Dans le cadre de la comédie sociale “I Feel Good” projetée en avant-première au cinéma Star St-Exupéry, j’ai rencontré Benoît Delépine, réalisateur du film et Jean Dujardin qui y tient le rôle principal. C’est à l’hôtel Hannong rue du 22 novembre que le rendez-vous a été donné. Le petit salon cosy dans lequel on m’a accompagnée a eu l’effet de me rassurer sur le cadre convivial de l’interview, avec ses couleurs chaudes et ses larges fauteuils en velours. Benoît Delépine et Jean Dujardin arrivent, décontractés. On s’assoit autour d’une table. Ils sont au Ricard, je suis au Saint-Emilion. Les deux commencent déjà à plaisanter, le moment promet d’être agréable.
C’est drôle de voir à quel point rencontrer une célébrité de l’envergure de Jean Dujardin n’a finalement rien de si intimidant. C’est juste un homme de 46 ans comme un autre. Avec, je l’accorde 1 000 000 000 fois plus de charme que la moyenne. Ils sont attachants ces deux bonhommes et on sent une osmose naturelle entre eux. La conversation est amicale, chaleureuse et pleine de spontanéité. Ce n’est pas un mythe : Jean Dujardin est aussi drôle et sympa dans la vraie vie que dans les comédies dans lesquelles il joue. Quant à Benoît Delépine, il a à 60 ans, la malice et l’enthousiasme communicatif et touchant d’un enfant qui ne cesse de s’amuser.
Le rôle était-il écrit pour Jean Dujardin ?
Benoît Delépine : Oh non ! On a fait tous les acteurs de la place de Paris qui ont refusé, puis à la fin, vraiment en désespoir de cause, on a demandé à Jean Dujardin qui a accepté tout de suite parce qu’il était un peu à la ramasse. (rires) Je plaisante, en réalité on n’a vraiment écrit ce rôle rien que pour lui du début à la fin.
Jean Dujardin : On s’était rencontré à Cannes en 2012, lors d’une soirée mémorable, et on s’était tapé dans la main en se disant qu’on allait faire un film ensemble. Je le fais assez rarement, j’ai toujours un peu de mal à draguer les metteurs en scène. Mais là en ayant vu “le Grand soir”, je pressentais que j’allais m’amuser très fort. C’est un cinéma qui est un peu en marge.
Comment vous êtes vous préparé pour le rôle de Jacques ?
Jean Dujardin : J’ai mangé des croques monsieur essentiellement (rires). J’ai grossi, j’ai fait une coupe de cheveux improbable, je me suis voûté. Le premier jour de tournage, on se renifle un peu, on ne se connaît pas bien, mais je leur ai dit : « moi je suis là pour vous ». Je ne viens pas refaire les films que j’ai déjà fait, je ne viens pas proposer la même chose, je suis au service du ton, du fond et j’essaye de coller à ce que veulent les réalisateurs. Et si eux sont contents, alors je suis content aussi.
Benoît Delépine : On s’est rendu compte en arrivant à Emmaüs Lescar-Pau que des gens comme Yolande ou Jean avaient beaucoup travaillé sur leurs personnages. Ils venaient déjà avec le texte sur le bout des ongles donc pour nous c’était juste un plaisir de voir nos écrits interprétés par des acteurs comme ça, qui en plus nous faisait beaucoup de propositions supplémentaires. Avec Gustave, nous sommes le premier public en étant derrière la caméra alors simplement le fait de nous faire autant rire sur des textes qu’on connaît par cœur, c’est génial. Sur ce tournage, tout s’est passé comme dans un rêve.
Dans votre film, deux acteurs aussi connus que Yolande et Jean auraient pu faire de l’ombre aux compagnons, mais ce n’est pas le cas. Comment expliquez-vous cela ?
Benoît Delépine: Les acteurs principaux font exister les personnes d’Emmaüs, ils respectent la petite musique des autres et les moments de vie. Que ce soit des compagnons eux-mêmes, qui ont quasiment étaient filmés comme dans une caméra cachée, mais aussi des amis qu’on a invités sur le plateau, et qui ne sont pas de vrais compagnons comme les sept membres principaux qu’on a fait passé pour et qui viennent pour leur part de plein de milieux différents que ce soit la culture, le rock, la BD. Ils jouent tous très bien leur rôle. C’est aussi grâce à Yolande et Jean qui ont été là pour les aider en respectant leur façon d’être. C’est tellement miraculeux cette façon de tourner qu’on a peur de perdre quelque chose en répétant trop en amont.
