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Rencontre avec Aline Falco, une des dernières enlumineuses de Strasbourg

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Dans ce « Ô les mains ! » No. 2 je vous emmène en voyage dans le temps mais aussi dans l’espace ! Et oui rien que ça. Pour beaucoup d’entre vous, si je dis « enluminure » vous penserez sans doute « Moyen Âge ». Et vous n’auriez pas complètement tort ! Son histoire remonte en effet à cette période, où cette technique servait à la fois à « illuminer » (d’où enluminure dérive) des textes religieux ou scientifiques par exemple, dans un souci purement décoratif ou explicatif. Si cette discipline existe toujours aujourd’hui, je vais vous montrer comment une artiste strasbourgeoise concilie méthodes traditionnelles et création contemporaine pour faire de son travail quelque chose d’unique en son genre. Allons-y !

Aline Falco m’ouvre la porte de son appartement et me reçoit comme si nous nous connaissions déjà. Belle crinière brune, toute de couleurs vêtue, elle est à l’image de son travail et de son univers. Nous nous installons dans son atelier, fenêtre ouverte, grand soleil et boissons fraiches servies dans de belles tasses en céramique de Justyna Jędrzejewska. C’est bon, je suis déjà conquise !

Après un Baccalauréat Littéraire en option Art Plastique, Aline se dirige vers une première année de licence d’Histoire de l’art, soucieuse d’élargir sa culture artistique. Mais la pratique lui manque : il faut trouver le bon mélange, quelque chose qui lui permette d’allier son goût pour l’histoire et de faire travailler ses mimines. Pour elle, « l’enluminure est un bon compromis ». Décision prise, y’a plus qu’à, comme on dit ! Mais l’artisanat d’art est difficile d’accès et on en fait trop peu mention, voire pas du tout, aux lycéens au moment de leur orientation. Aline me confie : « Ce qui m’a manqué quand j’ai commencé, c’est que lorsque j’étais enfant, l’artisanat d’art était totalement inconnu pour moi. » Pendant une année, elle travaille afin de pouvoir se payer une formation à Angers, la seule école d’enluminure d’Europe. Malheureusement, l’enseignement n’est pas à la hauteur de ses attentes et ne lui permet pas de voler de ses propres ailes immédiatement. Mais Aline ne se laisse pas décourager pour autant et décide alors de se former par elle-même. Pendant un temps, elle se transforme en apprentie-chercheuse, arpentant bibliothèques et archives à la recherche d’ouvrages sur les techniques anciennes de l’enluminure.

Parce que si aujourd’hui on trouve beaucoup de choses sur internet, il faut avoir conscience qu’il y a quinze ans c’était bien moins le cas. D’ailleurs, le saviez-vous ? Aujourd’hui, la plupart des documents des Archives Départementales du Bas-Rhin sont numérisés, mais depuis quelques années seulement. Certains ouvrages de techniques ont d’ailleurs été récemment réédités (voir la photo ci-dessous). C’est dire l’ampleur du travail de recherche qu’elle a dû effectuer. Mais, « j’aime travailler avec les livres » me dit-elle… Et pour cause, elle a fait du parchemin son support de prédilection !

Un petit air de chimiste ou de cuisinière farfelue

Au Moyen Âge, la conception d’un parchemin enluminé nécessite la collaboration d’une multitude de corps de métier. Comme un parcheminier (qui travail les peaux de bêtes : chevreaux ou moutons), un dessinateur (en charge d’esquisser les futures enluminures), un crysographe (qui pose de la feuille d’or), un copiste (qui calligraphe le texte), mais encore des peintres et des relieurs, sans parler du fabricant de couleurs ou encore de l’orfèvre pour les finitions ! Ca en fait du monde…

À travers ses recherches, Aline fait un bond dans l’histoire et plonge en plein dans un savoir faire ancestral. À la différence près que c’est elle qui porte toutes les casquettes ! Et bien qu’elle achète son parchemin chez un parcheminier, elle en fait toute la préparation. Par exemple, elle contrôle l’hydrométrie de l’atelier, les peaux étant très sensibles à l’humidité. C’est elle qui s’occupe du collage de la peau sur une surface plane afin de la tendre. Il faut enfin y passer une poudre de pierre ponce et de la sandaraque (de la résine d’arbre) pour dégraisser le parchemin.

Vient ensuite le travail de création. Ses pré-dessins, elle les réalise sur un calque. La peau étant très lisse, ce médium est idéal car il s’en rapproche. Elle rapporte ensuite le dessin sur la peau, puis repasse les traits à la plume à dessin et à l’encre. L’encre sert à positionner le dessin. Vient ensuite la feuille d’or que l’on fait briller avec de la pierre d’agathe, sans oublier les pigments.

Dans les traités anciens, elle a pu piocher les ingrédients qui vont lui permettre d’établir ses mélanges : « Ce qui me plaît dans l’enluminure c’est le côté recette. » Au menu : gomme arabique (résine d’acacia), miel, fiel de bœuf et glycérine (assouplissant). Cette préparation sert à lier les pigments. Baladez vos yeux sur les photos, et vous pourrez voir qu’elle utilise des ingrédients comme de la colle de peau de lapin !

Du savoir faire médiéval à la création contemporaine

En ce qui concerne ses sources d’inspiration, Aline a une toute autre facon de travailler : « Les gens qui font de l’enluminure sont passionnés de médiéval, ce n’est pas mon cas ! Je suis plus fin XIXe-début XXe. », me dit-elle. Aline a le coeur qui balance entre un « graphisme contemporain et des techniques traditionnelles », et rajoute très justement que « ce qui (la) différencie de l’illustration, c’est la technique ». Alors je ne sais pas vous, mais moi lorsque que j’entends ça, ma curiosité ne fait qu’un tour !

