*raclement de gorge*
Nous vivons dans des espaces multiples qui s’entrecroisent, des structures spatiales et sociales dont les codes guident nos comportements et nos interactions. Espaces de travail, espaces privés, lieux familiers ou totalement étrangers, l’environnement où nous évoluons conditionne notre attitude, et ce ne sont pas les géographes ni les urbanistes qui diront le contraire.
Alors oui, vous m’objecterez que vous n’en avez strictement rien à faire, que vous n’avez pas cliqué sur cet article pour lire les envolées lyriques discutables d’un homme incapable de placer Amiens sur une carte de France.
Et vous n’avez peut-être pas tout à fait tort.
Cependant, pardonnez mes jacasseries de joyeux Juvénal à la joie juvénile, car nul sujet ne me passionne plus en ce moment que celui dont je vais maintenant vous parler.
Encore heureux, soupire le lecteur impatient, auquel je signale que je l’ai parfaitement entendu, et que s’il est si pressé, il n’a qu’à passer fissa au paragraphe suivant, ah mais.
Le Collectif X, kékécé ? (Vous ne vous améliorez pas en expression orale, dites.)
Le Collectif X. Cela vous évoque peut-être des images inavouables (scènes grivoises, danses scandaleuses, films avec Charles Xavier, etc.) Que nenni sacripants, le Collectif X est parfaitement honorable, puisqu’il s’agit d’un ensemble d’artistes, d’auteurs, de comédiens et autres enseignants-chercheurs associés dans une communauté dont le but est d’apporter l’Anneau en Mordor le pouvoir du théâtre partout sur leur chemin.
Né en 2013 d’un rassemblement de neuf compagnons guidés par Gandalf issus de la promotion X de l’École Supérieure de Théâtre de la Comédie de Saint-Étienne, le collectif a pris cette lettre fort sympathique en guise d’emblème. Gageons qu’ils sont tout de même bien tombés, car Le Collectif Q sonnerait autrement plus grivois.
Alors quid de ce fameux collectif ? Aujourd’hui, c’est une quarantaine de membres qui gravitent autour d’un noyau plus ou moins constant. Le collectif porte pas moins de cinq à six projets par an. Chacun est soumis au comité décisionnaire par un porteur de projet, et sera ensuite mis en place dans les lieux appropriés.
https://www.youtube.com/watch?v=3jxow-upH_0&feature=youtu.be
C’est à l’initiative de Sylvain Diaz, directeur du Service Universitaire de l’Action Culturelle, que le Collectif X s’est vu offrir de venir résider à l’Université de Strasbourg.
C’est donc le SUAC qui a organisé la résidence d’une équipe du collectif, autour du projet Villes et qui a confié ses membres aux bons soins de Laura Siegler. Ce projet fut déjà porté en d’autres localités (en premier lieu Saint-Étienne) et suit un ensemble de processus précis.
Il s’agit de dresser le portrait de la ville au cours d’une enquête aboutissant à un spectacle de théâtre. Notez bien que le Collectif X travaille énormément sur le participatif et la matière vivante, et donc que ce projet prend une forme spécifique à chaque lieu où il est mis en place. Leurs créations se constituent au fil de la résidence, par imprégnation progressive de l’espace. Ainsi, Villes#4 Strasbourg est la retranscription spectaculaire de notre belle cité, peinte à travers la focale de l’Université (tout simplement parce qu’il fallait bien choisir un point de départ). C’est un travail d’analyse urbaniste et de réflexion collective sur ce qu’est la ville, c’est-à-dire sur le vivre ensemble.
Les 4 Fantastiques Protocoles
Le premier protocole est la balade urbaine. Elle consiste dans le simple fait de marcher depuis un certain point (son lieu de vie par exemple) jusqu’à son lieu de travail, en restant attentif à son environnement. Il faut ensuite retranscrire, dans un court texte, les sensations procurées par cette promenade. C’est une façon de ressentir la ville de bien des façons, notamment si l’on part de différents quartiers (ce qu’ont fait les membres du collectif).
Cette démarche force à conscientiser son environnement. Tout abreuvés de médias que nous sommes, vils fripons connectés, nous prenons rarement le temps de sentir la ville sous nos pas (qui n’a pas déjà détesté un trajet car ayant oublié ses écouteurs, devant ainsi se confronter à la fatale réalité ?). Ce fut pour moi agréable de renouer avec la simplicité d’une marche urbaine, l’esprit aux aguets pour capter les bruits, les odeurs, les voix des passants et les paysages étroits des rues.
