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Garance : la dessinatrice strasbourgeoise qui veut sensibiliser à l’homophobie en milieu scolaire

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À 28 ans, l’autrice-dessinatrice strasbourgeoise Garance Coquart-Pocztar vient de sortir son premier roman graphique. Un récit en noir et blanc – mais tout en nuances – de sa première année d’interventions de sensibilisation à l’homophobie et aux discriminations liées aux genres en établissements scolaires. Sensible, pédagogique et nécessaire. Nous l’avons rencontrée.





La Pluie et la lumière forment l’arc en ciel est un récit autobiographique de votre première année d’intervention en milieu scolaire en Alsace avec SOS homophobie. Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir faire ce type de sensibilisation ?

Il y a eu deux éléments déclencheurs. Je suis arrivée au sein de l’association en septembre 2017, après la sortie au cinéma de 120 battements par minute. C’est un film qui offre un regard puissant sur le militantisme et il a été une claque pour moi. Je me suis dit qu’il était temps que je milite à mon tour. L’autre élément qui m’y a poussée, c’est le fait de ne pas avoir eu accès à une éducation sexuelle qui ne soit pas hétérocentrée pendant mon parcours scolaire. Je n’ai pas eu de discussions sur l’orientation sexuelle. J’avais envie de changer cela pour les nouvelles générations.

Garance Coquart-Pocztar vient de sortir son premier roman graphique.
A.Me/ Pokaa


Comment se sont passées vos premières interventions ?

Je suis arrivée en septembre 2017 et dès début octobre je suis allée observer des interventions car c’est vraiment pour ça que je venais. Ça s’est fait très vite et comme j’étais hyper motivée, je me suis formée rapidement. Après une journée et demi d’observation, j’ai pu intervenir pour la première fois et ça s’est bien passé. Je me suis découvert une passion, une vocation. Au début, j’avais vraiment peur de prendre la parole mais à la fin de la première intervention j’ai réalisé que j’adorais ça et que j’étais tout à fait à ma place.


Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir garder une trace de ces interventions et à en faire un roman graphique ?

Lorsque j’ai débuté les journées de sensibilisation, j’étais étudiante en didactique visuelle à la Haute école des arts du Rhin. Je cherchais un projet de diplôme auquel me consacrer et je me suis mise à dessiner dans l’optique de réaliser un outil pédagogique pour les interventions. Mais dès la journée d’observation, je me suis rendue compte que j’avais accès à un temps d’échange extrêmement précieux entre les élèves. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait beaucoup de temps de parole libre comme celui-là dans un cursus scolaire. Un moment où l’on peut prendre deux heures pour discuter à bâtons rompus. En intervention, la notion d’homophobie est le point de départ des échanges mais finalement, on se retrouve souvent à parler d’autres sujets, comme du harcèlement scolaire par exemple. J’ai eu envie de garder une trace de tout ce que j’avais pu trouver rare, riche, touchant.

Extrait de La Pluie et la lumière forment l’arc en ciel.
Document remis


La Pluie et la lumière forment l’arc en ciel est roman graphique autobiographique dans lequel vous racontez ce que vous voyez, mais aussi ce que vous ressentez, et comment vous vous percevez en tant que militante. Pourquoi avoir fait le choix d’un récit à la première personne ?

Faire état de mes doutes, de ma vulnérabilité est pour moi une façon de faire savoir qu’il ne s’agit que de mon point de vue sur les interventions en milieu scolaire pour sensibiliser aux LGBTQIphobies. C’est aussi une manière d’être sûre que je ne vais pas déformer la réalité, ou me mettre à la place d’autres personnes. Cela peut être violent de parler à la place de quelqu’un d’autre. Et sur un tel sujet, je ne me sens pas la légitimité de faire de grandes vérités générales. Cette entrée par l’autobiographie permet de parler depuis ma place, et de montrer mes limites et mes biais vis à vis des interventions. Par ailleurs, cela m’a permis de revenir sur mon évolution en tant qu’intervenante. Comment je suis arrivée, très ingénue, et comment j’ai petit à petit découvert un certain nombre de choses et surmonté des difficultés au fil des interventions.


Dans votre récit, vous racontez des situations où les élèves sont parfois motivés, apathiques, ou franchement en réaction face au discours de sensibilisation que vous portez. Mais vous évoquez aussi les professeurs peu informés sur ces sujets, ou carrément contre ce type d’interventions. À quoi avez-vous eu le plus de mal à faire face en tant qu’intervenante ?

Spontanément, je pense aux professeurs qui ne préviennent pas les élèves de nos interventions. On se retrouve devant une salle vide, c’est assez dur. Ce n’est même pas de l’homophobie ordinaire ; ce sont des gens qui ne veulent pas que nous intervenions. Plus largement, c’est vrai qu’il y a des moments où on galère, mais ce qui ressort des interventions est plutôt positif. On garde en tête l’idée que nous plantons des graines dans l’esprit des élèves et qu’ils sauront se souvenir plus tard de ce que l’on est venu leur dire. Un moment difficile à souligner, peut-être, c’est lorsque les élèves viennent nous confier quelque chose de personnel en fin d’intervention alors que nous devons partir. Parfois, il est question de harcèlement, de conflits avec leurs parents au sujet de leur homosexualité. Et là c’est horrible parce qu’on ne peut que leur laisser le numéro de téléphone d’une ligne d’écoute sans savoir s’ils appelleront, ni comment cela se passera pour eux après.

