Ils étaient plus de 6000 le 15 Mars, provoquant une véritable marée verte inattendue à Strasbourg dans le cadre d’une journée de mobilisation internationale. Les jeunes du mouvement Youth For Climate ou la Jeunesse Pour le Climat, un mouvement contre l’inaction climatique,ont tenté de pérenniser leur mobilisation à Strasbourg. Un défi autrement plus difficile. Ils étaient 500 vendredi 22 Mars, un peu plus d’une centaine vendredi 29 Mars… et plus qu’une cinquantaine en assemblée générale vendredi dernier. On a pu discuter avec quelques uns d’entre eux, qui sont loin d’imaginer un abandon de leur combat, bien au contraire.
Pas évident de faire bouger les foules, même sur un sujet aussi grave que le réchauffement climatique. D’autant plus que ces jeunes tombent souvent sur de nombreux reproches quand ils se mobilisent : « Vous faites grève juste pour sécher les cours, vous allez tous au Macdo et vous utilisez des smartphones, vous ne proposez pas de solutions, ça ne sert à rien… » ou encore des reproches de sectarisme des vieux briscards des luttes écolo. Face à des reproches souvent très caricaturaux, YouthForClimate (ou Jeunesse pour le Climat) Strasbourg cherche à se défaire de ces accusations d’hypocrisie. Difficile tâche pour des jeunes sincères qui, pour certains, n’avaient jamais manifesté avant le 15 Mars.
Des graines de politique poussant sans intervention extérieure ?
Le risque de récupération fait peur et le lien avec d’autres acteurs locaux de l’écologie est parfois timide ou verrouillé. Le mouvement veut rester jeune et purement jeune. “On nous prête du matériel, mais il ne faut pas que le mouvement soit repris par les acteurs locaux traditionnels des manifestations, on veut rester en dehors de tout ça” explique l’un des organisateurs. Du reste, “on est d’accord sur le fond, mais l’idée de Youth For Climate, c’est un cri international sur des enjeux planétaires. Il faut une réduction massive des gaz à effet de serre.” Certains craignent que leur message soit dissout dans le tas de revendications des acteurs locaux, comme les anti-gco ou les associations locales.
L’apprentissage de la politique de rue et un mouvement naissant
Ils ont tenté d’éviter le reproche de l’école buissonnière en proposant une « grève pour le climat » entre 12h30 et 14h30, soit pendant la pause déjeuner. Les smartphones dont ils “usent et abusent” servent à coordonner leurs actions, notamment via Instagram. Concernant les alternatives: ils clament haut et fort qu’ils ne sont pas là pour proposer des solutions « qui, par ailleurs, existent déjà ». Ils cherchent simplement à montrer leur colère face à “un avenir désastreux”. Un avenir qui leur semble volé par l’inaction du monde face à l’urgence climatique.
Après le « déni climatique », les « retardataires climatiques »
Victor, en CAP manifeste « pour que nos politiques réagissent. » Selon lui, « ils ne font que parler. Quand ils disent qu’ils vont faire des choses, ils ne le font pas ou alors ils les reportent pour bien plus tard. Les solutions existent et sont applicables dès aujourd’hui. On devrait avoir notre mot à dire. C’est notre futur. Ça nous concerne, nous. Pas eux. On devrait même pouvoir participer aux décisions. Là, on nous conduit à notre perte. »
« Personnellement, je réduis ma consommation de viande, après c’est difficile quand c’est tes parents qui font les courses. Ils me soutiennent, mais ils sont comme tout le monde, ils ne font rien pour changer. Ils n’ont pas conscience du bouleversement. Il faut agir maintenant. Même ceux qui veulent, « juste vivre en paix », je trouve que c’est égoïste de se dédouaner comme ça. »
Johanna: “Ils ne se rendent pas compte que c’est grave”
Pour Johanna, Naïma et Julie, collégiennes en 4e, même son de cloche: « tout le monde a le droit au même avenir. Si les adultes ne se bougent pas, c’est à nous de se bouger. On a l’impression qu’ils ne se rendent pas compte que c’est grave. A part parler, ils ne font rien. »
Selon elles, au collège, le réchauffement climatique « on n’en parle pas beaucoup. Sauf en cours de français, où on a lu un article écrit en 1986 ! A l’époque, les gens savaient déjà ! Faudrait qu’on se bouge un peu, c’est le moment ou jamais. » Parmi leurs camarades de classe, « beaucoup auraient aimé venir, presque tous sont d’accord avec nous, sauf ceux qui jettent leur déchets par terre, mais eux ce ne sont pas trop nos amis. »
Pour Jules: “notre manière de consommer fout la merde”
