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Pierre le Crieur, le strasbourgeois qui remet du rire dans nos marchés

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« Oyez, Oyez ! Braves gens ! Mesdemoiselles, mesdames et messieurs rejoignez-nous ! » Voilà comment aurait pu commencer le discours de Pierre le Crieur sur la place de Zurich en cette fin de matinée d’un mercredi de décembre. Pierre est Crieur professionnel depuis 1 an. C’est-à-dire qu’il gueule des trucs dans des endroits où y’a des gens. Ça fait de l’animation et il en tire trois francs six sous. Rencontre avec un personnage qui n’a pas vraiment sa langue dans sa poche.

Au contraire d’ailleurs, Pierre la prête volontiers sa langue, et ses cordes vocales avec, aux passants des marchés, des places et des festivités de Strasbourg. Ce fringuant grand gaillard de 39 ans a commencé son parcours par l’éducation spécialisée avant de se lancer dans le théâtre il y a 16 ans. Depuis, il déambule de projet en projet avant d’atterrir sur nos marchés. Depuis le 31 janvier dernier, il concrétise cette pratique à laquelle il s’était essayé lors du festival PayeTonNoël de Pelpass en 2016 : la criée publique.

Pierre, comédien, intermittent du spectacle, éduq’ spé’ et Crieur sur la place publique

S’il continue ses spectacles de déambulation de « la brigade d’intervention en territoire extérieur » avec son comparse Thomas Valentin et fait quelques prestations à cachet par-ci par-là, notamment des conférences gesticulées (« le travail social c’est (pas ?) d’la merde »),  la criée publique sur les marchés fait partie des choses qu’il préfère faire : « Je me suis dit « C’est là que ça se passe. » C’est là qu’il y a du lien social, que les gens bougent, parlent, se rencontrent… et historiquement là où il y avait les crieurs ! »

Il est un peu plus de 11h place de Zurich, le petit marché s’active malgré la pluie. Un drôle de bonhomme avec un long manteau rappelant les uniformes d’antan commence à s’installer au centre de la place au milieu des stands. Une « urne de criée publique » sous la forme d’une petite mallette s’est fixée sur un trépied. Pierre commence sa recherche de petits mots, doux et moins doux. L’exercice n’est pas des plus faciles sous la pluie, mais le sourire est là. Les badauds de passages, mamies abritées par un petit parapluie, et autres étudiants cherchant un abri sont surpris par la bonhommie de Pierre qui les interpelle. On n’a plus l’habitude de se faire arrêter dans l’espace public, ça se sent.

La plupart des personnes alpaguées se prêtent au jeu, parfois après une légère insistance. Pierre évite pourtant d’être intrusif. Il ne faut pas déranger les gens. Ceux qui acceptent de sortir de leur train-train malgré la pluie sont ravis. Les blagues plus ou moins fines s’enchaînent, en fonction de l’inspiration du moment. La répartie est là, on titille, on provoque doucement. Les malaises sont rapidement désamorcés. L’improvisation du crieur sous la pluie opère comme une danse avec le public qui n’a pas choisi d’être participant. Et la criée n’a même pas encore commencé.

Difficile exercice que de captiver et garder l’attention d’un public qui ne pensait pas en être un

Ce n’est que la première étape, la plus difficile peut-être, l’échauffement en somme. Si attraper l’attention des gens est une tâche que Pierre réalise avec talent… les pousser à s’engager et écrire un mot sous la pluie, voire de les faire rester ou revenir pour la criée prévue à 12h, c’est une autre affaire. Pourtant, en une courte heure de balade le long de la place, Pierre récupère tout de même quelques témoignages : une enfant accompagné aidée par son père, un couple amoureux de passage, des étudiants en sortie de partiel, quelques retraités et autres habitués du marché qui le soutiennent.