Le principe est simple, mais fort bien pensé. Vous le savez, si l’on se tait parfois, sur certains sujets, dans certains cadres, cela peut être dû à de multiples facteurs. Angoisse, timidité, présence gênante d’un tiers, tabous sociaux, etc. Le collectif se propose alors de recueillir la parole de tout un chacun, dans des entretiens privés. Cette parole sera ensuite portée sur scène, dans un anonymat total. Toute parole est recevable. Même si l’interprète ne l’approuve aucunement d’ailleurs, il la transmettra sans caricature ni bais. C’est là un geste extrêmement fort.
Bien que notre temps soit grandement médiatisé (fb, twitter, insta, msn, toi même tu sais) il existe une censure, parfois tacite, qui peut nous retenir de divulguer certaines idées dans ces espaces ouverts à tous vents, et où une parole émise ne peut jamais être reprise, ni oubliée. Ce qu’offre le protocole, c’est un cadre sécurisé pour une liberté d’expression totale, et une pluralité de voix comme d’opinions au sein d’un même spectacle.
Bien que ces deux premiers protocoles fassent appel à la participation de personnes extérieures au collectif, les textes qui en résultent sont portés par les acteurs seuls. Mais si je maintiens l’adjectif participatif accolé à leur théâtre, c’est que les protocoles 3 et 4 sont directement issus d’une démarche collégiale.
Depuis le 5 février, le collectif organise chaque soir de la semaine, à l’Université, une séance théâtrale où sont conviés absolument tous ceux qui le désirent. La première heure est dédiée au troisième protocole, le chœur public.
Après quelques exercices d’échauffements — qui créent déjà une certaine désinhibition et une cohésion de groupe — un texte est distribué. Il s’agit des cent définitions de Strasbourg, issues de sources multiples. Journaux, personnalités, anonymes, tous ont voix au chapitre. Il est d’ailleurs possible d’aller soumettre soi-même ses propres définitions — via post-it — sur le mur de l’amphithéâtre Cavaillès, au Patio sur le campus de l’Esplanade. La liste est régulièrement remise à jour, certaines définitions en remplaçant d’autres.
En suivant les indications du metteur en scène Arthur Fourcade, le chœur commence à lire ces définitions d’une seule voix, puis par alternance, s’accordant toujours autour des « STRASBOURG » scandés avec force.
Ce chœur de citoyens qui portent une parole sur leur ville, c’est, comment dire… c’est explicitement un chœur façon Grèce antique, et je trouve cela assez formidable. Comme vous le savez peut-être, le théâtre grec se posait comme un rituel social. Le chœur compose, dans ces pièces, la voix de la ville qui dialogue avec les héros des tragédies. Ici, le dialogue se fait directement avec le spectateur, qui, de fait, ne peut pas demeurer passif. Car ce qui sera donné à entendre au public, c’est la polyphonie d’une ville, d’un espace urbain et social dont il fait partie, d’une façon ou d’une autre.
Une ville, c’est un lieu qui se vit chacun à sa manière, mais également qui rassemble. En tant que Strasbourgeois, je peux me sentir lié à ceux qui partagent mon espace. C’est un sentiment d’unité, d’appartenance, de reconnaissance mutuelle qui nous est indispensable, animaux sociaux que nous sommes.
Participer à ce chœur est une expérience des plus agréables. Il faut donner de la voix, articuler, être concentré et attentif aux mots lors des prises de paroles individuelles pour ne pas briser le rythme. C’est à la fois fusionner avec un groupe et affirmer son individualité, un sentiment de cohésion exaltant et une conscience de soi accrue. En sus, l’effort physique demandé est peu courant — sauf pour ceux d’entre vous qui hurlent à tout bout de champ, vous savez que vous êtes fatiguant ? — et surprenamment libérateur. Faire rouler ces définitions de tout mon souffle hors de ma bouche m’a procuré une sensation physique de bien-être, de liberté et d’enthousiasme inédit. La preuve, je suis retourné plusieurs fois à ces soirées.
Je vous l’assure, c’est plus efficace que toutes les doses de fluoxétine que vous pourrez vous procurer.
