plus de 200 évènements annuels malgré une fermeture en juillet/août, la salle est aujourd’hui au maximum de sa capacité. Une usine de la culture pour tous qui tourne à plein régime, et qui n’est pas prête de s’arrêter.
Sources : molodoi.net
Photo de couverture : Tribus Sonores