Vendredi matin, 8h30, école maternelle Paul Langevin, quartier de Cronenbourg. Au fond du couloir encore assez calme, des guirlandes et les prénoms colorés des élèves jonchent les murs. À l’entrée de la classe, une équipe spécialisée de neuf professionnelles est là pour nous accueillir. Elles nous présentent un à un les sept enfants âgés de trois à cinq ans, scolarisés depuis ce 5 septembre. Leur point commun à tous : un TSA, trouble du spectre autistique, leur a été diagnostiqué.
Un mouton et des poissons sont dessinés sur les fenêtres, des bulles volent autour de nous. Des peintures colorées trônent sur de petits chevalets, et des jeux parsèment les recoins. En entrant dans la classe en même temps que les enfants, les réminiscences de nos toutes premières rentrées des classes fusent.
À vue d’œil, peu de choses diffèrent d’une classe de maternelle dite ordinaire. À part peut-être, les effectifs : les enfants ne sont que sept au total, pas un de plus, et l’équipe du service est pluridisciplinaire, afin de s’adapter au mieux à ces enfants pas comme les autres, accueillis à bras ouvert par l’école Paul Langevin.
C’est Jeanne Mourey, l’enseignante, qui pilote la classe, à l’aide de l’équipe médico-sociale qui travaille avec elle : une psychologue, deux éducatrices spécialisées, deux AMP (aide médico-psychologique) à temps plein, ainsi que d’une ergothérapeute et d’une psychomotricienne à temps partiel. Leurs regards se croisent : chacune s’articule, se complète. Le but n’étant pas de se marcher dessus, mais plutôt d’opérer un relais.
L’UEMA (unité d’enseignement maternel autisme) de Cronenbourg (la deuxième de Strasbourg après celle de Neuhof créée en 2014), a ouvert il y a quelques mois à peine. Elle est portée par le dispositif SESSAD TSA 67, basé à Mutzig, spécialisé dans l’accompagnement d’enfants et d’adolescents porteurs de troubles autistiques. Sur tout le Bas-Rhin, trente personnes y travaillent, et suivent environ soixante-dix enfants.
Un dispositif réellement adapté
Chacun des sept enfants dispose d’un projet personnalisé, décliné dans un emploi du temps très quadrillé, structuré. Absolument rien ne s’improvise dans une UEMA, ni d’ailleurs dans l’accompagnement des porteurs de TSA (trouble du spectre de l’autisme).
En disant bonjour à ces enfants âgés de trois à cinq ans, on se rend vite compte que la plupart d’entre eux sont non verbaux : ils ne parlent pas. Ou alors, avec des gestes, des sons, des mimiques, des comportements bien à eux. Il faut donc trouver des moyens alternatifs, basés sur des méthodes comportementales spécifiques pour communiquer avec eux. Le petit Théo*, par exemple, pleure lorsqu’il ne peut pas jeter le papier de son éducatrice. En fait, il veut systématiquement aider tout le monde.
C’est sa façon à lui de s’exprimer, il a fallu apprendre à la décoder. Claudia, une des deux éducatrices spécialisées, nous rappelle que : « C’est à elles de s’adapter à l’enfant, et pas l’enfant qui doit s’adapter à elles ».
Dans la salle, on remarque vite que beaucoup de jeux sont rangés en hauteur dans des boîtes transparentes. Celles-ci sont toutes à la vue des enfants, mais ces derniers ne peuvent pas y accéder. Le but ? Qu’Hugo* ou encore Julien* viennent d’eux-mêmes les demander aux adultes, afin de développer leur communication en formulant une demande. Pas forcément verbale, d’ailleurs : cela peut passer par donner une image, ou encore les pointer du doigt. Et ça marche, puisque régulièrement, leurs petits bras se tendent vers le plafond, en fonction de leurs jeux préférés.
« La base de la base, c’est justement d’établir une relation agréable avec l’enfant, pour ensuite lui faire apprendre. Ils doivent être en confiance, aimer être avec l’équipe ». Un des objectifs est aussi d’installer les enfants dans une routine. Pendant le temps d’accueil du matin (ou « temps de pairing »), chaque adulte se met avec un enfant afin de lui proposer toutes sortes de jeux. Le but est que ce dernier identifie le jeu comme quelque chose de plaisant. « Il faut que ce soit la fête », nous dit Jeanne en souriant.
Bruno* semble adorer les chaises roulantes et les formes en mousse qu’il ne quitte pas, pendant qu’Hugo* s’amuse en tapant inlassablement sa baguette en bois sur un jouet. On l’imagine déjà musicien. En fonction de leurs affinités, le personnel prend en note les comportements d’approche et d’évitement. Une fois qu’ils ont atteint 80% des pourcentages à atteindre, l’adulte considère qu’il a une relation chouette avec l’enfant, et peut aller vers un travail plus contraignant.