Alors, me demandez-vous, impatients comme toujours et peu sensibles à ma prose délicate, qu’en est-il du protocole final, le protocole numéro 4, le pinacle ultime du projet Villes ? Content que vous posiez la question, car nous y arrivons.
Il s’agit d’une dispute, au sens noble du terme, une discussion argumentée, un échange productif où les positions diverses communiquent avec logique et intelligence pour proposer des ébauches de réponses à un problème donné. Autant vous dire que vous ne trouverez pas cela souvent, et notamment sur les internets binaires 2.0.
Chaque soir, une thématique différente est choisie, que ce soit le Concordat, les logements universitaires ou encore la réforme des universités. Pour amorcer la discussion, quelques participants jouent une saynète écrite par l’auteur du collectif sur le sujet donné. Cela permet de lancer le débat, et surtout de poser les premiers personnages.
Car oui, l’originalité principale de cette controverse est l’endroit d’où l’on parle. Il est possible d’incarner n’importe qui (il convient donc de se présenter avant la prise de parole) et de multiplier les rôles. Je peux être Charlène, étudiante en droit, et intervenir ensuite en tant que Barnabé Pierre, professeur d’économie, ou encore Marcel Patoulatchi, brigadier-chef et agent de la paix avant tout.
De fait, chacun peut être amené, selon son désir, à porter des arguments et des propos qu’il approuve ou non.
C’est là tout l’intérêt de la chose, qui rejoint la liberté d’expression du protocole n°2. En parlant sous un autre nom que le mien, personne ne peut savoir quel est le fond de ma pensée. Les rôles protègent mon intimité et évitent tout jugement définitif, particulièrement lorsque je m’amuse à enchainer des discours divergents.
L’autre avantage de cette configuration est la grande performance de la discussion. Les participants n’ont rien à prouver et ne jouent pas leur image sociale. C’est bien parce que nous nous investissons personnellement dans nos échanges que nous pouvons nous mettre en colère, nous sentir humiliés ou victorieux, même pour des sujets futiles et des débats stériles. Une discussion sur les réseaux sociaux s’envenime à cause de cela : ce n’est rien de plus qu’une joute verbale entre egos. Or, dans cette controverse, les egos sont balayés par les masques, et seuls demeurent les arguments et la rhétorique.
Efficacité maximum on vous dit.
Bref, le Collectif X promeut un théâtre fondamentalement humain, coopératif, vivant… du théâtre quoi. Je vous rappelle qu’il s’agit de l’art social par excellence, après tout. Mais ce n’est pourtant pas la qualité artistique que poursuit en premier lieu le collectif. Non, leur but principal est de stimuler le contact et la communication entre les individus. C’est cette ambition qui fédère leur démarche et nourrit leur travail. Quoi de mieux qu’un spectacle participatif pour créer du lien ?
Et des liens, j’ai pu en tisser avec ces gens : Arthur Fourcade, François Gorrissen, François Hien, Yoan Miot, Julien Nini, Béatrice Venet, ainsi que les nombreux participants aux répétitions. Il s’agit sans doute là de l’une de mes meilleures expériences humaines.
Mais du coup, c’est bien ?
Si, à ce stade de votre lecture, vous vous posez encore la question, je ne peux plus rien pour vous.
Non, non, je suis convaincu ! Comment puis-je participer ?
Si vous voulez expérimenter vous-même ces protocoles, je vous encourage fortement à rallier le campus de l’Esplanade. Les prochaines répétitions seront ce mardi 13 et ce mercredi 14 février, de 18h à 20h à l’Amphithéâtre 8 du bâtiment Atrium, 16 Rue René Descartes.
Le spectacle se déroulera ce jeudi 15 et ce vendredi 16 février, même amphithéâtre, de 19h à 20h.
Pour participer au spectacle, vous pouvez venir dès 18h pour répéter le chœur public (mais je vous recommande tout de même de venir vous entraîner mardi ou mercredi).
Et si vous en voulez d’avantage, insatiables que vous êtes, voici un petit reportage sur cette résidence, réalisé par votre serviteur.
https://www.youtube.com/watch?v=Hlujzk5g9a0&feature=youtu.be
Intéressant mais on se perd un peu dans toutes ces circonvolutions stylistiques … Pas besoin d’en faire tant pour exprimer ses idées et écrire un article de qualité 😉