C’est la rentrée pour nos élu(e)s strasbourgeois(es). Cartables sur le dos, ils et elles reviennent pour décider du futur de la ville. Qui sera la nouvelle star de l’école ? Qui aura la punchline la plus acérée ? Quels seront les nouveaux couples phares ? Tant de questionnements, pour une nouvelle saison de politique locale strasbourgeoise qui a débuté ce 26 septembre.
Comme annoncé lors de celui de juin, le conseil municipal se déplace au Palais des Fêtes, le temps des travaux au Centre administratif. Le tout, avec un ordre du jour bien fourni. Une communication sur le plan de sobriété de la Ville pour faire face à la montée des prix de l’énergie, 66 points à débattre, dont 5 interpellations, plus 4 résolutions et 4 motions. Un programme dense et qui, avant même de démarrer, a vu nos élu(e)s s’écharper.
La petite surprise d’avant conseil : un décourageant bordel
Pouvait-il en être autrement ? Le conseil municipal de rentrée a débuté, non pas par des débats constructifs, mais bien par un capharnaüm sur des points de règlement, le marronnier de nos élu(e)s. Tout a commencé par une interpellation d’une personne du collectif D’ailleurs nous sommes d’ici, portant sur le sujet du camp de l’Étoile et de son évacuation. Alors que Jeanne Barseghian expliquait la fin de l’ordre du jour et le rappel au règlement intérieur, elle s’est fait interrompre par une personne qui a parlé de « droite fasciste et raciste ». Très logiquement, la droite strasbourgeoise a réagi aux propos qu’elle a jugé « insultants ». Pierre Jakubowicz et Catherine Trautmann ont en outre rappelé que ces propos sont malvenus, alors que le mouvement post-fasciste Fratelli d’Italia s’est imposé aux législatives italiennes.
Jean-Philippe Vetter et Alain Fontanel critiquent eux le « deux poids deux mesures » du non-respect du règlement intérieur de la part de Jeanne Barseghian. Le chef de groupe LR a même très rapidement publié un post Facebook sur le sujet. En somme, on perd du temps pour des questionnements de règlement intérieur qui ne concernent aucunement les Strasbourgeoises et les Strasbourgeois. Finalement, avec l’échauffement des esprits qui s’installe petit à petit, on ne pouvait y échapper : on arrive à la fameuse suspension de séance. À la reprise, bien loin de se rafraîchir, les esprits se tendent encore plus. Résultat des courses : plus d’une heure après le début de la séance, rien n’a encore démarré. Les fondations d’un conseil municipal de qualité.
Ce qui va changer pour Strasbourg : le plan de sobriété de la Ville de Strasbourg pour passer la crise de l’énergie
Une fois les esprits bien échauffés, le conseil municipal à proprement parler peut enfin démarrer. Premier item au menu : le plan de la Ville pour diminuer sa consommation d’énergie. Objectif ? Une baisse de 10 %, afin de réduire sa facture de 6 millions d’euros. Pour ce faire, Jeanne Barseghian annonce que la Ville compte d’abord adapter les températures dans les différents bâtiments. 19 °C dans les bureaux, foyers, cantines, écoles, 21 °C dans les crèches, en passant par 14 °C dans les salles de gym. Ensuite, la Ville compte accélérer le développement des énergies renouvelables, et notamment le solaire. Enfin, elle souhaite diminuer fortement l’éclairage public, surtout de nuit. Concrètement, cela se passera comme ceci :
- À partir d’octobre, tous les bâtiments publics et les monuments verront leur éclairage s’éteindre dès 23h. Seule exception : la cathédrale.
- Dès novembre, les lumières seront éteintes en dehors des grands axes entre 1h et 5h du matin.
- Pendant le marché de Noël, 20 % des installations des illuminations seront retirées.
- Enfin, la Ville discute avec JC Decaux sur l’extinction au-delà de 1h à 6h des panneaux publicitaires, responsable de pollution lumineuse. De son côté, la Ville a déjà annoncé qu’aucune campagne de communication institutionnelle ne passerait désormais par ce type de panneaux à partir d’octobre.