C’est la dernière criée de l’année. Avec la pluie, peu de gens resteront pour la criée, mis à part quelques habitués. Pierre est un peu déçu, mais il le cache bien. Les rires sont parfois un peu jaunes, mais restent le plus souvent vifs et francs. Le contact se fait essentiellement avec les commerçants et les habitués du marché, avec qui le lien est plus facile, preuve d’un véritable ancrage du crieur sur le marché.

La criée commence

« DANIELLE (nldr : une habituée) ! VIENS PAR ICI ! On t’attend pour commencer ! » lance Pierre à travers la place. Quelques instants plus tard, seul au milieu de la place sous la pluie, debout sur son tabouret avec sa valise en guise en pupitre, il s’exclame d’un ton ironiquement héroïque : « Aaaah voilà ! Le crieur face à son destin ! » Pierre fait face à une petite dizaine de personnes s’abritant sous les bâches protectrices des stands. Il salue les commerçants et les habitués. « Bonjour Mr.Valentin ! Cléo, Zoé, Marine, le monsieur au chapeau, comment allez-vous ? »

En bon crieur public, Pierre profite d’une distribution de flyers improvisée d’une des habituées pour faire la promotion d’un évènement de Graine de Cirque. Ensuite vient la lecture des messages. On commence par une belle poésie écrite par une des travailleuses du marché, avant d’enchainer sur un message de Mr. Vladimir Poutine à Emmanuel Macron : « « Cher Monsieur Macron, je serais intéressé par le recrutement de vos CRS pour une petite intervention à la GayPride de Moscou… » – Alors Julie tu en penses quoi ? Tu n’as pas écouté !? Bah bravo ! »

Pierre enchaine avec quelques mots mignons écrit par des enfants et des blagues douteuses : « Alors, c’est une petite fille qui va voir sa maman parce qu’elle a mouillé sa culotte. La maman lui dit : « punaise c’est une catastrophe ! » et la petite fille répond « non, c’est une pipistrophe ».  C’est nul. Mais c’est mignon. On pardonne. On pardonne moins la reprise de la marseillaise qui suit : « Allons enfants… du paaaaastiiiissseeeeuh ! Le jour de boire eeeeest arrivé ! » En plein hiver, ce n’est vraiment pas de saison. Parfois, la criée est instructive par contre… Quelle est la femelle du Hamster ? Et bien oui, c’est l’Hamster-dame, sachez-le…

Quelques blagues et un faire-part crié plus tard …

Une ode « à la Yak Bar », une « bonne bière du coin » sert d’excuse pour parler subtilement des attentats sans avoir d’ennui. Toujours avec une sympathique irrévérence calculée, Pierre explique qu’il a déjà eu un « Allah Akbar » en message à la criée, mais qu’au vu des récents événements, il n’est pas sûr de pouvoir le récrier d’aussitôt… Peut-être à son retour après sa pause hivernal.

La dernière criée de l’année fut la première sous la pluie, mais se termine avec un message d’espoir : un texte en hommage aux arbres, et pas uniquement ceux de Noël : « Je vous souhaite un arbre pour chaque jour de votre vie ! » Le tout accompagné de quelques piques contre le GCO : « Plantez là où ça a été coupé ! Comme par exemple à Kolbsheim… »

Quelques jours plus tard, autour d’un café, Pierre nous explique qu’il a déjà fréquenté le milieu anti GCO, lors d’une récente manifestation/spectacle organisée par une connaissance de sa compagne. D’ailleurs des membres du collectif GCO Non Merci passent régulièrement sur les marchés, notamment celui de la Krutenau. « J’ai aussi envie de défendre des choses qui me tiennent à cœur. De toute façon, quand je fais une criée je ne suis pas objectif et je l’assume. Si quelqu’un m’écrit « Je t’aime Marine LePen, je vais plutôt le tourner en dérision. Les gens savent que je suis plutôt de gauche et anti-libéralisme etc. J’ai mes principes et je les affiche haut et fort. »

