Je ne sais pas pourquoi, mais je déteste aller chez le coiffeur.
Peut-être que le fait d’être déjà bien dégarni à 35 ans y est pour quelque chose. Un complexe d’infériorité face à tous ces présentateurs de JT chevelus, qui passent une main dans leurs crinières touffues comme un cavalier caresse son cheval. L’équitation, j’ai testé en CM2. Le poney s’en souvient encore.
Je suis au bord de la crise d’hystérie quand j’observe, du coin de l’oeil, ces clients à la tignasse interminable, feuilletant le catalogue des coupes qu’ils pourraient se faire.
Laisser pousser. Couper. Faire un dégradé. Eux, ont le choix. L’expression « changer de tête » a un réel sens pour ces privilégiés. Ma seule option est de me raser le melon pour ne pas ressembler à un prêtre pédophile ou à une piste atterrissage pour libellules.
Je suis pudique et donc se faire masser la tête par une parfaite inconnue que je fréquente depuis deux minutes, relève d’une atteinte à la pudeur. C’est comme si, lors d’un rendez-vous Tinder, l’un des deux participants se levait pour faire une permanente à l’autre, en lui posant des questions intimes sur son stérilet ou sa circoncision.
Je tire d’ailleurs mon chapeau aux coiffeurs et coiffeuses du monde entier, qui, chaque jour avec courage, palpent les cheveux de millions d’inconnus dont l’hygiène est plus que douteuse. Contre le SMIC, ils se fracassent le dos, debout, toute la journée, comme un danseur-étoile, les pieds en sang à force de répéter inlassablement le même mouvement et leurs mains sont rongées par des produits chimiques que même Monsanto n’oserait pas commercialiser.
Ça, c’est pour les compliments gratuits avant de charger mon fusil à pompe de cynisme.
Ma coiffeuse est un cliché à elle toute seule et c’est pour ça que je l’aime bien. Elle assume son look. Elle assume sa façon d’être. J’ai énormément de respect pour toutes les personnes qui sortent de la norme et qui ne sont pas influencées par les tendances et la mode.
Moi, je transpire la banalité et le conformisme, alors lorsque je me présente au boulot avec un nouveau pull coloré ou une nouvelle paire de lunettes, je ruisselle de gêne, alors imaginez le courage qu’il faut pour outrepasser les jugements et les critiques en étant blonde décolorée avec des mèches roses, des ongles assortis, un pantalon tellement moulant que je me demande comment elle fait pour ne pas exploser lorsqu’elle prend sa respiration, un petit piercing dans le nez et du rouge à lèvres noir. A mon avis, son mec est soit thanatopracteur, soit maquilleur en effets spéciaux, mais il l’aime, c’est une certitude.
C’est lorsque je sens mon bourreau me déplacer vers le bac à shampoing que mon cœur s’agite. Je ne suis plus qu’un taulard de 130 kilos dans le couloir de la mort, en combinaison orange, un matricule sur le torse, à attendre que Tom Hanks actionne le bouton de la chaise électrique. Embrassez Mister Jingles pour moi, Chef.
La tête en arrière, la nuque aussi raide qu’un Twix, j’ai droit, bien entendu, à la fameuse question que toute spécialiste du ciseaux qui se respecte, vous pose: « Ça va ? L’eau n’est pas trop chaude ? »
Deux solutions:
1. Honnêteté: Ça me brûle tellement que j’ai envie de vomir.
2. Solidarité: Non c’est parfait. Merci.
Il est vrai que je suis du genre à accepter pas mal de choses. Si l’on me ramène une choucroute à la place d’une pizza quatre saisons, je la mange sans faire le moindre scandale. Si l’addition est fausse, je trouve toujours une excuse au serveur. Si ma femme couche avec mon frère, je me dis qu’après tout, la famille c’est la famille. Nous aurons le destin que nous aurons mérité, comme disait Albert Einstein.
Mes doigts se crispent sur l’accoudoir du siège en cuir. Un scénario machiavélique s’empare de mon esprit. Je me lève (Et je te bouscule.T u ne te réveilles pas.Comme d’habitude), je la gaze à coup de laque Jean-Louis David et je l’étouffe avec une dizaine de bigoudis.
« On va se diriger en bas s’il vous plaît ». Elle me sort de ce rêve avant que je ne puisse agir. Je suis foutu. Piégé sur mon fauteuil, elle m’enfile une camisole pour que je ne puisse plus bouger.