Jean Dujardin : Ce qu’on fait de nous ce sont souvent des choses qui nous précèdent ou des choses qui sont véhiculées, uniquement parce qu’on a nos têtes sur des journaux alors qu’on était tous très inconnus avant de commencer. Moi je vis avec moi depuis 46 ans, j’espère encore pouvoir communiquer avec les gens de mon espèce. Et quand on arrive au village, on est évidemment très touchés, on salue évidemment Germain qui gère ça d’une main de maître car heureusement qu’il y a encore des endroits comme ça en France. Je pense que si il n’y aurait pas eu ce village là, il n’y aurait pas eu de film. Et nous on arrive et on s’adapte, on communique, on écoute, mais on n’arrive pas avec tout ce que l’on peut imaginer de nous. On a beau être des acteurs, être dans la lumière, on est encore – je l’espère – humains.
Benoît Delépine : On a appris tellement de choses dans la communauté Emmaüs, on a appris à déconsommer. Eux ils le font vraiment. C’est pour ça qu’on voulait faire le film là-bas, on ne voulait pas faire une fiction complète, on voulait montrer que c’était possible et mettre en avant ceux qui y arrivent.
Est-ce qu’avec le succès, on ne pourrait pas avoir tendance à devenir comme Jacques ? Comment fait-on pour ne pas devenir individualiste, désintéressé des autres ?
Jean Dujardin : Ah ça il y en a, il y en a même beaucoup des crétins. Et pas que des gens connus, regarde sur Instagram, tu vas en voir. On est en plein dedans, tout le monde a l’envie absolue d’être aussi beau qu’un macaron bien lisse. Je pense que c’est la maladie du siècle, le désir absolu d’être connu, reconnu. Moi je le vois même avec les gens quand ils prennent des photos, ils te disent : « non attend je recommence parce que je ne souriais pas », ça signifie qu’ils ne se regardent qu’eux, c’est une concentration sur soi très, très forte. Ce n’est pas quelque chose qui nous est réservé à nous les gens reconnus, c’est même quelque chose qu’on balaie assez vite. Moi ça fait 20 ans que je vis avec, que j’ai compris ; enfin si mon intérêt était là je pense que je serais mort artistiquement depuis très longtemps. Car en réalité c’est une conséquence, ce n’est pas un métier d’être connu, nous ce qu’on veut c’est avoir des sensations, les donner, rire avec ça. Pour moi c’est le plus beau métier du monde, car je peux être un autre et si je ne fais pas ça, franchement je ne sais pas ce que je fais. Honnêtement c’est formidable. Donc on nous vend le rêve, on nous vend l’image, c’est ça qui est terrible. Parfois on peut nous faire un procès là-dessus alors que la seule motivation c’est de ressentir. Comme lorsqu’on te propose les dialogues de « I Feel Good », des dialogues à la Audiard, qu’on ne trouve plus, voilà ce que je recherche, ce sont les comédies comme ça : fulgurantes. Ils ont un cinéma qui est à eux et c’est un cinéma pour le coup : de résistance, je pèse mes mots, c’est vrai.
Benoît Delépine : Nous, en faisant ce film, on voulait montrer que ça peut être cool de ne pas être riche. Ce qui nous pend au nez, c’est qu’il y ait un milliard de chinois qui tout d’un coup aient envie d’avoir une voiture et de manger de la viande, et c’est ce qui est entrain d’arriver. On fait des films pour montrer à l’ensemble du monde qu’il faut que l’on se calme, ça paraît très important que culturellement ça se passe comme ça parce que si tout le monde reste dans un trip de rappeur, on est foutu quoi. Si tout le monde veut être dans un clip de rappeur, c’est la fin.
Vous auriez une anecdote de tournage à nous raconter ?
Benoît Delépine : La piscine de Poutrain. Elle était énorme en vrai. Ça faisait trop pour un petit bourgeois de province, du coup on s’est dit : « On a qu’à la filmer en largeur ça suffira bien. »
Jean Dujardin : Moi j’ai un souvenir où j’ai eu à la fois le sentiment d’être dans un film, avec des référence de comédies italiennes, et à la fois d’être réellement dans leur univers : c’était dans le camion. Le camion c’est à la fois hyper poétique, c’est terrible car le mec les emmènent dans un endroit où ils en ont pour 16 h de route, dans un espèce de faux avion installé dans un camion. Je trouve ça à la fois très joli et désespéré. Le maquereau au vin blanc, le chariot qui fait du bruit, ce sont des choses à la fois artistiques, imagées et poétiques, qui racontent le film. Oui, j’ai eu le sentiment que tout était dans cette scène là.