De toute façon avec les commerçants, le contrat tacite a toujours été « si je vous emmerde, j’arrête. »

Pierre a fait plusieurs dizaines de criées sur ce marché de la Krutenau et discute avec le placeur. Pas de problème. « Il n’y a pas non plus une jauge de spectateur immense, une bonne vingtaine au maximum. Et encore, ça va, ça vient. Et ça ne dure qu’une vingtaine de minutes. »

A chaque fois, c’est un peu de l’improvisation en fonction de l’envie des commerçants. « Depuis Septembre, je suis presque toujours au milieu du marché de la Krutenau, mais ça reste encore du bricolage et de la négociation. Au Neudorf, j’ai commencé sur la terrasse d’un café avant de progressivement rentrer dans le marché. Le mec qui m’a envoyé bouler lors de la première criée, il m’a filé des légumes pour la dernière, c’est cool ! » Ça ne leur enlève pas de clientèle. « Certains avaient peur que mon placement tende à ce que les passants préfèrent me donner la pièce que de consommer chez eux. Pourtant, la criée ramène aussi des gens qui n’iraient pas habituellement s’attarder sur le marché et qui consomment ensuite ! »

« Je lis les messages de Macron au peuple »

Pierre alterne entre la criée publique traditionnelle, où il propose aux gens d’écrire des messages qu’il va lire, chanter, murmurer, hurler… et sa « criée de la République ». Lors de cette dernière, et comme il « bouffe à tous les râteliers »…, il propose à notre cher président, Mr.Macron de lire ses messages au peuple. « Macron, il m’appelle tous les 15 jours et me donne son point de vue sur l’actualité par téléphone. Moi je ne fais que bêtement retranscrire ses dires… me permettant ensuite de transmettre la sainte divine parole au bas peuple des marchés. »

« Il m’écrit des longs textes, mais je sais qu’il est absolument contre les manifestations, notamment les anti-GCO qui sévissent à Strasbourg. Il évite d’en parler, mais il en parle quand même, parce que bon ça l’énerve que des gens se mobilisent contre ça. Faut arrêter quoi. Il faut regarder BFMTV ! Et puis TF1. Il faut mettre ses enfants le plus tôt possible devant la TV. Et ne pas venir sur les marchés. Son grand mot c’est : Allez consommer chez Carrefour ! »

Trouver sa place, c’est le plus compliqué.

« Quand je tiens ce discours, on me regarde un peu bizarrement au début. Ça prend du temps d’éduquer les gens au deuxième degré… Au Neudorf comme à la Krutenau, il y’a eu tout un apprivoisement à faire. Une fois que tu es identifié et que les gens te connaissent … ça roule et c’est bienveillant. »

En plus de sa saison sur les marchés de la Krutenau et du Neudorf, Pierre accompagne l’association Arachnima sur leur animation du « Noël Secret » place du marché Gayot avec des criées de Noël. « Beaucoup d’enfants qui me font leur liste au père Noël… Je leur dis toujours qu’ils peuvent écrire à leur maîtresse qu’ils ne sont pas content parce qu’ils ont trop de devoirs, ou aux parents parce qu’ils veulent regarder la télé… mais ils n’osent pas trop ! Il y’en a un qui m’a raconté le rêve qu’il avait fait la veille, c’était complètement fou, loufoque et très beau. »

Ce n’est pas un spectacle auquel on assiste, il faut y participer !