Document remis


Tout au long du livre, vous racontez comment une intervention peut mal commencer mais très bien se finir, avec des échanges très ouverts sur l’homosexualité et l’acceptation des différentes identités de genre. Mais le récit se termine sur une intervention particulièrement difficile où vous êtes face à des élèves qui trouvent tout à fait normal que l’on puisse violer des personnes homosexuelles pour les “convertir” à l’hétérosexualité, et que vous n’arriverez pas à faire changer d’avis. Est-ce que c’était une volonté de finir l’ouvrage sur ce à quoi vous pouvez être confrontée de plus violent en matière d’homophobie lors de ces interventions ?

Pas du tout. Les quinze interventions rapportées dans le livre suivent un ordre chronologique. Cette intervention est de loin la plus difficile de celles que j’ai pu faire. Après, j’ai fait un mois de pause parce qu’il fallait que je me repose. Cela a d’ailleurs été l’une des difficultés de mon projet d’écriture. Car cette intervention a été aussi dure à dessiner et à réécrire qu’à vivre. À chaque fois, j’étais prise par la même émotion. Maintenant que j’ai quatre années d’intervention derrière moi, je pense que je ne vivrais pas du tout les choses de la même manière si j’étais de nouveau confrontée à ce type de propos.


Dans votre ouvrage, il est question de lutte contre l’homophobie mais aussi de lutte contre le sexisme. Vous montrez que c’est lié…

Oui! On répète souvent que l’homophobie découle du sexisme. Derrière, il y a l’idée qu’il existerait des rôles assignés aux genres et que les les homosexuels sont des sous-hommes ou des femmelettes, si on grossit vraiment le trait. La transphobie c’est pareil, c’est remettre en cause les normes de genre. La lesbophobie, c’est imaginer qu’une femme ne peut pas avoir de relations amoureuses et sexuelles sans un homme parce que la sexualité c’est d’abord avec un homme et de la pénétration… En fait tout découle du sexisme. C’est une entrée qui peut être très intéressante! Lorsque nous naissons, on nous assigne un genre qui va conditionner la manère dont le monde nous perçoit, dont le monde pense que nous devons nous comporter. Et ce même mécanisme est à l’origine des LGBTQIphobies. Donc, oui, l’homophobie c’est du sexisme en fait.

Document remis


Est-ce que votre livre a été bien reçu par les personnes qui intervenaient avec vous en établissements scolaires ?

Oui tout à fait ! Ce n’était pas un secret de toute façon. Ils me voyaient dessiner toute l’année et je leur faisait lire mon travail au fur et à mesure. Lorsque j’ai fini mon projet, avant même d’en faire quoi que ce soit et de commencer à penser à un objet éditorial, je l’ai fait lire à toute l’équipe. Ils étaient très touchés parce qu’ils ont vraiment retrouvé l’ambiance des interventions et ont trouvé que ce serait un super outil pour sensibiliser plus largement. Et pour trouver des bénévoles pour les interventions, car aujourd’hui nous sommes cinq à intervenir régulièrement en Alsace, plus quelques autres occasionnellement. Ce qui fait que si tous les établissements voulaient que l’on intervienne, on ne pourrait pas répondre à la demande. Nous avons toujours besoin de nouveaux bénévoles et ils ont jugé que c’était un ouvrage qui donnait envie de militer. Du coup ils m’ont énormément encouragée à en faire un livre et à l’éditer. Ce qui allait un peu à rebours de mon envie de passer à autre chose à la fin de mes études. J’avais une certaine pudeur et appréhension à livrer tout cela largement.


La Pluie et la lumière forment l’arc en ciel est finalement sorti en décembre dernier. Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Ah. [rires] Trouver un titre a été difficile. On a passé un mois à brainstormer dessus avec mon frère. La version une du projet s’intitulait SOS, mais comme je ne fais plus partie de l’association maintenant et qu’avec toutes les personnes qui intervenaient avec moi nous faisons des sensibilisations avec La Station maintenant, je n’avais pas envie de reprendre ce titre. Celui que nous avons retenu est en lien avec un moment de la BD où l’on sort après une intervention mitigée et il y a un arc en ciel dehors. Les interventions sont faites de moments parfois tristes, parfois forts et c’est l’ensemble qui constitue leur identité. Je voulais aussi un titre suffisamment poétique pour qu’on ne sache pas forcément de quoi ça parle au premier abord, et que ça ne rebute pas forcément certains lecteurs qui se diraient “oh non j’ai pas envie de lire 300 pages sur la lutte contre l’homophobie, ça me saoule.” C’est un peu une entourloupe, mais ça permet aussi d’offrir le livre très innocemment à quelqu’un, en ayant derrière la tête l’idée de faire un peu de pédagogie, l’air de rien.  

***

La Pluie et la lumière forment l’arc en ciel
de Garance Coquart-Pocztar

Trouver le livre : en ligne et à la librairie Le Tigre

***

 

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