Benoît Delépine : Il faisait 45 degrés, on crevait de chaud dans ce camion. En fait on a tout tourné sur le parking de l’Emmaüs en ne roulant pas vite. On avait fait mettre des lampadaires pour faire croire qu’on passait sur des autoroutes.
Pour quelle raison faudrait-il aller voir votre comédie plutôt qu’une autre ?
Jean Dujardin : Juste avec des bonnes idées c’est par là que le cinéma est très singulier. Le film a plein de strates, plein de couches, et parfois c’est dommage car ce genre de films passent vite, on ne les voit pas. Le problème c’est que l’œil est habitué à la comédie, qu’on nous sert toujours un peu comme un cheese, de la bouffe rapide. On est pas entrain de prétendre qu’on est plus intelligents, je dis seulement qu’ils ont fait quelque chose de très original et singulier.
Benoît Delépine : Ce film est assez drôle enfin je l’espère, en tout cas moi il me fait rire. On veut montrer au public qu’on va droit dans le mur, mais pas sous la forme d’un documentaire. Nous on va au cinéma pour se détendre. Mais on peut réaliser à l’aide de cette comédie qu’on est tous un peu comme Jacques. Avec Gustave on s’est dit que ce n’est pas parce qu’on fait un film social qu’on est obligé de faire du “frères Dardenne” (qu’on adore aussi par ailleurs). Mais on a plutôt envie que tout le monde se sente bien en sortant du film, y compris les compagnons à qui on va montrer ça la semaine prochaine. On a beaucoup plus peur de leur réaction que de celle des Inrocks.
Gilles Lellouche, est présent cette semaine pour l’avant-première du “Grand Bain” pendant Ciné Cool. Vous a t-il proposé un rôle sur ce film?
Jean Dujardin : Non pas du tout. On a fait des choses ensemble, «les Infidèles », « la French » et je n’exclue pas de retourner un jour avec lui, on en a très envie. Mais là c’était son film, il n’avait pas forcément envie de retrouver toujours les mêmes. Guillaume (Canet) le connaît depuis très très longtemps, Gilles essaye de ne pas oublier d’où il vient. Guillaume a beaucoup compté dans sa carrière. On est amis mais on est pas obligés de travailler ensemble systématiquement. Ça arrivera sûrement sur d’autres projets.
Benoît Delépine : C’est quand même tant mieux pour nous. (rires)
Vos projets à venir ?
Jean Dujardin : Moi j’ai un film qui sortira l’année prochaine de Quentin Dupieux qui s’appelle “le Daim”. Puis j’ai un tournage assez important au mois de novembre, je n’en dis pas plus pour le moment. Le troisième “OSS 117” sera pour l’année prochaine aussi, tournage septembre/octobre.
Benoît Delépine : Nous on a deux projets de film, y en a un qu’on va se dépêcher de faire avec Brigitte Fontaine, et vraiment à l’arrache.
Une comédie aussi ?
Benoît Delépine : Ah non pas du tout, vraiment pas du tout, alors là vous aller morfler (rires). Ça va bien 5 minutes, on veut bien vous émouvoir mais à un moment faut vous secouer un petit peu. Vous allez en chier, y aura très peu de gens pour le voir, mais ceux qui le verront s’en souviendront. (rires)
Si vous pouviez emmener quelque chose de Strasbourg chez vous ?
Benoît Delépine : des caisses de Gewurtz… Non tous les albums de Blutch.
Jean Dujardin : Moi je pense que j’emmènerais une de vos expressions.
>> Propos recueillis par Emma Schneider <<
Merci aux équipes des cinémas Star, du cinéma UGC Strasbourg et de l’hôtel Hannong pour leur accueil.
De Benoît Delépine et Gustave Kervern
Avec Yolande Moreau et Jean Dujardin.
Sortie le 26 septembre 2018
(Attention, si relecture il y a eu pas mal de fautes d’orthographe lui ont échappé !)