Depuis l’hiver 2016, le Père Thomas héberge des mineurs non-accompagnés dans sa chapelle. Aujourd’hui, ils ne sont pas loin d’une trentaine à avoir trouvé refuge au centre Bernanos que cet aumônier dirige, après que l’hébergement public leur ait été refusé par l’aide sociale à l’enfance qui doute de leur minorité. À l’heure où la nationalité française s’obtient en escaladant un immeuble sous l’oeil de plusieurs smartphones, société du spectacle et culture du buzz obligent, ce prêtre multiplie les initiatives discrètes pour sauver le maximum de jeunes réfugiés abandonnés ; reportage auprès d’un saint homme qu’il convient d’aider.
Ils viennent d’Afrique de l’ouest, du Bangladesh ou d’Afghanistan. Ils ont 15, 16 ou 17 ans. En tout, ce sont vingt-huit jeunes qui logent dans la chapelle du centre Bernanos, sur de petits matelas posés à même le sol… “Et vingt-huit garçons qui se partagent une petite chapelle, ça fait beaucoup.” S’ils sont là, c’est parce que le Conseil général du Bas-Rhin a réfuté leur minorité et donc leur droit à la prise en charge, les condamnant à errer sans toit ni sous, le temps que leur appel soit traité au tribunal pour enfants de Colmar où les dénouements heureux sont rares. S’ils ne sont pas à la rue, c’est parce que Thomas Wender leur a ouvert la porte, et qu’il continue à pousser les murs.
Depuis un an et demi, cet ancien physicien de laboratoire devenu prêtre sur le tard a en effet une nouvelle fonction. À celles de responsable diocésain de la pastorale des jeunes et de directeur du centre Bernanos, à la fois aumônerie universitaire catholique et foyer d’étudiants croyants, s’est ajoutée celle de figure parentale auprès de vingt-huit enfants. Un rôle qu’un homme d’église ne s’attend certainement pas à jouer, encore moins pour des réfugiés traumatisés par les violences qu’ils ont fui sur la non moins dangereuse route des migrants. Un rôle qu’il a appris à assumer sur le tas, grâce à l’assistance de plusieurs associations qui ont co-construit une chaîne de solidarité autour de ces jeunes.
- “L’idée de le savoir dehors, en souffrance, m’était insupportable.”
Le père Thomas a commencé à héberger des mineurs non-accompagnés il y a bientôt deux ans. À la fin de l’année 2016, un jeune migrant se présente spontanément au Centre à la recherche d’un endroit où dormir au chaud. Face à lui le père Thomas, qui prêche une solidarité transcommunautaire dans ce lieu d’échange sur la chrétienté, n’hésite pas une seconde : “L’idée de le savoir dehors, en souffrance, m’était insupportable.” Rien d’étonnant quand on sait que depuis plusieurs années déjà, le prêtre mobilise une centaine de jeunes volontaires pour distribuer des repas aux étudiants précaires et aux sans-abris… Au centre, il accueille également à l’occasion les petits-déjeuners solidaires de l’association Caritas, le Secours catholique alsacien. Mise au fait de la situation, l’organisation aidera le prêtre dans sa démarche, de même qu’elle le sollicitera pour loger les migrants mineurs trouvés sur le terrain de ses actions.
“Il n’y a aucune alternative à proximité, donc je reçois beaucoup de demandes. Parfois, je suis obligé de refuser un jeune parce que je n’ai pas de lit pour lui.”
Homme de science et de foi, le père Thomas n’est pas expert en droit ; les circonstances l’exigeant, il se forme sur le tas, grâce à la chaîne de solidarité qui s’est constituée autour de sa situation. Parmi les organisations mobilisées, on trouve la Thémis, une association d’accès au droit pour les jeunes que l’État français finance notamment pour assister les enfants qu’il rejette, possiblement par souci d’économie. Vous avez dit contradictoire ? Et puis au-delà de la réalité administrative, il y a la réalité psychologique : “On parle de jeunes qui ont pris la route en sachant qu’ils risquaient d’en mourir, dans l’espoir d’une vie non pas plus facile mais moins miséreuse !” Pour entrer en France, la majorité passe par la Libye où les migrants africains sont emprisonnés, vendus comme esclaves et torturés dans l’indifférence générale de la communauté internationale. Alors forcément, quand les jeunes arrivent au centre Bernanos, ils sont en sale état. “Bien fragiles, très vulnérables.”