Sur le sujet, l’opposition critique « l’impréparation » de la municipalité. Catherine Trautmann met en cause « le manque de clarté et d’informations concrètes sur les impacts financiers, énergétiques et sociaux ». Alain Fontanel accuse de son côté les écologistes d’avoir « les sobriétés contradictoires ». Enfin, Pierre Jakubowicz bougonne, et déplore que « Strasbourg ne fait plus parler d’elle que par son déclin et son refus du vivre ensemble ». Il met également en avant un prétendu « agenda caché » de la municipalité sur les médiathèques, les piscines, comme pour les musées. Pour la municipalité, Pierre Ozenne rebondit sur le sujet d’agenda, pratique en ces temps de rentrée scolaire : « D’agenda, il n’y en a qu’un seul, celui de la planète ». Il critique les « postures de procrastination » des « prophètes présents ici dans cette assemblée ». Après une bonne heure, les débats se terminent. Mais cette question de la sobriété énergétique à Strasbourg ne fait que commencer.
Ce qui va changer pour les Strasbourgeoises et les Strasbourgeois : l’augmentation de la cotisation de taxe d'habitation sur les résidences secondaires
En France, un logement sur dix est considéré comme résidence secondaire. À Strasbourg, 5 300 personnes seraient dans cette situation, soit posséder un logement non occupé une bonne partie de l’année. Ainsi, alors que les demandes de logement ne font que croître à Strasbourg, la Ville souhaite freiner le développement des résidences secondaires. Comment ? En augmentant la cotisation de taxe d’habitation de 60 %, le maximum prévu par la loi de finances 2017. Le but ? Inciter les propriétaires de résidences secondaires à remettre en location leurs logements pour maîtriser le coût des loyers. Si aucun propriétaire strasbourgeois ne jouait le jeu, la Ville récupérerait environ 1,8 million d’euros par an. Même si, comme Syamak Agha Babaei l’a expliqué, l’objectif n’est pas financier, mais bien de remettre en location des logements sous-occupés.
Dans les débats, Jean-Philippe Maurer (LR) s’interroge « si cette délibération est conjoncturelle ou si elle répond à une stratégie plus globale face au besoin de logement criant à Strasbourg ». Aurélien Bonnarel, du groupe communiste, se félicite d’une telle délibération et demande d’aller plus loin, notamment sur un encadrement des loyers. Enfin, Alain Fontanel propose qu’une lettre explicative soit envoyée aux propriétaires pour les prévenir avant octobre prochain, ce à quoi Syamak Agha Babaei répond que la DGFIP ne leur envoie pas les adresses. Finalement, la délibération est votée, avec 44 voix pour et 9 abstentions, des groupes LR et de la majorité présidentielle.
Le sujet chaud : près de 3h de débats sur la religion et le financement des lieux de culte
Au conseil municipal, personne n’a oublié la séance explosive de mars 2021 autour de la subvention pour la mosquée Eyyub Sultan. 18 mois plus tard, la Ville revient dans l’arène municipale avec une délibération-cadre fixant de nouvelles règles pour les demandes de financement des lieux de culte. La grande nouveauté de cette délibération-cadre concerne la collaboration accrue avec la Préfecture et le plafond de financement pour les grands chantiers fixé à 10 % et/ou 1 million d’euros. Pour la municipalité, le but était ainsi de poser « un cadre serein pour l’avenir ». Un vœu que, sans mauvais jeu de mots, l’on pourrait qualifier de pieu, au vu de la teneur animée des débats qui ont suivi.