Un des objectifs visés par Pierre était de provoquer le débat public : « Je me disais qu’écrire ces messages et les entendre dans un espace public physique avec d’autres gens en vrai, ça pouvait donner lieu à du débat, un échange d’idée, contrairement à Facebook et les médias de masse par exemple. Pour l’instant ce n’est pas si vrai. Le débat a du mal à naître, à émerger. J’aimerais que les gens réagissent plus aux criées, s’indigent etc. Ça marche bien avec les enfants. Les gamins qui réagissent spontanément et naturellement, ça permet aussi aux adultes de rentrer dans le bain. Alors, c’est sûr que ce n’est pas si facile d’alpaguer le cireur, du haut de son estrade, avec son bagout… sa impressionne un peu ! C’est pour ça que je descends souvent dans la foule. »

« Au début des criées souvent, je demande à chacun son prénom, je fais se rencontrer les gens, parfois ils se serrent la main… J’organise parfois des « partouzes platoniques » où chacun touche une partie (non dérangeante/intime bien sûr) du corps de l’autre et à 1,2…3 on se jette dans les bras des autres, on se dit « Je t’aime » ou ce qu’on veut. Et puis à la fin de la criée, après des échanges de regards, de rires, de sourires, parfois les gens discutent un peu ! » Le lien social, c’est la première des victoires pour ce soldat de l’amour, partisan de « l’armée de libération de la parole » à la veste militaire frappé de symbole anarchiste et au slogan hippie « (re)faisons l’amour ».

Pour que les gens reprennent un peu la parole et pour qu’on s’aime un peu bordel !

« Les gens se parlent moins, ou pas assez ! Crieur ou pas, dans la rue je dis bonjour aux gens, j’essaye de discuter un peu avec des gens que je ne connais pas forcément. En général, les gens ont envie de discuter, de se regarder, de communiquer un peu ! Aujourd’hui on communique de plus en plus, mais est-ce qu’on s’entend encore ? »

Pour Pierre, le Crieur, n’est pas un personnage théâtral, d’ailleurs, si son métier de comédien l’aide dans la pratique de crieur, ce n’est pas la même chose que de jouer un personnage sur les planches. Pierre Le Crieur, c’est Pierre, mais en plus affirmé, plus sûr de lui, plus provocant, mais aussi plus gentil. C’est un peu un Pierre ++.

« Dans le bouquin de Fred Vargas, « Pars vite et reviens tard », il y a un crieur public. C’est ça qui a donné envie à Gerald Rigaud, celui qui m’a inspiré à devenir crieur à mon tour, de relancer la pratique. Depuis, ça se sème un peu partout en France et ailleurs, mais ça reste assez peu connu. Dans l’imaginaire, on pense au vendeur de poisson dans Astérix ou encore le vendeur de journal. En général c’est un personnage assez sympathique avenant et plein de bonhommie. Au départ, le crieur était royal. Il apportait la parole du roi dans les bourgs alentours. Après, c’est devenu le crieur du village, annonçant différents événements et festivités, comme le jour du passage du boucher. Il a ensuite cohabité avec les médias, la radio, la presse écrite, et même la télévision sur la fin… A Haguenau, il y avait un crieur jusqu’à dans les années 70-80 ! »

Pierre hiberne jusqu’en Mars, fort de son expérience d’un an sur les marchés

« Je fais une pause jusqu’en Mars. A partir de là je reprends sur deux nouveaux marchés : à priori au Neuhof les jeudi midis en probable partenariat avec l’Espace Django. Comme pour cette année, des boites aux lettres pour le crieur sont mises en place un peu partout (Bibine & Pinard, la Médiathèque Neudorf, le Local, Marché Bar, le Chariot, la Bibliothèque Page 50…) ; mais aussi au Musée d’Art Moderne. Ce n’est pas toujours évident de les rendre visibles alors dès fois je fais des tournées dans les bars. » Au chaud chez lui, il réfléchit sur la suite de son activité. « Je ne sais pas encore quelle forme va prendre le Crieur pour sa rentrée : criée macronienne, fausse criée préparée, criée classique… ou encore un mélange, qui sait ? Ça reste à définir… » Pourtant, Pierre n’exclu pas de réapparaître dans divers lieux et événements strasbourgeois d’ici là. Rassurez-vous avec sa voix et son costume, il est facilement repérable…

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