“Ils sont choqués. Ici pour eux c’est la double peine : c’est tout autant la misère mais en plus, ils doivent y faire face seuls.”
Accompagnés par le CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) de Strasbourg, la majorité des vingt-huit garçons recueillis par le père Thomas sont traumatisés. Parmi eux, un petit nombre a été mis sous anxiolytiques pour “apaiser” les souvenirs de violences physiques et sexuelles subies sur la route : “S’il n’y a que des garçons ici, c’est parce que la route est considérée trop dangereuse pour les filles qui risquent le viol. Malheureusement cela arrive aussi aux garçons.” Sans surprise, certains craquent. Le mois dernier, un jeune guinéen qui portait ses quinze ans sur le visage, mais dont le Département a néanmoins réfuté la minorité, le privant ainsi de l’aide sociale à l’enfance qu’il finance, a filé pour Paris. Parti sans préavis, il n’a pas donné signe de vie depuis… “Dans ces cas-là, ils coupent tout et ils refont leur histoire pour ne pas être associés à leur dossier, qui témoigne d’un refus. Parce qu’ils viennent de pays corrompus, où les “vrais faux” s’achètent, leurs papiers sont mis en doute, ce qui les conduit à mentir pour avoir une chance. Ils ne peuvent pas gagner.”
“Ils apprennent que leur minorité est mise en doute dans une lettre copiée-collée, souvent sans motif invoqué, parfois pour des raisons insensées comme un récit qui manquerait, toujours au conditionnel, de repères spatio-temporels… Rien d’étonnant pour un enfant traumatisé, non ?”
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“Et quand bien même ces enfants n’en seraient plus : à dix-huit ans et des poussières, sans logement, sans argent et sans diplôme qualifiant, s’en sort-on beaucoup mieux qu’à dix-sept ans et demi ?”
- Un équilibre fragile qui repose sur une chaîne solidaire
Toute l’année, deux-cent étudiants qu’ils soient catholiques ou non se mobilisent autour de ces jeunes migrants, de la préparation de repas à l’organisation de sorties. L’été, ça va : le temps permet aux garçons, qui sont libres d’aller et venir hors du centre pour se balader, de s’aérer un peu. L’hiver par contre, c’est plus compliqué : “On parle d’une trentaine de garçons enfermés ensemble dans un espace réduit. Forcément, la promiscuité entraîne des tensions…” Les débordements restent rares. En situation d’abandon dans leurs pays, les garçons sont très reconnaissants de l’aide qui leur est apportée et prennent beaucoup sur eux au quotidien.
Et puis, la situation s’améliore un peu au centre Bernanos. Caritas a récemment construit une douche réservée aux garçons au sous-sol du bâtiment. Avant, les vingt-huit jeunes devaient composer avec les deux douches du foyer catholique, à l’étage, qui rassemble déjà onze étudiants. La Banque alimentaire du Bas-Rhin s’est aussi jointe à l’affaire, et une fois par mois, le père Thomas y ravitaille le centre gratuitement, compensant un peu les courses qu’il fait à ses frais en Allemagne. Pour autant, la trésorerie du centre reste au ras des pâquerettes, et la chaîne de solidarité qui s’est mise en place ne permet pas tout : “On se maintient grâce aux dons financiers de particuliers, qui permettent d’acheter ce qu’on ne donne pas comme les gants de boxe ou les crampons pour les sportifs… Avant on louait les pièces qui sont en bas, mais maintenant ce sont des dortoirs de fortune.”
- Ce que veulent les jeunes : étudier et travailler.