Gros pognon et religion : Strasbourg revoit son financement des lieux de culte
En effet, si les oppositions valident toutes le travail réalisé, elles ne se sont pas privées pour attaquer. Alain Fontanel propose d’abord un amendement qui empêcherait toute demande de subvention une fois le projet entamé. De son côté, et alors qu’il avait réservé pour le conseil municipal sa première prise de parole sur le sujet, Jean-Philippe Vetter critique une « gestion du dossier erratique », ainsi que des « erreurs extrêmement lourdes », provoquant une « rupture de confiance ». Il termine en accusant Jeanne Barseghian d’être « en guerre contre l’État » et d’avoir « menti devant les Français ». De son côté, Pierre Jakubowicz affirme que la polémique sur la mosquée Eyyub Sultan a été « l’un des chapitres les plus sombres que notre ville ait connu », et demande le retrait de la délibération de mars 2021.
Pour la majorité, Marc Hoffsess tire le premier. Jamais avare en prise de parole polémique, le président du groupe écologiste taxe les oppositions « les plus à droite de l’échiquier politique » de « relents d’islamophobie et de méfiance que l’on aime bien instiller ». Il critique également la formulation précédente de Pierre Jakubowicz : « Les années les plus sombres de notre ville, je pensais que c’était l’occupation nazie, pas la polémique de l’an dernier, Monsieur Jakubowicz. Là aussi, il y a des relents d’islamophobie, une méfiance déplacée ». En réponse, Alain Fontanel demande une deuxième suspension de séance, accusant de manière véhémente le chef de groupe de taxer Pierre Jakubowicz de révisionniste et les chefs de groupe d’islamophobes. La bonne ambiance.
Après la suspension de séance, alors que Marc Hoffsess déclare regretter ses propos, Alain Fontanel tente de prendre de la hauteur : « Sur ces sujets particulièrement délicats et qui peuvent être douloureux, il est de la responsabilité de chacun de s’exprimer avec retenue ». Un postulat partagé Jeanne Barseghian, qui demande à l’ensemble des élus de « se montrer dignes de la République et des Strasbourgeois ». La maire de Strasbourg précise également que la délibération de principe de subvention de mars 2021 est devenue caduque et que si Milli Gorus souhaitait un financement, elle devrait en faire la demande sous les nouvelles conditions. Par ailleurs, elle ne manque pas de rappeler que l’association a récupéré énormément de dons privés à la suite de la polémique initiée par le ministre de l’Intérieur. Le tout, sans droit de regard de la collectivité.
Alors que les débats touchaient à leur fin, la maire tente de négocier un retrait de l’amendement avec l’opposition, ce à quoi s’oppose Pierre Jakubowicz : « Le but de cette délibération est d’être en vigueur sur une longue période. La promesse orale d’aujourd’hui ne suffit pas ». Passé au vote, l’amendement d’Alain Fontanel est donc finalement rejeté, non sans un petit couac de Syamak Agha Babaei et Marc Hoffsess, qui ont voté « pour » par inadvertance. Une erreur qui fait sourire tout le monde et fait retomber la tension avant le vote de la délibération-cadre. Celle-ci est adoptée à 46 voix pour et 16 abstentions, trois heures après le début des débats.
Le moment à retenir : les sujets de société strasbourgeois actuels passés au crible
Si quelques sujets d’importance n’ont pas été débattus ce 26 septembre – on peut citer le tram Ouest vers Wolfisheim, la rénovation des abords du centre commercial de l’Esplanade ou la construction d’une passerelle vélo entre l’Elsau et la Montagne Verte -, certains sujets chauds de l’actualité strasbourgeoise ont fait l’objet de longs débats lors de ce conseil municipal. Au programme notamment : la fermeture des musées une journée supplémentaire et la situation des migrants du camp de l’Étoile, désormais déplacés au gymnase du Heyritz.
