En ce mois d’août 2020, à Strasbourg comme dans de nombreuses autres villes de France, la canicule fait encore une fois des ravages. À une certaine période de la journée, les rues sont souvent désertées dans le centre-ville, et même les terrasses sont parfois boudées des Strasbourgeois avant 19h. Les quartiers touristiques comme la Petite France ou la Neustadt ne font pas exception. Seuls les parcs aux abords du centre rencontrent un certain succès en terme de fréquentation, mais c’est bel est bien les forêts, la montagne et les plans d’eau qui attirent les résidents de l’Eurométropole en ce moment.
La chaleur, étouffante, n’est cependant pas la même d’une rue ou d’un quartier à un autre. Avec des différences de parfois plusieurs dizaines de degrés entre deux quartiers à la même heure, on peut être amené à se demander ce qui influe sur la température ambiante et celle des sols.
Dans ce sens, j’ai décidé de me plonger dans le grand dossier des îlots de chaleur et de fraîcheur, de l’impact de l’urbanisme sur ces derniers et des solutions qui existent pour rafraîchir la ville. Munis d’un thermomètre laser et de quelques dossiers sur le sujet, j’ai arpenté la ville pour essayer de comprendre ce phénomène.
Les îlots de fraîcheur et de chaleur
Ces différences de températures évoquées plus haut sont due à ce que l’on appelle des îlots de chaleur et de fraîcheur. Mais dis moi Jamy, késaco ?
Pour faire simple, à l’échelle de la ville, l’énergie reçue du soleil et de l’atmosphère est à son tour absorbée et réfléchie en partie par les matériaux de la ville. Lorsqu’elle est absorbée, elle chauffe les bâtiments et les différents revêtements et couverts urbains ; la partie réfléchie est alors renvoyée.
Il parait alors évident qu’à la campagne par exemple, les surfaces environnantes sur lesquelles le soleil peut se réfléchir vont être assez limitées. Pour caricaturer un peu, on va avoir une certaine température au soleil, et une autre, moindre, à l’ombre. En ville les choses sont différentes puisqu’il y a une multitude de surfaces sur lesquelles peut être envoyée l’énergie. Ainsi, le rayonnement renvoyé par un bâtiment peut l’être sur un autre, qui à son tour absorbe une partie de l’énergie et en renvoie une autre, ainsi de suite. Concrètement, on va se retrouve avec des écarts de température complètement frappants d’une zone à une autre. Le comportement des bâtiments par rapport au rayonnement et à la chaleur est différent de celui de la terre nue ou végétalisée que l’on trouve plus facilement à la campagne. Vous me voyez venir, on parle bien là de l’importance d’avoir des zones vertes au sein de la cité.
Prenons cette image. On trouve un écart de température au sol de 33 degrés. Sur la place Kléber, on est dans un environnement exposé, mais surtout entouré de bâtiments composés d’une multitude de matériaux différents. Les arbres sont eux quasiment absents, et mon relevé a été effectué sur le bois, un matériel qui chauffe fort, mais qui emmagasine peu.
Sur la photo de droite cependant, on se situe dans le jardin collaboratif à côté de l’église Sainte Madeleine à la Krutenau. L’environnement est tout à fait différent, il y a de grands arbres, des plantes, de l’ombre, et les bâtiments autour sont plutôt bas et composés de vieilles pierres. Vous me direz, c’est normal d’avoir un écart si important sur deux environnements radicalement opposés, et vous avez raison. Soyons plus explicites.
Toutes ces photos ont été prises dans un créneau d’une heure, durant le pic de chaleur de la journée du jeudi 20 août, avec une température ambiante de 36 degrés.
Ce que l’on constate est assez frappant. Sur des mêmes espaces, selon la matière du sol et la nature de l’ombre, on peut avoir des écarts de plusieurs degrés. Ce qui nous amène à notre prochaine partie, roulement de tambours…
Les comportements des matériaux
On a donc assimilé qu’en toute logique, la ville stocke plus de chaleur que la campagne. On sait aussi que cela est principalement dû aux propriétés des matériaux qui composent les bâtiments, les voies de circulations et les infrastructures. Intéressons-nous à présent à l’inertie thermique.
Le principe d’inertie thermique, pour être simple, peut se résumer comme la capacité d’un matériau à accumuler puis à restituer un flux thermique. Plus le temps d’absorption et de restitution est long, plus le matériau est thermiquement inerte. La capacité thermique représente la quantité de chaleur qu’un matériau peut stocker puis restituer. Cette capacité dépend de trois paramètres propres à chaque matériau : la capacité de conductivité, c’est-à-dire la capacité à répartir la chaleur dans un matériau, la capacité thermique massive, à savoir la capacité de réchauffement d’un matériau, et la densité, le rapport entre son poids et son volume.
Par exemple, on a vu plus haut que le bois de la place Kleber montait à 57 degrés, soit plus que le macadam au soleil. Cependant lorsque la nuit va tomber, le bois va immédiatement se rafraîchir tandis que le macadam va continuer à dégager de la chaleur durant plusieurs heures. De manière générale, plus un matériau est lourd et épais, plus il est inerte : la chaleur circulera moins vite à l’intérieur et il mettra plus de temps à atteindre une température uniforme. De plus, il faudra qu’il reçoive un flux thermique important pour monter en température. Mais, à l’inverse, une fois chaud, il mettra tout autant de temps à se refroidir (wesh la pierre, wesh le goudron).