Les bonnes âmes se mobilisent autour d’eux, mais ces jeunes, que veulent-ils ? Par-dessus tout, étudier puis travailler, pour sauver leurs familles ou se sauver eux-mêmes : “Ils n’ont pas du tout compris le blocus du campus il y a quelques mois ! [rires]” Pour eux, il est tout bonnement inconcevable de sacrifier volontairement son éducation. Peut-être parce que de là où ils viennent, l’école ne faisait pas partie des priorités du quotidien et qu’ici, elle ne leur est pas beaucoup plus accessible… “Les chefs d’établissement ignorent souvent qu’ils peuvent les prendre. C’est légal, comme leur présence en France pour toute la durée de leur démarche.” À la rentrée, sept des vingt-huit jeunes actuellement au centre seront scolarisés dans le public, et une dizaine d’autres dans le privé catholique ; les autres sont analphabètes. “Pour eux, c’est plus compliqué. Des volontaires leur donnent des cours ici et bientôt au collège d’Esplanade, mais on ne sait pas trop ce qu’on va faire ensuite.”
En attendant pour tromper l’ennui, se défouler et s’intégrer, les jeunes sont inscrits en club de sport : “On espère que ça pèsera dans le dossier de demande d’asile…” C’est en effet la dernière piste creusée par le Père Thomas pour sauver ces jeunes, demander l’asile, une démarche que l’on croit à tort réservée aux adultes alors qu’elle peut s’appliquer aux mineurs isolés dont la situation nécessite une protection internationale : “On n’y pense pas pour les enfants mais la procédure est possible, et on va la lancer prochainement avec plusieurs avocats…” De façon générale, l’idée, c’est de faire durer les procédures pour que les jeunes ne soient pas contraints de quitter le territoire ; une situation incertaine, qui fait souffrir les garçons recueillis au centre Bernanos : “Ils souffrent de cet état entre-deux et même si on leur dit de ne pas s’en préoccuper ça les angoisse beaucoup. On leur répète qu’on s’en occupe, on leur dit : on ne va pas vous abandonner.”
- Des moyens modestes pour une situation durable
Si le Père Thomas sort du silence et s’adresse aux médias dernièrement, c’est parce que le centre a besoin de fonds pour assister les jeunes de plus en plus nombreux qu’il accueille : “Aujourd’hui, je comprends que la situation va durer. Je ne veux pas me substituer à l’État ou pire qu’il se repose sur moi. Mais le besoin des enfants est bien là.” Par chance, il existe plusieurs moyens de soutenir l’initiative du prêtre. D’abord, l’hébergement. L’été, le centre est moins fréquenté par les volontaires, qui ont bien mérité leurs vacances. C’est pourquoi le père Thomas recherche des personnes prêtes à accueillir des jeunes, pour leur permettre de ne pas rester enfermés au centre, et plutôt de respirer un peu de leur quotidien pesant : “On ne demande pas à ce qu’ils partent en vadrouille à l’autre bout du monde, mais simplement à ce qu’ils puissent voir autre chose et s’aérer un peu…” Bon à savoir : les jeunes n’ayant pas été reconnus comme mineurs par l’État, l’hébergeur n’est en rien un tuteur légal. Ils sont par ailleurs assurés et l’hébergement est encadré par un montage qui protège l’aidant. De la même façon le prêtre aimerait que les jeunes scolarisés à la rentrée ait leur propre chambre pour étudier : “Je sais très bien ce que je demande ; ça ne peut être qu’un mois ou deux.”
Les bourses plus modestes peuvent aussi participer très simplement. Soit en ramenant des denrées alimentaires, préférentiellement du riz, de la sauce tomate, des sardines, de l’huile et des oignons (les garçons se font à manger seuls et ne sont pas très curieux de leur propre aveu) ; soit en faisant don de vêtements pour adolescents âgés de plus ou moins 16 ans, assez grands et peu épais, mais aussi d’objets pouvant convenir à leurs loisirs, leurs besoins et leurs préoccupations ; soit bien sûr en confiant une somme d’argent au centre (ces dons financiers sont déductibles d’impôts).
Parce que les sans abris, et ces enfants en sont, meurent aussi l’été, n’hésitez pas à faire preuve de solidarité.
Centre Bernanos
30 rue du Maréchal Juin, 67000 Strasbourg (Esplanade)
Ouvert tous les jours
Contacter le père Thomas : [email protected]