Je vois son reflet dans le miroir. Elle prépare ses outils de torture. Ciseaux. Tondeuse. Rasoir.
Arrive la seconde phrase apprise en CAP coiffure: « Alors, on les coupe comment aujourd’hui? ». A côté de moi,l’espèce de Kurt Cobain à la queue-de-cheval hautaine, émet un petit rire nerveux.
Je suis toujours tenté de lui répondre par la bonne vieille blague de mon grand-père:
« Bin, avec des ciseaux. Je pense que c’est pas mal. Avec une tronçonneuse ça risque d’être tendu » mais imaginez qu’elle le prenne mal et que je perde un bout d’oreille par « accident ». Le lobe encore chaud rampant au sol, les yeux embués: » Venez me chercher. C’est pas ma guerre ». On peut encore entendre le bruit de l’hélicoptère qui quitte les rizières inondées sous les balles.
Puis s’ensuit la partie que je qualifie de « sociale ». Je suis en RTT mais j’enfile tout de même mon costume d’écoutant bénévole à SOS Amitié. Je suis prêt à parler de la pluie, du beau temps, de mes hémorroïdes, des gosses même si je n’en ai pas. L’essentiel étant qu’elle me fasse cette boule à zéro au plus vite. Chef, oui chef. Sergent Baleine au rapport.
Et là, surprise. La coiffeuse lance un thème de discussion encore jamais entendu dans le milieu capillaire. Le monde du chignon et du Babyliss est en ébullition.
« De plus en plus de clients ont des plaques sur le cuir chevelu. Moi je pense que ça vient de la pollution et du stress. Vous en pensez quoi? ».
Je suis dépité. Les yeux globuleux d’un Saint-Bernard, je ne me laisse pas démonter.
« Oh, moi je pense que ça vient surtout des antibiotiques qu’on donne aux animaux et qu’on retrouve dans les aliments, et puis aussi de Tchernobyl et du glyphosate. Vous saviez que le saumon bio est plus toxique que le non bio ?». Merci Capital, Envoyé spécial, E=M6 et Zone interdite.
Elle reste dubitative. Je suis tranquille pendant quelques secondes.
« Mais je me demande quand même si tous ces hommes chauves ne font pas de burn-out parce que je remarque qu’il y’en a beaucoup plus qu’avant. C’est le monde moderne, ça devient du grand n’importe quoi. On supprime l’ISF pour baisser les APL des étudiants et les pensions de retraite. On marche sur la tête».
Solution 1 : Je lui tranche la jugulaire avec le rasoir.
Solution 2 : J’asperge son sèche-cheveux d’eau pour qu’elle couine comme Claude François.
Solution 3 : Je suis bien élevé, « Oh vous savez, les politiciens sont tous les mêmes. Y’en a pas un pour rattraper l’autre ».
Après dix minutes de cisaille, je commence à m’impatienter. J’ai le mal de mer à force de sentir son décolleté imprégné de Chanel. Et puis c’est la libération. Un coup de brosse pour épousseter ma nuque qui ressemblait aux aisselles d’un yéti. Un paquet de cheveux poivre et sel au sol.
Je prends les devants:
« Non, pas de gel. Pas de laque. Pas d’après-shampoing à l’huile d’argan. Pas de carte de fidélité. Pas de bras, pas de chocolat. »
La porte se referme déjà, que dans le fond de la salle des tortures, j’entends ma coiffeuse qui demande à un autre client:
« Ça va ? L’eau n’est pas trop chaude ? ».
Elle m’adresse un sourire sincère à travers la vitrine.
Elle termine à 20 heures. 20h30, le temps de faire la caisse. 21 heures, le temps de récupérer sa fille chez sa mère et de rentrer. 22 heures le temps de manger, de regarder la fin de Dirty dancing. 23 heures, le moment de se coucher parce que demain elle commence tôt comme sa collègue est malade.
On ne choisit pas ses cheveux mais on choisit sa coiffeuse. Les miens tombent à la pelle comme les feuilles orangées d’un soir d’automne mais elle en prend soin, afin de composer l’herbier précieux de son quotidien.
Je m’en veux de ne pas avoir glissé de pièces dans sa tirelire-cochon en guise de pourboire.
Mr Zag
Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.