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Strasbourg : les papillons invisibles

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Le noir de la nuit caresse son bleu de travail. Un bleu foncé qui colle à l’âme. La routine étouffante d’un trajet appris par cœur. Sans rancœur, ni regret. Sans « peut-être », sans fleurs. Petit Poucet aux pouces cabossés semant son passé sur le bitume mouillé. Saint – Jacques de Compostelle jonchée de merdes pastel. Composter son ticket de tram. Taxer une clope à un clodo schizophrène. Les mains dans les poches. Des poches sous les yeux. Une gamelle tiède dans son barda. Brasier réconfortant sa carcasse voûtée. Parfum de patates douces au lait de coco colorant le ciel trop gris. Il tire sur un mégot froid. Du tabac entre les chicots. Le regard fixé sur les tuiles morcelées d’un toit. Le monde doit avoir une autre gueule de là-haut. Tôt ou tard, la France qui se lève tôt, croisera la France qui se couche tard.

L’heure bleue des ombres attendant sur des quais fantomatiques.

Les invisibles en chaussures de sécurité usées. Si jeunes dans leurs fuites. Animaux meurtris aux cœurs asséchés, errants dans la vallée de la vie. Oiseaux de malheur pâles, illuminés par des lampadaires inquisiteurs. Un mollard vole dans la nuit et s’écrase sur les rails. Les feuilles dansent un tango désarticulé. Tout commence et s’arrête maintenant. A la seconde où le soleil chasse les fantômes de l’obscurité.

Fuir de là-bas pour tenter d’être quelqu’un ici. Une houle vertigineuse. Le silence de la peur. Les regards qui se cherchent et se comprennent sur cette embarcation surchargée. Les yeux se prennent dans les bras. Le soleil brûle les peaux nues. La soif s’infiltre dans chaque pensée. La mer est un volcan humide. L’iode, une lave mouillée et corrosive. Le diable habite ici. La nuit, les spectres de la mort rodent, bordant les plus fragiles de pétales de chrysanthèmes. Un autre matin au milieu du néant. Grains de poussières orphelins dans l’océan. Deux silhouettes gonflées flottent et disparaissent dans l’écume des vagues. Les mouettes décharnent ceux qui n’ont plus de noms. Les membres pourrissent sous le regard vide d’un frère ou d’un fils. Des larmes de sirènes glissent dans les bouches arides. La routine meurtrière que personne ne veut voir. D’un port à un autre. Les hommes en costume décident d’un coup de stylo à plume. Une rature sur une vie. Du Tipex sur des tâches aux cœurs qui palpitent encore. On se renvoie la balle au journal de vingt heures. Ping-Pong meurtrier. Peur de l’autre. Peur de l’inconnu. La peur rend aveugle.

Le Tram B klaxonne au loin. Arrêt « Elsau ». Les phares éblouissants dilatent ses pupilles telle une biche hypnotisée attendant de rencontrer un pare-choc.

Il s’assoit, seul, au fond et s’affale. La tête contre la vitre recouverte de traces de mains d’enfants de toutes tailles. Il ferme les yeux et fredonne un poème en tigrigna. Le cœur pique. Souvenirs de son ancienne vie au Soudan. Elle lui manque. Roaa, diamant brut d’un mètre cinquante-huit qui taille des failles pour laisser passer la lumière des autres. Toujours sa peau. La douceur de ses caresses. Il a faim d’elle. Famine de sentiments. Cache-cicatrices. A bout de souffle sans son ombre qui veille sur lui. Son sourire, phare dans les nuits agitées de Khartoum. Les échos de sa voix qui apprivoisent les ténèbres, lorsqu’au foyer, le silence vient danser avec les cendres du passé. C’est l’heure où tout le monde rêve à tombeau ouvert.

Un papillon de nuit piégé remonte le long de la vitre. Choc après choc, il use ses ailes fragiles et s’épuise à s’obstiner à chercher la lumière. De sa main aux ongles rongés, il prend l’insecte comme une goutte d’eau échouée au milieu du désert. Petite merveille qui vibre dans sa paume. Poussière vivante. Les ondulations à peine perceptibles bercent son épiderme. Charmante créature perdue dans la folie des dieux. Il se lève avec délicatesse, protégeant un trésor inestimable dans sa main.

La porte s’ouvre à l’arrêt « Laiterie ». Un vent sauvage qui fouette le visage pénètre dans le wagon.

Les yeux grands ouverts, il écarte les doigts. Fascination enfantine. Une moquerie au destin. Un croche-pied à la faucheuse. Un orage lointain gronde. Secoué par un tourbillon touble, il prend son envol maladroitement et disparaît dans la chute du monde. Il doit être fort. Il doit être grand maintenant.

La pluie s’écrase sur les carrés de verre. La voix caverneuse de Nick Cave raisonne dans un casque Bose. “You’ve got to just – Keep on pushing -Push the sky away”. Strasbourg, un jour d’octobre. Une belle journée pour s’envoler.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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