Ce principe d’inertie est une des premières raisons de la formation des îlots de chaleur urbains car les matériaux de construction ont une inertie thermique bien plus grande que la terre. À titre d’exemple, le béton ordinaire a une capacité thermique de 2 400 à 2 640, la terre sèche de 1 350 (en KJ/m3.°C – Kilo Joule par mètre cube par degré Celsius).
Ici, un relevé de température en plein cagnard. À gauche, le grès rose des Vosges de notre belle Cathédrale, à droite, une poutre en acier d’une des tours Black Swan. Et quel est le sol le moins chaud à l’ombre sur le même matériel ? Je vous le donne en mille !
Le phénomène d’îlot de chaleur urbain
Maintenant que vous commencez à être calés sur le sujet, développons plus en détail le principe de l’îlot de chaleur urbain (ICU). Ce dernier se caractérise par l’observation de températures plus élevées dans une zone urbaine que dans son environnement immédiat. Comprenez, des différences de températures significatives à quelques mètres de distance sur un même endroit. Ces augmentations de températures sont les premiers signes de l’influence de la ville sur son site et son environnement naturel. Plusieurs facteurs rentrent alors en considération tels que la situation géographique et climatique, les saisons, la météo, mais aussi les caractéristiques propres à la ville (modèle d’urbanisation, relief…)
L’ICU se manifeste tout d’abord par des différences parfois très importantes entre le centre chaud et la périphérie plus froide, particulièrement lors des minima de température en fin de nuit où l’écart peut être de près de 16°, oui quand même. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que l’augmentation des températures ne se trouve pas seulement sur la couche la plus basse de l’atmosphère, au niveau du sol. On peut aussi observer un dôme de chaleur en altitude. Ce qui veut dire qu’on peut aussi observer des différences de températures importantes à une même altitude. Vous vous en doutez, ce réchauffement de la zone dense de la région a du coup des conséquences sur le nombre de jours de gel, mais aussi de neige, et fait diminuer l’humidité de l’air puisque l’augmentation des températures limite la pression de vapeur d’eau dans l’air. J’espère que vous suivez encore, j’ai bientôt fini.
Aussi, en ville, on imperméabilise les sols avec des matériaux qui ne laissent pas passer l’eau de pluie. Du coup, où va t’elle ? Dans les égouts bien sûr, puis elle finit son voyage dans les cours d’eau. Ce qui à pour conséquence de faire diminuer le taux de vapeur d’eau dans l’air, puisque qu’il n’y a presque pas d’évaporation. Cette baisse de l’humidité des villes entraîne à son tour une baisse du nombre de jours de brouillards et de leur intensité. L’îlot de chaleur a enfin des effets sur le régime des précipitations en multipliant les épisodes orageux ou d’averses car la chaleur au niveau de la ville fait remonter les masses d’air et rend ainsi l’atmosphère… instable. Voilà grossièrement la chaine de réactions et l’impact des ilots de chaleur urbains.
Et le rôle de l’urbanisation dans tout ça ?
Les relevés effectués à Strasbourg nous permettent facilement d’illustrer que la cause principale des îlots de chaleur est le modèle d’urbanisation et de développement de la ville. D’abord par la concentration des activités humaines qui émettent de la chaleur, mais aussi par le comportement des matériaux urbains qui emmagasinent de la chaleur qu’ils restituent plus tard, une fois que la température de l’air est redescendue. Ainsi, le flux thermique de l’atmosphère urbaine reste toujours positif.
La densité de construction entre également en jeu. Durant mes relevés, les espaces où il y avait le plus de constructions autour de moi étaient toujours parmi les plus chauds, que ça soit pour le quartier Malraux ou pour l’hypercentre, la sentence est irrévocable. Les bâtiments déploient des surfaces de réflexion, mais font aussi obstacle aux écoulements d’air qui dissipent la chaleur.
Voilà pourquoi on observe des contrastes saisissants à l’intérieur de la ville. Cette influence de la forme urbaine à l’échelle de la ville sur le climat se retrouve également à l’échelle de la rue et du quartier en fonction de la forme des îlots urbains et de leur orientation. Ainsi, on peut repérer de micros ICU dans des quartiers très denses par rapport à d’autres au tissu urbain plus lâche ou à proximité d’un espace vert ou d’un plan d’eau.
Voilà qui devrait vous permettre de mieux comprendre notre ville et l’impact de son urbanisme sur les effusions de chaleur. Ce qui m’a le plus interpellé lors de mes documentations, c’est de constater le paradoxe avec les connaissances que nous avons et les constructions que nous élevons. Force est de constater qu’à Strasbourg, on voit sortir chaque année des quartiers entiers de terre, mais pas l’ombre d’un espace vert n’apparaît.
Planter des arbres est une bonne chose, mais cette démarche devrait s’inclure dans la création de véritables zones vertes qui permettraient à la ville et à ses habitants de respirer, et de se rafraîchir.Heureusement, il est plaisant de voir fleurir de plus en plus d’initiatives citoyennes ayant pour but de développer des zones vertes dans la cité, mais cela ne suffit pas à changer la donne, et il est dorénavant essentiel d’avoir des résolutions qui viennent d’en haut !
D’ici-là, bon cramage à tous, pensez à vous hydrater et surtout, fuyez le béton.
Le problème de la prise en compte de la monté des températures dans nos villes n’est pas prise en compte par les architectes et autre “intelligence” de l’aménagement de nos territoires car il y a la réponse climatisation…
Pour changer les choses il faudrait interdire les climatisation, pour uniquement les réserver au personnes fragiles, imposer des nouveaux dress code dans les milieux professionnels pour interdire les vêtements chauds l’été et ceux qui ne le sont pas assez l’hiver…