Fermeture des musées : débats très tendus sur la culture
À partir du 3 octobre prochain, les musées de la Ville fermeront leurs portes deux jours par semaine au lieu d’un, avec une pause de 13 à 14h. Un sujet chaud, qui n’a pas manqué de revenir dans l’arène municipale, à l’issue d’un débat lancé par une résolution de Pierre Jakubowicz. Ce dernier éructe, parlant de « culture sacrifiée » et trouve « lunaire » la réponse de l’adjointe à la culture Anne Mistler à son invective, qui rappelait le nombre d’événements culturels s’étant déroulés cet été à Strasbourg. Alain Fontanel critique « les justifications à géométrie variable » de la majorité, alors que Nicolas Matt soulève la « radicalité de la mesure » et s’interroge de « l’agenda politique poursuivi ». Enfin, jamais la dernière à donner des leçons, Catherine Trautmann appelle Jeanne Barseghian « à de la modestie » et à « mieux comprendre les critiques énoncées ».
En réponse à Nicolas Matt, Syamak Agha Babaei fustige « la radicalité dans les propos et les contre-vérités qui montrent la manière dont les choses sont épinglées ». De son côté, Jeanne Barseghian juge inacceptables les propos de Nicolas Matt. Elle explique que la décision est une mesure d’urgence prise « pour des raisons de ressources humaines », rappelant les 17 suppressions de postes effectuées sous le mandat précédent. Elle remet également sur le tapis l’inaction de ses prédécesseurs sur les travaux du Musée Alsacien ou du Palais Rohan, fustigeant les leçons données par l’opposition : « La manière dont notre patrimoine municipal est traité est une honte et on vient nous donner des leçons ? On prendra nos responsabilités, contrairement à ce qui a été fait dans le mandat précédent, c’est-à-dire rien ». Rideau.
La situation des migrants du camp de l’Étoile
Deuxième sujet d’été : le camp place de l’Étoile, mis en lumière par les feux d’artifice du 14 juillet. Dans l’arène municipale, le sujet est porté par Jean-Philippe Vetter, qui dénonce « l’inaction coupable de la ville de Strasbourg ». Durant son interpellation, il évoque notamment le chiffre de 25 000 demandeurs de logements sociaux strasbourgeois, repris ensuite par Jean-Philippe Maurer. Pourtant ce chiffre se révèle inexact, puisqu’il y a actuellement 17 347 demandeurs de logements sociaux à Strasbourg. Il est d’ailleurs assez étrange que la municipalité ne leur fasse pas remarquer. Quoiqu’il en soit, cette « crise migratoire » amène selon Jean-Philippe Vetter une « situation très difficile » pour les Strasbourgeoises et les Strasbourgeois « amoureux de leur ville », mais également pour les personnes du camp.
Du côté du PS, Dominique Mastelli, déposant une motion en faveur d’une politique d’accueil pour des populations en situation d’urgence humanitaire sur l’Eurométropole de Strasbourg, est attristé d’entendre « un groupe politique parler de chiffres mais plus de personnes ». Sur ces débats, le mot de la fin revient à Syamak Agha Babaei : « La politique de ce pays fabrique des gens sans-droits, les met en précarité et est en incapacité de les reconduire à la frontière. Parce que le coût de reconduire une personne à la frontière coûte plus cher que d’accueillir la personne et de leur donner la possibilité d’une vie digne. La France a rompu avec sa tradition républicaine d’accueil. […] Non, il n’y a pas de crise migratoire en France. Pendant la crise syrienne, la France n’a accueilli que 24 000 personnes, c’était une honte républicaine. On ne veut pas accueillir, parce qu’on est incapable d’accueillir ».
La motion de Dominique Mastelli est finalement adoptée avec 53 voix pour, dont ceux du groupe de la majorité présidentielle. Les membres LR n’ont quant à eux, tout simplement pas participé au vote.
Il est 23h30 passées lorsque la cloche sonne et que nos élu(e)s rentrent chez eux. Une rentrée où de gros sujets ont été débattus, mais où peu ont réellement été votés. Comme souvent, la religion a fait monter la température et quelques sujets chauds des vacances ont animé les discussions, montrant aux Strasbourgeoises et Strasbourgeois assez courageux pour regarder la séance, comment les différents groupes politiques se positionnent. Nos élèves seront de retour le 7 novembre. Entre temps, on ne peut qu’espérer qu’ils passent plus de temps à travailler en cours qu’à se chamailler à la récréation.