Jules, lui, est en terminale et il se pose beaucoup de questions, notamment sur le mouvement. « C’est pas mal déjà de se mobiliser. Même si je ne suis pas d’accord avec tout le monde ici, je marche avec eux dans un but commun. »
“Aujourd’hui, j’ai juste envie d’une vie plus en sobriété, plus de simplicité. Je me verrais bien avec un petit jardin, à me nourrir tout seul comme un grand… On le sait, notre manière de consommer fout la merde. Ce n’est plus un secret. “
“Je ne m’informais pas beaucoup avant de participer au mouvement. Depuis quelques semaines, je suis en train de regarder pour m’engager dans une asso. Pourquoi pas Alsace Nature par exemple. Au jour le jour aussi, je change mes habitudes pour le mieux. Avec un pote, on a un petit terrain, on a commencé jardiner, à planter quelques trucs. On fait comme on peut ! Après ma mère fait toujours les courses avec deux tonnes de plastique… Ça me fait chier, mais je mange quand même. “
Jules a aussi entendu parler de la “ZAD contre le GCO”, dont des jeunes membres étaient présents en nombre pour la manifestation du 29 Mars. « J’avais prévu de partir un peu dans la nature pendant les vacances… Je n’exclus pas la possibilité d’aller les voir. »
Une convergence avec les zadistes anti-gco vendredi dernier
Novices comme expérimentés des luttes politiques se partagent le terrain
A 22 ans, Simon, étudiant en conseil et développement en agriculture biologique, vient pour la troisième fois. « C’est une conviction profonde que j’ai depuis toujours. Je suis dans la lutte depuis plusieurs années. Dans ma vie de tous les jours j’essaie de faire en sorte d’avoir un impact sur l’environnement moins important. » Pour lui, les marches de ce genre « ce n’est pas suffisant. » Au-delà d’un changement dans les comportements individuels, il faut aussi des actions concrètes: « Je n’attends plus rien des gouvernements. Ils sont dans un autre monde. Des ramassages de déchets ou l’extinction des lumières des enseignes la nuit, ça ne paraît pas grand-chose, mais mis bout à bout, ça peut peser ! »
« Ce mouvement c’est une bonne chose. C’est révélateur. La jeunesse se bouge pour essayer de sauver son avenir face à une politique à côté de la plaque. Je remarque qu’il y a de plus en plus de jeunes lucides sur la situation et qui ont peur pour leur avenir. On agit dans l’urgence face à une menace sur notre vie et notre futur! Mais beaucoup sont encore dans l’illusion que le monde peut continuer dans cette opulence aberrante ad vitam aeternam. Dans 20 ans, malgré qu’on fasse tout ça, le monde sera définitivement changé. On va connaître un avant et un après. La question, c’est quel « après » veut-on? »
La manifestation: vecteur d’apprentissage démocratique ?
Yanael et Mila, 15 ans, sont lycéens, mais ils n’en sont pas à leur première manif’: “On a déjà une certaine culture politique, on s’était mobilisé contre la loi travail par exemple.” Ils voient le mouvement d’un bon œil et ne s’inquiètent pas de la baisse de fréquentation depuis le 15 Mars. “Ce n’est pas étonnant. Tout le monde ne peut pas se permettre de s’absenter des cours chaque vendredi. Et puis c’est sûr qu’une petite manifestation locale attirera moins de monde qu’une grève mondiale comme l’était le 15 Mars. Ce qui est positif c’est que ça apprend à certains lycéens ce que ça veut dire de réfléchir à ces questions là et ce que ça implique de se mobiliser. ”
Autre problème pour eux , l’impression d’un manque de radicalité: “C’est dommage. Le message écolo est là, mais sans réelle critique du système. Si on n’est que quelques uns à faire des efforts individuels… ça ne pèse rien par rapport aux grandes entreprises qui se permettent tout et n’importe quoi parce qu’elles ont de l’argent. C’est important l’individuel, mais il ne faut pas s’arrêter à ça. Il faut aller plus loin.”
Vendredi dernier, changement de stratégie: les jeunes ont préféré une action non violente devant une agence de la Société Générale le matin et une assemblée générale le midi au lieu d’une marche. La pérennisation du mouvement hebdomadaire continue, mais la Jeunesse pour le Climat à Strasbourg vise aussi de nouveau un rassemblement le 16 Avril prochain au Parlement… et surtout une “Wake-Up Week” ou Semaine du Réveil écologique du 29 Avril au 4 Mai. D’autres mobilisations écologiques ont déjà été annoncées le 19 Avril et le 24 Mai (“6e Marche pour le Climat”).
Quoi qu’il en soit, à l’échelle locale comme internationale, Youth For Climate semble toujours déterminé à s’enraciner définitivement dans le paysage des mobilisations sociales. Un jeune mouvement en plein bourgeonnement pour ce début de printemps…
Quelques photos du 22 Mars