Ne pas subir, toujours agir, tel est le slogan d’Emmaüs.
60 ans après l’appel de l’Abbé Pierre, l’association a fait un bout de chemin. C’est aujourd’hui 283 groupes à travers la France qui luttent contre la pauvreté et pour l’intégration de tous, travaillant à un monde meilleur. Récemment, c’est un Strasbourgeois, Thierry Kuhn, qui en a été élu président. Je l’ai rencontré à la Popartiserie le 11 juillet dernier. Solveen et Erwann avaient organisé une vente aux enchères d’objets Emmaüs customisés par des artistes pour en reverser les bénéfices à la communauté de Mundolsheim. Au bout de deux minutes de conversation, ma première impression était faite : un personnage charismatique qui a mille choses à dire qui ont besoin d’être entendues. A partir le là, j’étais obligée de l’interviewer.
J’espère que cette rencontre vous inspirera autant que moi !
– Quel a été ton parcours pour devenir président d’Emmäus France ?
– Depuis très jeune, dès mes 18-19 ans, j’ai été très engagé dans l’associatif, l’humanitaire, et la politique.
J’avais une occupation très militante associative avant d’arriver chez Emmaüs. J’ai participé à plusieurs événements et plusieurs manifestations militantes tout au long de ces années dans plusieurs domaines. Toujours avec le soucis d’apporter une aide concrète sur le terrain, mais aussi d’avoir un questionnement et puis une affirmation politique. J’ai toujours pensé que ces 2 choses allaient ensemble, que l’un n’excluait pas l’autre.
Par ailleurs j’étais comptable. A un moment je me suis dit que je pouvais combiner les deux. J’ai voulu m’engager encore plus et en faire un métier. J’écoutais déjà avec beaucoup d’attention ce que disait l’abbé Pierre. J’ai postulé au poste de directeur d’Emmaüs Mundolsheilm et j’ai été embauché en 2006.
Et puis je me suis intéressé à ce que représentait Emmaüs dans sa globalité en France, donc il y a 4 ans je suis entré dans le comité de la branche économie solidaire et insertion, puis je suis rentré dans le conseil d’administration et au bureau d’Emmaüs France il y a 2 ans et j’ai été élu président en mai.
– Qu’est ce que tu espères apporter à Emmaüs ?
-Je veux poursuivre ce que l’abbé Pierre souhaitait faire et qu’on a peut être un peu perdu ces dernières années. Il y a 2 choses que je souhaite principalement développer, en dehors de développer Emmaüs en tant que tel :
D’abord avoir une attention particulière pour les personnes les plus exclues. On a un fort taux d’accueil, aujourd’hui plus de 4000 compagnons hébergés et 3000 salariés en contrat d’insertion. On a des personnes qui s’engagent d’elles même, parfois 20 ans ou plus. C’est un choix de vie alternatif. Je veux qu’on ait une attention particulière pour ces personnes. Qu’elles puissent prendre la parole dans le mouvement et qu’on les écoute. On peut les aider à devenir pleinement actrices de leur vie, mais aussi actrices d’Emmaüs
Et qu’on ait aussi de l’attention pour les personnes à l’extérieur qui sont exclus de tous les dispositifs : les migrants, les demandeurs d’asile, les personnes Roms – contrairement à ce qu’on dit beaucoup, il y a de la place pour eux et on peut les intégrer – les sortants de prisons, les femmes, en particulier les familles monoparentales en situation d’exclusion… On peut apporter encore plus de réponses et accueillir encore plus de personnes.