Un des plus beaux aspects de ce projet, c’est sûrement le fait que ces élèves fassent partie intégrante de l’école. Ils participent aux récréations, ainsi qu’aux sorties. Il y a aussi la mise en place de ce qu’on appelle « l’inclusion inversée ». Leurs copains de l’école “ordinaire” viennent eux aussi au sein de l’UEMA, pour faire des ateliers.
Ainsi, les élèves peuvent imiter des comportements et des interactions sociales plus adaptés à l’école. Les enfants de l’UEMA ont tendance à se suffire à eux-mêmes dans leurs jeux, ce qui n’est pas forcément le cas pour des enfants neurotypiques (ayant un fonctionnement neurologique considéré comme la norme).
Un changement positif, en un mois à peine
Le petit Julien*, reconnaissable entre mille grâce à sa malette jaune remplie de lettres qu’il garde tout contre lui même en récréation, a du mal à rester assis à une table pour faire un jeu. Pourtant, lorsqu’on l’observe en train d’écrire des mots sur la table, il est des plus concentré. Sa maman nous explique qu’« en un mois seulement, il est plus actif, davantage à l’écoute. Tout récemment, à la maison, il a réussi à faire un jeu du début à la fin, et a même écouté la consigne. J’observe des petites actions qu’il ne faisait pas avant ». On sourira plus tard en le voyant aider l’éducatrice à ranger les jouets d’une manière si concentrée et impliquée.
Cette maman nous rappelle que, des choses qui paraissent simples pour nous, sont plus compliquées pour eux… et inversement. « Il est autiste au quotidien, pas seulement à l’école. À l’extérieur, à la maison… peu importe où il va. Ce sont des enfants très intelligents sur d’autres choses, mais mettre des chaussures, par exemple, ils ne vont pas être capables de le faire. Julien est capable de réciter l’alphabet en cinq langues. Par contre, me dire quand il a soif ou faim, il ne le fait pas… Il tente de se faire comprendre ».
Claudia, éducatrice spécialisée, et l’ensemble de l’équipe sont très fières de dire qu’il y a effectivement beaucoup de progrès en seulement un mois : les enfants parviennent à avoir des repères avec des emplois du temps avec des pictogrammes, suivre un rythme, enchaîner les activités, manger en collectivité, venir s’assoir d’eux-mêmes près des autres… Elles le ressentent aussi dans la confiance qu’ils ont en eux et qu’ils accordent, et l’air heureux qu’ils ont en arrivant chaque matin. « Par exemple, quand on voit Théo* arriver en classe et aller chercher directement son jouet en bois, c’est une petite victoire ! ».
L’enseignante va plus loin et nous explique que « la prise en charge des besoins particuliers des enfants TSA met en fait une loupe sur les besoins cognitifs des autres enfants. Passer par l’image, structurer le temps et l’espace, soutenir le langage verbal avec du visuel, rendre tout explicite… Faire un emploi du temps visuel, par exemple, s’avère être très utile pour tout le monde. C’est un besoin essentiel pour les élèves autistes, mais on se rend de plus en plus compte que c’est aussi efficace pour d’autres enfants ».
L’UEMA, un dispositif encore trop rare
Selon L’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), environ huit mille enfants autistes naissent chaque année, ce qui correspond à une personne sur cent. En Alsace, seulement cinq UEMA sont ouvertes, nous rappelle Claudia, qui entame sa neuvième année de travail auprès de personnes atteintes de troubles autistiques. Elle encourage à poursuivre ces projets là, à les valoriser. « On est en 2022, dans l’inclusion pure et dure comme il se doit, et pourvu que ça dure ! Ces petits bouts en ont besoin. Tout le monde a le droit à l’école. ».
Dans tous les dispositifs spécialisés dépendant de l’Éducation nationale, de type Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire) par exemple, les enfants ont droit à un taxi subventionné. En effet, en raison de leur rareté, les établissements sont souvent loin de leur maison. Les UEMA, elles, ne sont pas prises en charge au niveau des transports, en grande partie à cause de leur statut ambigu entre Éducation nationale et médico-social. Certains parents font des trajets énormes chaque jour, à l’instar de la maman du petit Julien, qui, cette année par exemple, ne pourra pas travailler. Cette rareté a donc certaines conséquences sur la vie de famille de ces enfants.
L’enseignante donne une image très juste : « C’est aussi pour ça qu’on parle de situation de handicap, et pas de handicap. C’est aussi l’environnement qui les rend en situation de handicap. Finalement, si tout était fait pour qu’ils ne soient pas en situation de handicap, ces enfants seraient peut-être des enfants neurotypiques. Nous, si on se retrouve au Japon ou en Chine, on est en situation de handicap parce qu’on n’est pas en mesure de comprendre ». Mettre en place ce dispositif dans une école peut bousculer l’enseignement : beaucoup de remises en questions en découlent. Mais on se rend compte qu’il suffirait juste de rendre les classes accessibles : ça servirait à tous, et encore plus aux enfants autistes.
*Les prénoms ont été modifiés.
Léa Daucourt