Badass Martine est de retour. Après une initiation peu concluante au Parkour, l’aspirante agent secret va s’essayer à l’esperanto. Derrière ce pseudonyme, notre journaliste vous fait découvrir des associations strasbourgeoises aux pratiques insolites.
Après un essai infructueux au parkour, mon rêve de rejoindre les services secrets strasbourgeois a failli être anéanti. Jusqu’à ce que je tombe sur un mystérieux prospectus.
Me voilà donc en ce lundi 1er octobre, à Illkirch-Graffenstaden, plus précisément à « La Ligue », pour découvrir cette mystérieuse langue. Je ne l’ai jamais entendue, ni lue, et pourtant j’en ai entendu parler. L’esperanto a été crée de A à Z en 1887, par Ludwik Zamenhof. L’ophtalmologiste polonais a utilisé le pseudonyme de Doktoro Esperanto (« Docteur qui espère ») pour publier son projet de langue internationale (preuve de son statut d’agent secret !).
Au départ, le projet rencontre autant de succès qu’une raclette un jour de neige : les gens s’en emparent, les cours de langues, publications et rencontres se multiplient… jusqu’à tomber dans l’oubli, vaincu par les irréductibles anglo-saxons (la raclette en revanche, se porte très bien, pas de panique).
S’il existe des gens qui pratiquent, et même apprennent encore cette langue, il n’y a aucun doute possible : les services secrets sont à portée de main. J’entre avec solennité dans la salle de classe. Une petite dizaine de personne s’installe avec moi autour d’une grande table. Ils sont de tous les âges, et n’échangent presque pas un mot. Ce n’est que leur deuxième cours, ils ne se connaissent pas encore bien. A moins que ce ne soit une règle tacite propre à l’initiation !
Le professeur fait son entrée. Moi qui m’attendais à un sosie de Jerry qui me distribuerait un téléphone-poudrier et autres gadgets, je suis bien déçue. Bernard, cheveux blancs et lunettes fines a tout du charmant professeur. Souriant, patient et pédagogue. Difficile de croire qu’il est le cerveau d’une opération top secrète… mon instinct m’aurait-il de nouveau trompé ?
« Alors il faut savoir qu’à la base, je suis professeur de mathématiques, pas de langue », déclare Bernard en riant. « Et c’est mon premier cours avec cette méthode ». Et quelle méthode ! Sans plus attendre, Le Professeur nous plonge dans le déchiffrage de l’alphabet esperanti. « C’est ce qui est le plus long à apprendre, précise t ‘il. Dans l’esperanto il n’y a pas de grammaire, c’est beaucoup plus simple que le français. »
Autour de moi, les autres élèves lisent avec application les 28 lettres de cet étrange alphabet. « C’est simple, tout s’écrit comme ça se prononce, explique Le Professeur. C’est pour ça que c’est important de bien toutes les connaître ».
A ma droite, Anne-Cerise prend des notes avec application sur sa tablette. Âgée d’une vingtaine d’année, elle est la plus jeune des élèves, mais présente un niveau de langue assez avancé. « J’ai acquis quelques bases sur une application mobile, raconte-t-elle. Et j’ai transmis le virus à mon frère qui va présenter l’option en candidat libre au bac. » Sacré niveau !
Christine, elle, a plus de mal à suivre le rythme imposé par Le Professeur. « Attendez, attendez, demande t’elle d’une voix douce. On peut répéter, je suis perdue. » Bernard s’exécute avec bienveillance. Rien à voir avec un épisode de la Casa de Papel. Ici personne n’est pressé, chacun avance à son rythme. Nous lisons tour à tour une phrase chacun, pour nous imprégner de la prononciation et de l’orthographe. Répéter, répéter, répéter. En même temps, personne n’a prévu de braquer une banque. « Profitez bien de ce cours, conseille Bernard, c’est le premier et le dernier que vous aurez intégralement en français. »
A peine ai-je le temps de retenir deux ou trois intonations alphabétiques qu’il enchaîne avec une dictée. Bzzz… ça y est, mon cerveau bugue. Une dictée ? « Un Diktajo, me reprend aimablement Le Professeur. Il faut mettre en application ce que vous venez d’apprendre tant que c’est encore frais. » Mais, justement, j’ai l’impression de ne rien avoir appris ! Les syllabes et accents toniques se mélangent, dans un mix de français, anglais et espagnol. Mais, sagement, je m’exécute. On va bien voir ce que ça va donner !