L’autre aspect est politique. Avoir une parole politique forte et dire aujourd’hui dans un contexte de crise qui crée de plus en plus d’exclusion qu’il y a des solutions. Que la crise économique et le monde qu’on connaît qui exclue de plus en plus de personnes n’est pas une fatalité. L’exclusion, la pauvreté… Il faut qu’on réfléchisse à d’autres modèles possibles, qui replacent l’économique à sa vraie place, et l’humain à sa vraie place. Qui fasse de l’économique un outil à l’humain et non pas l’inverse. Aujourd’hui on voit bien que c’est nous qui sommes au service de l’économique et surtout, il faut le dire, au service de l’enrichissement de quelques uns. On doit pouvoir ré inverser la tendance et faire de l’humain le centre des préoccupations. Là, Emmaüs a quelque chose à dire et on prouve aujourd’hui dans nos structures qu’il y a un autre modèle de société possible et ça il faut qu’on le revendique et qu’on le défende haut et fort. On va construire des alliances avec des associations qui sont dans cette logique là, qui sont dans une logique d’alternative à la société et qui sont conscients qu’il y a d’autres modèles que le libéralisme pour faire simple.
– Quels sont les défis à relever par Emmaüs ?
– Les défis à relever, finalement ce n’est pas Emmaüs qui a à les relever mais c’est la société qui a à les relever. Aujourd’hui la société a trois types de problèmes : l’environnemental, on produit de plus en plus de déchets qui polluent la planète, l’aspect social, on crée de l’exclusion et il y a de plus en plus de chômage, et puis l’aspect économique, la richesse est inégalement partagée. Les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Les inégalités se creusent de plus en plus.
Sur ces 3 aspects Emmaüs a des réponses. Sur l’environnemental par l’activité de récupération et de revalorisation d’objets et donc de réduction des déchets. On est dans une société de consommation à outrance, or Emmaüs montre qu’on peut réutiliser plutôt que de polluer, parfois même revaloriser de façon originale comme à la Popartiserie avec des artistes.
Sur l’aspect social on a contrairement à d’autres et dans un contexte de crise économique créé en 1 an entre 2011 et 2012 14 % d’emplois en plus alors que les entreprises classiques sont plutôt en train de licencier et de perdre des emplois. On peut donner une nouvelle chance aux hommes et aux femmes qui sont en situation d’exclusion. Ici on a 50 salariés qui ne trouvent pas leur place ailleurs et qui montrent qu’ils peuvent être utiles à la société. C’est des compétences extraordinaires qu’on perd en les excluant.
Et sur l’activité économique : tout ce qu’on récupère et que l’on vend crée de la richesse qu’on remet dans le circuit. Sur ces 3 aspects là on montre notre efficacité : la création d’emploi, 256 000 tonnes de matériel qui est récupéré tous les ans et qui est remis dans le circuit.
On a des réponses et on a les moyens de redonner de l’espoir aux gens qui pensent qu’il n’y a plus de solutions.
– Qu’est ce que vous espérez vous faire mieux ?
– On s’intéresse plus à des secteurs qui aujourd’hui ne sont pas couverts par des entreprises privées. Comme le recyclage des téléphones portables, des tablettes, des ordinateurs portables. On a une structure dans les 2 Sèvres en Charente qui crée des emplois dans le recyclage des téléphones portables. D’ailleurs on vend ici dans la boutique Méli Mélo à Cronenbourg des téléphones qui ont été recyclés.
On a des structures qui font de l’innovation à partir de matériel recyclé. Par exemple le Relais qui collecte des vêtements usagés et qui, à partir de déchets de tissus qu’ils ne peuvent plus utiliser dans leur boutique de récupération, font de l’isolant thermique. On cherche de plus en plus d’innovation dans les différents domaines. Emmaüs a commencé il y a plus de 60 ans en récupérant des chiffons et de la féraille. A l’époque l’abbé Pierre et les premiers compagnons allaient sur les décharges et collectaient ce qu’ils pouvaient pour faire vivre les personnes en situation d’exclusion. Aujourd’hui on est allés plus loin au bout de 60 ans et on rentre dans les logiques d’innovation, y compris d’innovation économique et toujours dans la logique de solidarité. L’inventivité et l’innovation ne doivent pas permettre d’enrichir quelques uns mais doivent être au service du social et de la solidarité.
– Et ici, dans la région de Strasbourg, qu’est ce qu’il se passe ?