Autour de moi, les murs de l’atelier sont replis de haut en bas. Je scrute plus en détail et remarque en effet des styles très différents d’une création à une autre. Et je ne tarde pas à découvrir qu’Aline est une véritable globe trotteuse ! Elle cultive l’inspiration à travers ses voyages et ses oeuvres sont de véritables « mélanges de civilisations et de styles ». Oh chouette… Du Danemark au Japon, en passant par le Québec, l’Australie et la Belgique, ou encore récemment la Thaïlande, ça gambade par ici ! Cette mine d’inspiration lui permet de « bousculer les traditions graphiques de cette discipline ».

Plus haut, je vous racontais ses talents d’apprentie-chercheuse au début de son apprentissage. Aujourd’hui, je m’aventurerais presque à dire qu’elle est le Phileas Fogg de l’enluminure des temps modernes ! Sa curiosité la pousse à entreprendre de multiples périples, elle me confie d’ailleurs devoir parfois restreindre ses ardeurs voyageresques, car à peine rentrée d’aventures, la voilà qui se commande déjà de nouveaux guides de voyages ! Son art la pousse à sans cesse se réinventer, à changer de regard. Elle s’est déplacée jusqu’à Dublin pour découvrir le Livre de Kells, un manuscrit datant du début du IXe siècle, aux décors ornementaux incroyables et réalisés par des moines de culture celtique. Mordue également d’Art Nouveau, pour ses motifs floraux ondulants, elle ira à sa rencontre à Bruxelles, Paris, Prague et Barcelone. Un autre voyage en Tasmanie lui inspira une carte marine, dont vous avez vu le calque plus haut, si vous avez fait attention.

Son travail est en constant renouvellement et tous les six mois Aline passe à un autre projet. Elle souhaite « changer les univers, les formats ». Il y a un véritable travail de composition : « Je construis au fur et à mesure. La plupart du temps je me donne un thème et je construis autour. » Elle s’inspire de photographies lorsqu’elle peint des visages. « J’y mets beaucoup d’émotion. », me dit-elle. Au point d’éprouver un réel attachement avec certaines des femmes qui ornent ses oeuvres. Elle m’avoue avoir eu un vrai pincement au coeur après avoir vendue l’une d’elles dans un salon, alors qu’elle venait à peine de la terminer, et n’était pas encore prête à s’en séparer.

Son goût pour les livres l’anime toujours aujourd’hui : « J’aime beaucoup la poésie, je ne lis jamais de romans. » Ses inspirations sont la Belle époque et l’écrivain scandaleux Jean Lorrain, « homosexuel, sombre et controversé » pour lequel elle a beaucoup d’admiration et dont certains de ses vers prennent place dans ses créations.

Où retrouver ses oeuvres ?

Aujourd’hui, ça fait quinze ans qu’Aline s’est lancée avec passion dans l’enluminure. Très vite, elle fait des expositions un peu partout. Dès 2009/2010, elle participe aux Chemins d’Art Sacré, qui va marquer un véritable tournant dans sa création. Elle travaille alors sur un même projet durant un an et demi, ce qui n’est pas dans son habitude ! Lorsque le projet fut terminé elle détachera complètement le côté religieux de ses oeuvres. Ce n’était de toute façon pas son sujet de prédilection.

Dès le début, elle donne des cours et des stages. Encore aujourd’hui, elle enseigne l’enluminure six heures par semaine à l’Université populaire. Certains élèves s’attellent à recopier des enluminures médiévales, tandis que d’autres font de la création.

Elle collabore avec plusieurs artistes alsaciens comme Pascale Frey avec laquelle elle réalise une collection de bijoux. Dans une armature d’argent est glissée un petit morceau de parchemin finement décoré.

En 2010, elle rejoint la FREMAA (Fédération Régionale des Métiers d’Art d’Alsace) et en 2011 elle devient membre des Ateliers d’Art de France.

Une de ses créations est visible tout près de chez vous, au Palais de la Musique et des Congrès. Mais également à Sélestat où elle réalisa pour la Bibliothèque Humaniste un parchemin sur lequel est écrit un texte sur la rénovation et la pose de la première pierre. Pour elle, il arrive que « les gens qui viennent en expo voient surtout les paillettes », mais derrière chaque création se cachent des heures et des heures de travail. Maintenant que vous connaissez une partie du travail de préparation, vous ne manquerez pas de constater la finesse du travail fini sur les photos ci-dessous. Et si vous voulez l’attester de vos propres yeux, Aline expose depuis le 15 avril et jusqu’au 5 août à Empreintes, le Concept Store des Métiers d’art à Paris. Plus proche d’ici, elle participera à Au Coeur du patrimoine, l’exposition sur les métiers rares à Andlau les 9, 10 et 11 juin. Et on prend de l’avance ! Retrouvez la à la rentrée au Salon résonance[s], le Salon européen des métiers d’art, qui se tient au Parc Expo du 10 au 13 novembre.

En bonus ses premiers chefs-d’oeuvre :

Petites curiosités…

Le métier qui te faisait rêver enfant ?
« Je voulais être paléontologue ! J’étais fan des dinosaures. »

Ton adresse strasbourgeoise préférée ?
« J’aime beaucoup les restaurants asiatiques ou indiens, Le Madras qui est rue des Dentelles. J’aime aussi L’Endroit à L’envers et le Thé des Muses. »

Un artiste du coin que tu aimes tout particulièrement ?
« Il y en a beaucoup ! J’adore le travail de Claire Barberot pour sa délicatesse et sa poésie. Mais aussi Mina Mond et Yun Jung Song. »

Les artistes qui t’inspirent ?
« Je suis fan de Basquiat et Romio Shrestha, qui est un peintre de thangkas tibétains. »

Son site web
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