« C’est pas mal, m’encourage Bernard. Mais il faudra bien faire les devoirs pour acquérir les bases. » Le cours s’achève, mais les élèves ne sont pas très pressés de partir. Tous se dirigent vers une table à l’arrière de la salle, où sont disposés des livres et bandes dessinées.
« Vous avez reçu le Petit Prince?, demande Christine, le regard pétillant. Je l’achète toujours dans la langue du pays où je voyage. » Et si l’esperanto n’est pas une langue officielle, sa pratique rassemble des milliers de pratiquants à travers le monde.
« L’esperanto, pour l’apprendre, il faut le pratiquer, indique Anne-Cerise. Moi j’utilise l’application Amikumu. Elle géolocalise les gens qui ont aussi cette application, et ça permet de retrouver les Esperantites (pratiquants de l’Esperanto) n’importe où dans le monde. »
Bernard, lui, utilise plutôt « Pas Porta servo ». Pas plus grand qu’un livre de poche, il recense les adresses d’Esperantites dans plus de 70 pays à travers le monde. Il y a même un index avec des délégués d’association par thème et par pays. Des judokas aux carrossiers, il y en a pour tous les goûts ! «Ce sont un peu les inventeurs des maisons d’hôtes, raconte Bernard. Avec ma femme, nous avons été hébergé gratuitement en Allemagne du Nord cet été. Et nous avons accueilli un Bulgare de 70 ans chez nous. Pas besoin de baragouiner en anglais, l’esperanto vient instinctivement, même quand on ne connaît pas toujours les mots. C’est une question de pratique ! »
Après ce cours intensif, j’ai une drôle de sensation. De part mon histoire familiale, la proximité de l’esperanto avec l’espagnol me trouble. Plusieurs fois, au cours de la lecture, j’ai traduit ces mots en version hispanophone. « C’est ça la magie de l’esperanto, réplique Bernard. C’est une langue très facile, au point que souvent, on arrive à comprendre ce qu’on lit, ce qu’on entend sans parvenir à traduire en français. Moi même, poursuit-il, j’arrive à faire des traits d’humour en esperanto, alors qu’après 5 ans d’études en allemand, je n’y arrive toujours pas dans cette langue ! »
L’esperanto a l’air d’être une langue assez intuitive, qui amène au voyage et à la découverte d’autres cultures. J’avoue que le cours a touché ma corde sensible, moi qui me considère comme une citoyenne du monde, avant tout. Un agent secret voyage, lui aussi, mais prend-il le temps de connaître et découvrir une autre culture que la sienne, comme le font les Esperantistes ? Je ne crois pas…
Ma carrière d’agent secret va t’elle s’étouffer dans l’œuf ? Affaire à suivre…
Les aventures de Badass Martine t’ont donné envie d’apprendre l’esperanto ? L’association Esperanto Strasbourg, qui a accueilli notre journaliste, propose des cours ici.
>> MARIE DEDEBAN <<
Il y a plusieurs centaines de milliers de locuteurs ayant un niveau conversationnel en espéranto. Peut-être 10 millions l’apprennent. J’ai atteins le niveau B1 en 4 mois, seul grâce à internet.
L’espéranto n’a pas grand chose à voir avec l’espagnol. Il y a beaucoup de mots en espéranto venant du latin, du français ou même de l’italien, mais pas de l’espagnol directement.
Si en espéranto beaucoup, beaucoup de mots finissent par a ou o, comme en espagnol, c’est parce que -a désigne toujours un adjectif et -o toujours un nom. Rien à voir avec le masculin ou le féminin comme en espagnol.