– Localement on travaille nous sur la récupération dans toute la zone de la CUS nord, on a une convention avec la ville de Strasbourg sur la réduction des déchets, puisque tout ce qu’on récupère et qu’on remet dans le circuit c’est autant de déchets en moins à traiter pour la collectivité. On a nos contenaires dans la déchetterie de Strasbourg. On récupère tout ce que les gens veulent bien nous donner et ça marche plutôt bien malgré les ventes sur internet et les brocantes de village, on continue à récupérer pas mal de matériel.
On a 2 camions qui tournent toute la semaine du lundi au samedi et qui vont au domicile des gens sur rendez-vous et on a un carnet de rendez-vous qui est plein pendant 3 semaines. Ça va d’un carton de jouets à un appartement à vider. Les gens continuent à avoir le réflexe de donner à Emmaüs.
On peut faire mieux encore mais ça marche plutôt bien, et c’est ce qui permet localement pour nous de créer 50 emplois pour des personnes en difficulté, envoyées principalement par pôle emploi.
On a aussi des partenariats plus spécifiques localement. On travaille avec des détenus à la maison d’arrêt de Strasbourg, on a un atelier cycles à la maison d’arrêt de Strasbourg qui leur permet de se former à la réparation de cycles et on les accompagne sur leurs projets professionnels. L’idée étant que quand ils sortent de détention – on arrive aussi à leur trouver des aménagements de peine – ils soient mieux armés pour trouver un emploi à la sortie. C’est le meilleur moyen pour lutter contre la récidive. Si j’ai un emploi et que je suis formé en sortant de prison, si je suis accompagné, j’ai moins de chances de retomber dans la délinquance que si j’ai rien.
On a aussi un gros travail avec les Roms de Strasbourg, la population Rom de Strasbourg qui vit dans les campements. On en a engagé pas mal alors que c’était pas autorisé jusqu’au 1er janvier. On a réussi à faire du forcing pour les embaucher et leur donner leur chance alors qu’ils sont dans une situation de pauvreté et d’exclusion extrême dans ces campements. Aujourd’hui on a 4 de ces personnes qui travaillent chez nous dont 2 ont trouvé un logement. On les a aidées là dessus, et elles sont dans une dynamique de projet professionnel extraordinaire alors qu’on disait d’elles « qu’ils retournent dans leur pays, ils ont rien à faire ici, ce sont des délinquants etc… ». On se rend compte que lorsque on donne sa chance à quelqu’un, quand il est dans un collectif de travail, bah il a qu’une seule envie, comme tout le monde, c’est d’avoir une vie à peu près normale, à peu près équilibrée, de pouvoir nourrir sa famille, d’avoir une vie sereine, d’envoyer ses enfants à l’école… Tout le monde a envie de ça. Après on tombe dans la délinquance on fait des bêtises parce qu’on est dans une situation d’exclusion.
Je dis souvent que les zones telles que les campements sauvages, ou illicites, à Strasbourg, de Roms par exemple, ou les squats etc c’est pas forcément des choix de vie, c’est pas des zones de non droit. Par contre c’est des zones de non accès au droit. C’est des personnes qui n’ont accès à rien. Quand on leur ouvre l’accès aux droits ; accès à l’emploi et accès au logement décent, il y a pas de raisons que ça se passe mal. C’est pour cette raison qu’on peut donner sa chance à quelqu’un, quand on le fait on a le retour nécessaire, ça se passe plutôt bien.
– Et à notre échelle, comment on peut aider ?
– Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. Chacun peut donner un coup de main, comme il peut avec les compétences qu’il a. On a besoin de compétences particulières mais on a aussi besoin de bonne volonté simplement.
Par exemple chacun peut participer à une vente. Les derniers dimanche du mois on fait une vente spéciale qui est uniquement gérée par des bénévoles, on a besoin de monde pour assurer cette vente là.
On a besoin de monde le reste du temps sur le tri. Les salariés en insertion assurent une grande partie de l’activité mais il y a aussi besoin de bénévoles pour nous soutenir et nous aider.
Chacun, quelles que soient ses compétences, quelles que soient ses capacités, peut donner un coup de main dans la structure sur différentes activités. On peut aller sur le camion, récupérer des meubles, de la vaisselle chez les gens, et c’est d’ailleurs assez sympa à faire.
Et puis chacun selon ses disponibilités aussi. Qu’on ait une demi journée par mois ou plusieurs demi journées par semaine, on peut donner un coup de main chacun à son rythme.
Et c’est aussi l’engagement de chacun dans un autre modèle de société. On peut très concrètement aider à changer le regard et à changer le monde très localement en donnant modestement un coup de main quelques petites heures par mois. Chacun peut aussi faire la promotion de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui et des alternatives possibles dans un contexte plutôt fataliste. Chacun peut devenir « ambassadeur d’Emmaüs », parler de ce qu’on fait et dire autour de lui. On peut soit même prendre conscience des limites de notre société à force de consommer, d’acheter et puis de jeter.
Et puis ensuite on peut faire des actions particulières, je citais avant la Popartiserie. On peut développer des actions comme Emmaüs là où on est, qu’on soit étudiant, qu’on soit dans une association quelconque… tout le monde est bienvenu !
– Ton mot pour la fin ?
Un message d’espoir. On est dans un contexte compliqué, certes, mais il n’y a pas de fatalité. On a une crise économique, une crise sociale et une crise environnementale. La société, le modèle économique et le modèle politique qu’on connaît, montre ses limites. Elle n’a plus de solutions à nous proposer, au contraire elle crée de l’exclusion et elle crée la crise qu’on connaît actuellement. C’est pas une fatalité ça. Emmaüs veut montrer que des solutions existent et veut montrer que chacun peut porter ces solutions là où il est et peut participer à un autre modèle de société.
Le message de fin est un message d’espoir, dire qu’il faut qu’on prenne conscience que peut-être que ce qu’on nous raconte très souvent dans les médias n’est pas forcément toujours la vérité et que très concrètement, si on regarde ce qui fonctionne, il y a des solutions possibles, un autre modèle de société possible, plus solidaire et plus respectueux de l’humain. »
Au final, Emmaüs n’est pas une association humanitaire comme les autres, qui réclament des dons pour la bonne cause. Une de leurs valeurs importantes est de vivre du fruit de leur travail. On ne se fera jamais arrêter dans la rue par un inconnu nous demandant un don mensuel pour les aider. Ils recherchent concrètement des solutions aux problèmes de la société et font leurs preuves. Le tout dans une dynamique d’acceptation de l’autre et d’humanisme.
Le site web d’Emmaüs France : http://www.emmaus-france.org/
La page facebook d’Emmaüs Mundolsheim avec les horaires et le numéro de télephone : https://www.facebook.com/emmaus.mundo/info
Merci pour ce très beau reportage sur Emmaüs Mundolsheim et pour les belles photos !!! (La mercière d’Emmaüs)
bravo Pauline
Elle à fait les coins et les recoins de Mundo
Super interview… Plus d’articles dans le genre sur des choses à faire connaître aux strasbourgeois (nouveaux et anciens) : libre objet, les jardins de la montagne verte, la semencerie, la maison mimir, le molodoï…
EMMAÜS est une belle institution qui vient en aide aux personnes en difficulté, permettez-moi de vous dire qu’aujourd’hui Emmaüs a donné l’espoir d’un emploi à une centaine de personnes avec une exigence de justifier du titre de transport d’où ces personnes ont emprunté ou ils se sont à découvert pour payer ce titre de transport et aujourd’hui on est en difficulté pour rembourser ???
Là on est loin de ce que vous donnez comme rêve car ils ont mis des personnes en difficulté et c’est un cauchemar
Bonjour ,
Je suis ancien compagnon j’avoue une très bonne école de vie ,j’en suis sorti avec un tout autre esprit et de respect de l’autre , mais il y a du nettoyage a faire dans certains responsables ,qui ont par des lettres envoyée au service de la jeunesse comme quoi mes enfants étaient en danger de mort , suite a celle ci je ne vous dit pas les problèmes je dit merci a cette responsable d’avoir détruit toute une famille je préfère rester anonyme pour le moment mais franchement je ne croyais pas des actes de destructions de famille par des écrits